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Ineos augmente les cadences de son 4X4 Grenadier à Hambach
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Ineos augmente les cadences de son 4X4 Grenadier à Hambach

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Rasséréné par les premiers chiffres des ventes de son robuste 4x4 thermique, Ineos Automotive appuie sur l'accélérateur. Le constructeur britannique met en route une seconde équipe de production sur son site de Hambach, en Moselle et lance la version pick-up du Grenadier, à quelques mois de l'arrêt de la production de la micro citadine Smart.

La chaîne d'assemblage du Grenadier occupe le bâtiment central sur le site de 82 hectares — Photo : Philippe Bohlinger

« Six années. C'est le temps qu'il a fallu pour passer de l'idée de ce 4X4 robuste et passe-partout à sa production en série, qui plus est dans un contexte inédit de crise dans les chaînes d'approvisionnement mondiales », mesure Lynn Calder, la présidente-directrice générale d'Ineos Automotive, la division automobile du groupe pétrochimique Ineos.

Une période intense pour les équipes du constructeur britannique, mais finalement assez courte à l'échelle de cette industrie complexe et très capitalistique. Pour mettre sur la route son Grenadier, un tout-terrain inspiré du Land Rover Defender, Jim Ratcliffe, milliardaire de 70 ans, fondateur du groupe Ineos, a dépensé 1,5 milliard d'euros. Et c'est sans compter le coût d'acquisition de l'usine mosellane auprès du géant allemand Daimler, une donnée restée confidentielle.

Le facteur le plus déterminant, c'est sans doute l'opportunité d'acquérir l'usine de Hambach, en Moselle. Sans cela, nos 4x4 ne seraient pas encore sur les routes.

Ce passionné d'automobile, autodidacte aujourd'hui à la tête d'un empire de 25 000 salariés pour 59,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, a eu le nez creux. Il y avait de la place sur le marché du tout-terrain pour un 4X4 dépouillé, à vocation utilitaire, le Defender ayant perdu sa rusticité selon les puristes. Encore fallait-il réussir le pari de l'industrialisation.

Nommée en décembre 2022 à la tête de la division automobile, Lynn Calder identifie trois facteurs essentiels dans la réussite de ce projet audacieux. À commencer par "le respect de la vision initiale, celle d'un véhicule ne faisant aucun compromis avec la qualité et les capacités de franchissement. Nous nous sommes également entourés de partenaires de qualité, en premier lieu le constructeur automobile autrichien Magna Steyr qui a assuré le développement et l'ingénierie du Grenadier. Mais le facteur le plus déterminant, c'est sans doute l'opportunité d'acquérir l'usine de Hambach, en Moselle. Sans cela, nos 4x4 ne seraient pas encore sur les routes. Pour mémoire, l'hypothèse de travail en 2017 était de bâtir une usine de A à Z", souligne-t-elle.

Robots reconfigurés

Les lignes existantes ont été adaptées aux dimensions du 4X4 et notamment à son besoin d'étanchéité renforcée — Photo : Philippe Bohlinger

Ineos Automotive a posé ses valises en décembre 2020 sur le site Smartville, à cinq petits kilomètres de l'usine chimique Ineos Polymers de Sarralbe où le groupe fabrique des granulés de plastiques pour l'emballage, les canalisations et... l'automobile. Par chance, Daimler venait d'investir à Hambach 500 millions d'euros pour produire un SUV Mercedes, en parallèle de la petite citadine électrique Smart. Le nouvel atelier de ferrage, l'atelier de peinture semi-automatisé et le laboratoire de contrôle qualité dernier cri entraient tout juste en activité au moment de l'annonce de la cession de l'usine.

"Ineos a pu s'appuyer sur les vingt années d'expérience des personnels. Ils ont grandi avec le site !"

Les chaînes de production ont tout de même dû être adaptées aux mensurations de l'imposant Grenadier. À l'atelier de ferrage, il a fallu reprogrammer les 252 robots œuvrant à l'assemblage des tôles embouties pour former la carrosserie. L'aluminium s'est également substitué à l'acier dans les ouvrants (portières, hayon, capot) pour alléger le véhicule affichant tout de même 2 800 kg sur la balance. Un important enjeu résidait également dans l'étanchéité du véhicule tout-terrain, une étape réalisée dans l'atelier de peinture. "L'étanchéité classique par l'extérieur a été renforcée par une étanchéité par l'intérieur", éclaire Pascal Walker, responsable des ateliers peinture.

