Frappé au cœur, le secteur touristique mise sur la clientèle française
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Frappé au cœur, le secteur touristique mise sur la clientèle française

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Ils ont raté leurs vacances de Pâques et leurs ponts de mai et, malgré la phase deux du déconfinement, leur mois de juin reste incertain. L’été qui s’annonce cristallise donc tous les espoirs et toutes les initiatives des 313 000 entreprises françaises du tourisme, vitales à l’économie française et ses territoires.

Les séjours domestiques ne compenseront pas l’absence de clientèle étrangère. La perte de chiffre d’affaires serait de l’ordre de 500 millions de nuitées, correspondant à une perte de consommation touristique estimée à 65 milliards d’euros — Photo : © Isabelle Evrard - Le Journal des Entreprises

Après une année 2019 exceptionnelle, la menace de la Covid-19 est arrivée au pire moment. « À la naissance de la haute saison, il a fallu tout fermer, tout arrêter », rappelle François de Canson, président du Comité régional du tourisme de la région Sud, première région touristique française avec 212,5 millions de nuitées enregistrées l’année dernière. « Ainsi, sur 20 milliards d’euros de retombées économiques touristiques, cinq milliards sont déjà condamnés. Les impacts sont massifs, fulgurants et généralisés avec 98 % de nos professionnels à l’arrêt », déplore Renaud Muselier, président de la Région Paca.

Le constat est le même partout. En Vendée, où le tourisme est le premier secteur économique, Franck Chadeau, président de la fédération vendéenne de l’hôtellerie de plein air, s’attendait à une saison touristique 2020 exceptionnelle. Aujourd’hui, il sait d’ores et déjà qu’avec le manque à gagner du printemps, lui et ses confrères partent sur « une baisse de chiffre d’affaires de 20 à 30 %. » Plus au Sud, du côté de Bordeaux et notamment de son littoral, Didier Arino, directeur général associé du cabinet de conseil Protourisme, estime que 7 millions de nuitées manqueront à l’appel et évalue à plus d’un tiers les bénéfices déjà perdus. Au bord de la Méditerranée, à Nice, le Splendid Hôtel (4 étoiles), a fermé ses portes pour la première fois de son histoire. « Même pendant la guerre, il était resté ouvert », raconte Michel Tschann, troisième génération à la tête de l’établissement. À Saint-Malo, le coronavirus a balayé le business plan de l’hôtel Le Grand Bê : « depuis le début de l’année, nous avons perdu 80 % de notre activité et nous prévoyons de ne faire que la moitié de notre chiffre d’affaires en 2020 (3,50 M€ de CA en 2019, NDLR) », détaille sa directrice Odile Mérel.

Les mesures de confinement et de restrictions ont eu un impact considérable pour la filière tourisme, qui représente plus de 7 % du PIB français (la consommation touristique s’élevait à 173 milliards d’euros en 2018, NDLR) et les pertes atteignent plus de 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires selon le cabinet de conseil Protourisme. La Direction générale des entreprises et Bpifrance estiment la perte d’exploitation du secteur à environ 1,3 milliard d’euros, les mesures de chômage partiel, de fonds de solidarité et de réduction des charges ayant permis d’amortir 42 % de la baisse de chiffre d’affaires mensuel.

Une reprise attendue et préparée

Dans ce contexte, les professionnels touristiques ont tous accueilli avec soulagement la deuxième phase du déconfinement. « Le secteur sort enfin la tête de l’eau », a réagi Roland Héguy, président confédéral de l’Union des Métiers et des Industries de l’hôtellerie (UMIH). Ce feu vert, ils l’attendaient tous et s’y étaient préparés puisque selon l’observatoire de l’économie touristique, 96 % des professionnels du tourisme et des loisirs avaient adapté leurs sites aux nouvelles normes sanitaires à la sortie du confinement. Dès la mi-mai, les CCI de Bretagne prenaient ainsi l’engagement de former à distance les salariés du tourisme, d’accompagner sur le terrain les chefs d’entreprise et de jouer les premiers rôles pour s’assurer que les mesures sanitaires et de sécurité sont bien appliquées. Les campings français aussi se sont adaptés, même si par rapport à d’autres types d’hébergements, ils avaient plus de facilités à respecter la distanciation sociale, les emplacements étant souvent suffisamment vastes.