Ineos étant un nouveau venu dans l'automobile, les standards de production sont restés ceux de Mercedes, avec des temps de cycle inchangés, un véhicule sortant toutes les 5 minutes de l'usine. Mais il a tout de même fallu consacrer 100 000 heures à former le personnel. "Ineos a pu s'appuyer sur les vingt années d'expérience des personnels. Ils ont grandi avec le site ! La moyenne d'âge en témoigne. Elle était de 25 ans à l'inauguration de Smartville, tandis qu'aujourd'hui elle avoisine les 45 ans", pointe Philippe Steyer, le président d'Ineos Automotive France.

Fournisseurs curieux

Lynn Calder, présidente-directrice générale de la division automobile d'Ineos et Philippe Steyer, président d'Ineos Automotive France — Photo : Philippe Bohlinger

Le groupe a importé à Hambach les normes de sécurité particulièrement exigeantes de l'industrie chimique. "Nous n'étions pas mauvais, mais les standards plus élevés d'Ineos, nous ont permis de progresser et de diviser par dix le taux d'accident du travail en trois ans. Sur le plan des achats, le groupe nous a permis de profiter de précieux leviers de discussion auprès de PPG Industries ou encore de BASF nos fournisseurs de peintures. En effet, Ineos est un de leurs importants fournisseurs de composants de base. Cela a permis de rétablir un certain équilibre, car avec 30 000 véhicules par an en vitesse de croisière, nous n'avons pas un grand poids dans les négociations", analyse Philippe Steyer.

"Nos fournisseurs nous suivaient non pas tellement par intérêt commercial, mais par intérêt pour le projet du Grenadier"

Alors que les ventes des autres constructeurs se chiffrent en millions, la petite taille du néo-constructeur britannique aurait d'ailleurs pu être un handicap. "Au final, nous nous sommes aperçus que nos fournisseurs, BMW pour les moteurs ou encore ZF Friedrichshafen pour les boîtes de vitesses, nous suivaient non pas tellement par intérêt commercial, mais par intérêt pour le projet du Grenadier", livre Lynn Calder.

À Hambach, les inquiétudes sociales liées au départ de Daimler, ont laissé peu à peu la place aux préoccupations de réglage des lignes inhérentes à la montée en cadence de la production de série lancée en octobre 2022. La première équipe a atteint cet été son objectif de production de 70 véhicules par jour, ouvrant la voie au lancement d'une seconde équipe à la rentrée 2023. Le changement est visible à l'intérieur même du site : les massifs Grenadier stationnent désormais un peu partout en bordure des bâtiments de production, aux emplacements autrefois occupés par les petites citadines électriques Smart. À la pleine cadence en 2024, le nouveau véhicule fera travailler 1 500 personnes.

Mobilité des salariés

Le laboratoire de contrôle qualité réalise en une fois 4 700 points de contrôle sur la carrosserie du Grenadier — Photo : Philippe Bohlinger

Au moment du rachat par Ineos, l'usine comptait 1 600 salariés : 900 chez Daimler repris par le groupe pétrochimique et 700 chez ses sous-traitants "partenaires" installés sur le site même. Cette coopération inédite entre un constructeur et ses sous-traitants, longtemps citée en exemple, a montré ses limites. Ineos Automotive n'a en effet pas retenu les sous-traitants installés à Smartville pour le projet du Grenadier, mais leurs salariés ont eu la possibilité de rejoindre ses effectifs. Parmi les 700 salariés des sous-traitants, 550 ont accepté de rejoindre Ineos Automotive dans le cadre d'un accord dit de mobilité. Ils sont entrés petit à petit dans les rangs du constructeur automobile, au fur et à mesure de montée en cadence du Grenadier. Resteront 150 salariés chez les sous-traitants à l'arrêt de la Smart en mars 2024. Leur sort devrait être scellé dans le cadre de plans sociaux. "Nous avons lancé 90 propositions de recrutement aux salariés des sous-traitants encore sans solution, car nous avons encore besoin d'accroître nos effectifs qui sont actuellement de 1 200 salariés en CDI. Mais l'appel a reçu peu d'écho. Nous sommes sans doute arrivés au bout de ce que nous pouvons proposer", analyse Philippe Steyer. Le dirigeant compte désormais puiser dans son vivier de 500 intérimaires pour atteindre les 1 500 salariés.

Le groupe table sur 800 à 1 000 ventes par an, soit dix fois plus que ses premières estimations.

Il s'agit de pouvoir honorer les pré-commandes qui se multiplient un peu partout dans le monde. En juillet dernier, des Grenadier avaient été livrés sur 27 marchés, le premier d'entre eux étant le Royaume-Uni. Si l'Allemagne, au même titre que l'Australie, constitue un important débouché, les marchés d'Europe du nord, à la pointe du développement durable, seraient moins réceptifs aux atouts de ce lourd véhicule thermique. En France, alors que le malus CO2 applicable au Grenadier atteint 50 000 euros cette année, le groupe table néanmoins sur 800 à 1 000 ventes par an, soit dix fois plus que ses premières estimations. La commercialisation d'une version utilitaire - exemptée de malus - à partir de 68 000 euros, n'est pas étrangère à ces meilleures performances...

Eldorado américain

La chaîne d'assemblage du Grenadier occupe le bâtiment central sur le site de 82 hectares — Photo : Philippe Bohlinger

Le constructeur mise aujourd'hui beaucoup sur l'Amérique du nord qui devrait être, de loin, son premier débouché. "Le lancement commercial y a pris environ un an de retard par rapport au reste du monde. Mais, moins d'un mois après l'ouverture des précommandes fin mai 2023, les préventes avaient déjà dépassé celles du Royaume-Uni", se félicite le président d'Ineos Automotive France. La tendance va encore s'accélérer suite à la présentation d'une version pick-up cet été, le continent nord-américain constituant un marché de pick-up par excellence. La ligne d'assemblage de la benne sur le châssis est d'ailleurs d'ores et déjà en place à Hambach. Le lancement d'une version "châssis-cabine" en début d'année prochaine marquera le démarrage des ventes pour des flottes professionnelles. Ce châssis nu permettra aux carrossiers d'y fixer selon les besoins, des cellules d'ambulance, de camping ou encore de fourgon. "En France, nous avons été approchés par le ministère de la Défense et nous sommes en discussion avec le Raid, l'unité d'élite de la police nationale. À l'international, nous avons entre autres signé un partenariat avec l'ONG Halo spécialisée dans le déminage qui exploite une flotte de 3 000 véhicules 4x4. Tous ces acteurs ont besoin de véhicules robustes et fiables qui ne soient pas dépendants du rechargement de batteries électriques", insiste Philippe Steyer.

Avec l'arrivée du Grenadier sur le marché, le service après-vente s'organise en parallèle au niveau mondial en partenariat avec l'allemand Bosch. Les partenaires commerciaux du Grenadier formeront l'épine dorsale du réseau, avec une couverture supplémentaire fournie par les points de vente Bosch Car Service.

Ligne inoccupée

La délicate opération de « mariage » de la carrosserie et du châssis s'effectue sur un temps de cycle de 5 minutes — Photo : Philippe Bohlinger

Tout semble donc en place pour écrire un nouveau chapitre de l'histoire de l'usine ultramoderne, inaugurée en 1997 par Jacques Chirac, président de la République. L'arrêt de la production de la Smart d'ici quelques mois, une marque cédée au chinois Geely, tournera définitivement la page de la voiturette. Une ligne de production complète sera à cette occasion libérée sur le site. Le groupe est actuellement en discussion avec Dailmer qui s'était engagé à maintenir le niveau d'emploi à Smartville. Dans le cadre de cet accord, 35 salariés travaillent depuis trois ans à l'assemblage des faces-avant des Mercedes électriques EQA et EQB.

Quoi qu'il en soit, les équipes d'Ineos Automotive sont en passe de réussir leur challenge. Cette année 15 000 véhicules devraient sortir au total des ateliers de Hambach, un chiffre qui devrait avoisiner 30 000 véhicules en 2024, sa vitesse de croisière et a priori son seuil de rentabilité. "Une partie du défi est désormais derrière nous, mais une autre partie est encore devant nous, avec le challenge de réussir à produire et commercialiser des véhicules zéro émission de CO2 (lire par ailleurs)", pointe Lynn Calder.

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