Ainsi préparés, tous attendaient la reprise et avec elle le retour des réservations. Dès le 14 mai, les touristes avaient montré les premiers signes d’une confiance retrouvée et « nous avions alors constaté un fort frémissement des réservations. Depuis le 28 mai, ça marche bien et plus de 30 % des réservations auprès de la SNCF sont pour la Région Sud », confiait François de Canson, lors du lancement d’une campagne de communication record à destination de la clientèle française. Les professionnels de l’hôtellerie varoise de plein air, nombreux à penser que les Français auront envie de séjourner en campings cet été, ont également confirmé cette tendance, de même que Lionel Maurin, directeur commercial du groupe aixois Monalisa qui compte 26 établissements dont 10 résidences dans les Alpes du Sud, deux hôtels dans le Var et un hôtel à Salon-de-Provence : « Si juin s’annonce encore comme un mauvais mois, à partir de la mi-juillet et jusqu’à la fin du mois d’août, nous constatons une montée en charge importante des réservations. » Même son de cloche à Saint-Malo, où Odile Mérel constate que « les coups de fil repartent et les réservations avec. » Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, elle entrevoit également de pouvoir accueillir prochainement des touristes étrangers, qui représentent en temps normal 30 % de sa clientèle.

Une saison estivale qui ne ressemblera à aucune autre

Mais, même si les frontières rouvrent petit à petit, l’été 2020 sera avant tout Français. Sur l’année, l’Organisation mondiale du tourisme prévoit une contraction des arrivées internationales de 60 à 80 % et dans sa dernière note de tendances du mois de juin, l’observatoire de l’économie touristique précise que les réservations de vols vers la France à trois et six mois ont chuté de 90 % en provenance d’Asie et de 75 % pour le reste du monde. La DGE prévoit cette année une baisse de près des deux tiers des séjours des étrangers en hébergement marchand et de 50 % en hébergement non marchand. « Nous savons que nous ne ferons pas un été habituel. En juillet, on devrait avoir entre 20 et 30 % d’occupation. On travaillera même si nous ne faisons pas de bénéfices. Cela dépendra beaucoup de la réouverture des frontières. Les Britanniques représentent notre première clientèle. Les derniers à revenir seront sans doute les Américains, qui habituellement viennent surtout l’été. Nous aurons sans doute des Canadiens avant, et des Russes, Aeroflot ayant remis des vols à partir d’août », confie le Niçois Michel Tschann, également président honoraire du syndicat des hôteliers. La Normandie a, quant à elle, fait une croix sur l’accueil des touristes étrangers, notamment des Américains et Britanniques, friands des plages du Débarquement. En Vendée, Franck Chadeau, espère que la clientèle étrangère, qui représente 18 % des touristes dans le département, sera remplacée, au moins en partie, par la clientèle de proximité.

Car dans tous les départements et toutes les régions, les Français sont particulièrement attendus et des campagnes de communication se multiplient pour séduire cette clientèle hexagonale. Pour compenser la perte des clientèles internationales, qui représentent, en temps normal, 40 % des touristes à l’année, le CRT Provence-Alpes-Côte d’Azur a ainsi bâti un plan de communication de 2,1 millions d’euros et les professionnels azuréens et provençaux se disent prêts à être encore meilleurs que d’habitude pour offrir aux Français « des vacances exceptionnelles » et saisir « cette opportunité unique de faire découvrir ou redécouvrir notre Région », souligne Sébastien Tailpied, le directeur de l’hôtel 5 étoiles, La Mandarine, à Saint-Tropez.

« Difficile de retrouver les chiffres d’affaires d’avant crise »

Les professionnels sont nombreux aussi à espérer une saison qui dure au-delà du mois d’août. Le Comité régional du tourisme Paca a déjà prévu une campagne de communication pour dynamiser l’automne. Vendée Expansion entend mettre le paquet sur l’arrière-saison avec la perspective du Vendée Globe, en novembre. Et les professionnels azuréens misent énormément sur le Tour de France (du 29 au 31 août) qui, dans un contexte d’annulation de tous les grands événements de l’été, sera le prochain grand rendez-vous d’envergure de la ville et de la métropole niçoises. Un parcours estampillé « Vous êtes sur la route du Tour de France » a été imaginé pour attirer une clientèle cyclo touristique dès le mois de juillet.

Les professionnels et les fédérations touristiques joignent leurs forces pour sauver cet été 2020. Ils sont aussi réalistes, à l’image de Michael Dodds, directeur général de Normandie Attractivité, pour qui « ce qui est perdu l’est définitivement. » Franck Chadeau du syndicat vendéen de l’hôtellerie de plein air est tout aussi prudent : « il ne faut pas se dire que la crise est passée, je pense que la crise est à venir. Cet hiver, nous aurons les premières conséquences de cette crise sanitaire. » Les CCI de Bretagne, présidées par Jean-François Garrec, ajoutent que « tous les chefs d’entreprise n’ont pas de vision à court terme et à long terme de ce que sera leur activité. » Dans ce contexte et même si les aides gouvernementales sont globalement bienvenues, certains, comme Laurent Tournier, président de l’UMIH de la Gironde, demandent des « aides sonnantes et trébuchantes ». Et d’ajouter : « nous pensons qu’il va être difficile de retrouver les chiffres d’affaires d’avant crise. Peu d’entreprises peuvent être rentables quand elles fonctionnent à -30 ou -50 %. » Pour sauver leur écosystème touristique varois, qui représente 3,7 milliards de recettes annuelles et plus de 27 900 emplois, directs et indirects, les syndicats patronaux du premier département touristique de France après Paris, ont d’ailleurs lancé une pétition, assortie de propositions. Du Nord au Sud, d’Est en Ouest, tout le monde y va de son initiative pour que la France reste le premier pays touristique du monde. Le verdict tombera à la rentrée : « Si on arrive à faire une saison satisfaisante, nous regarderons l’avenir avec sérénité, si a contrario, elle est mauvaise, cela risque d’être catastrophique », conclut Franck Chadeau.

Un tourisme à réinventer

Le tourisme voit dans cette crise une opportunité de se réinventer. Pour Anne Gombault, professeur de management à Kedge Business School, « la crise de la Covid-19 pose la question du sens d’un tourisme globalisé et invite à repenser l’industrie du tourisme dans une approche critique. Pour elle, l’idée générale serait d’aller vers un tourisme responsable, durable et innovant socialement, qui se structure sur l’identité des territoires (non délocalisables) et qui les dynamisent. » Un constat confirmé par Michael Dodds de Normandie Attractivité, pour qui cette crise est « l’occasion de proposer un tourisme plus qualitatif et plus respectueux des enjeux environnementaux. » Dans le contexte actuel, « les touristes chercheront du vrai, ils ont besoin de réassurance », assure Renaud Muselier, président de la Région Paca, qui travaille d’ailleurs sur un projet, baptisé The Explorers, pour « une mise en image d’exception, un inventaire de tout ce que nous avons de plus rare et de plus précieux à transmettre. » Les thématiques du green tourisme et du slow tourisme, déjà plus ou moins explorées selon les territoires, ont définitivement le vent en poupe et les destinations sont de plus en plus nombreuses à valoriser des activités à faire près de chez soi, comme « la Loire à Vélo » ou « un air de Bordeaux ». Parmi ces activités de proximité, les festivals sont nombreux à vouloir profiter de cette année blanche pour se réinventer, à l’image du Reggae Sun Ska, un des gros festivals de l’été, organisé à Vertheuil dans le Médoc. Son directeur Fred Lachaize trouve dans cette crise « le temps de préparer un festival 2021 plus intelligent et plus responsable, en nous tournant vers le local. » Il y voit, pour tous, une occasion unique, de « recommencer à penser à ce qui nous entoure. »

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