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Dans la tourmente, Casino cherche une sortie de crise 
Enquête Loire # Distribution

Dans la tourmente, Casino cherche une sortie de crise 

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Casino peut-il disparaître ? Plombé par le poids de sa dette, le groupe contrôlé et dirigé par Jean-Charles Naouri tente de négocier avec les créanciers tout en poursuivant sa cession d’actifs. Les candidats à la reprise de tout ou partie du groupe avancent, eux, leurs pions sans toutefois rassurer salariés et les syndicats, qui craignent une vente à la découpe et la disparition du groupe.

À Saint-Etienne, le siège social de Casino emploie toujours près de 2 000 salariés malgré le transfert de certaines activités sur Vitry — Photo : Gilles Cayuela

Le groupe Casino et ses enseignes vont-ils disparaître du paysage français de la grande distribution ? À Saint-Etienne, où le géant de la distribution (208 000 salariés ; 33,6 Md€ de CA en 2022) a vu le jour il y a 125 ans, la question est sur toutes les lèvres et nourrit les inquiétudes quotidiennes des quelque 2 000 salariés qui, malgré le transfert ces dernières années de certaines fonctions supports sur le siège de Vitry (Val-de-Marne), travaillent toujours au siège social de Châteaucreux (Loire).

"Sur le plan économique et social, nous sommes très inquiets. Cela fait six ans que la CFDT alerte la direction sur la dette colossale du groupe et malgré toutes les ventes d’actifs (GreenYellow, Leader Price, Floa, Mercialys, etc., NDLR), cela ne baisse pas", constate Jean-Luc Farfal, délégué syndicat CFDT du groupe Casino.

Près de 10 milliards d’euros de dettes

Entre les 6,4 milliards d’euros de dettes (à fin 2022) du groupe Casino et les près de 3 milliards d’euros de dettes cumulées par Rallye et la cascade de holding (Euris, Finantis, Foncière Euris) qui ont permis à Jean-Charles Naouri de prendre le contrôle du distributeur en 1992 et d’en devenir le PDG en 2005, l’empire Casino croule aujourd’hui sous près de 10 milliards d’euros de dettes.

Une situation intenable qui a conduit le groupe ligérien à entrer en procédure de conciliation avec ces créanciers, le 25 mai 2023, "pour une durée initiale de quatre mois, éventuellement prorogeable d’un mois", indiquait le groupe dans un communiqué. En attendant l’issue de cette procédure, qui pourrait déboucher sur un étalement du remboursement de la dette de la société Casino Guichard Perrachon et de certaines de ses filiales, voire sur une réduction significative du poids de cette dernière pour permettre au groupe de se donner de l’air, Jean-Charles Naouri poursuit sa cession d’actifs.

Le 12 juin 2023, le PDG du groupe Casino a présenté au Comité Social et Économique Central (CSEC) la liste des 119 hypermarchés et supermarchés (10 en région Auvergne-Rhône-Alpes) qui seront cédés au Groupement Les Mousquetaires (48,93 Md€ de CA en 2022), dans le cadre de la prolongation de leur protocole de partenariat signé le 26 mai 2023. Une première vague de 57 magasins devrait ainsi tomber, d’ici à la fin de l’année, dans l’escarcelle du numéro 3 français du secteur derrière Leclerc et Carrefour. 62 autres seront cédés sous trois ans.

La cession à Intermarché symbole d’un échec commercial

"Nous payons le prix fort d’une politique commerciale menée complètement à l’envers depuis des années et qui nous a fait perdre l’économie de tous nos hypermarchés et supermarchés. Aujourd’hui, ce sont 4 000 salariés qui vont partir chez Intermarché. Ils vont conserver leur emploi et conditions salariales pendant 15 mois mais après ? Intermarché est un groupement d’indépendants, ils font ce qu’ils veulent", s’inquiète Jean-Luc Farfal.

Même son de cloche du côté de la CGT. Dans un tract, le syndicat dénonce "la casse sociale qui découlera de la cession des magasins à Intermarché" et dénonce "les erreurs stratégiques majeures de Jean-Charles Naouri et des opérationnels de Casino". "La baisse de personnel, le manque de positionnement, l’absence de service client, le déploiement à outrance des caisses automatiques, un tarifaire excessivement cher, ont tué nos magasins", s’insurge la CGT.

Et les chiffres sont là pour leur donner raison. Selon Kantar, Casino détenait, en 2012, 10,5 % des parts de marché de la grande distribution en France. En 2023, ce ratio est tombé à 5,9 %. "Et les cessions n’expliquent pas tout puisque même sans Leader Price, Casino détenait tout de même 7,8 % des parts de marché en 2012. La raison de cette perte de compétitivité tient dans la mécanique financière mise en place par Jean-Charles Naouri basée sur l'endettement, avec ses conséquences néfastes pour la compétitivité commerciale", explique Noël Zierski, consultant indépendant et ancien directeur général d’Intermarché.

Pour ce spécialiste de la grande distribution, "Naouri a élaboré un méccano financier, certes brillant intellectuellement, mais aboutissant a posteriori à un géant aux pieds d'argile, avec un empire construit sur un excès de dette, contraint de mettre en place une politique commerciale orientée finance et non clients". Manque d’entretien du parc de magasins, politique tarifaire trop élevée, "Jean-Charles Naouri a, semble-t-il, préféré maximiser le versement de dividendes aux actionnaires pour permettre à ses holdings de rembourser leurs dettes plutôt que d’investir dans la politique commerciale. Résultats, les enseignes Casino ont décroché en termes de compétitivité prix".

Problème : à trop vouloir maximiser le versement de dividendes, on finit par affaiblir sa capacité commerciale à générer des bénéfices et, in fine à rembourser ses dettes. Et c’est ce qui s’est passé pour le groupe Casino. "En 2015, le fondateur du fonds spéculatif Muddy Waters, Carson Block, a joué les lanceurs d’alerte en expliquant que toute la construction du groupe Casino reposait sur du sable. Tout le monde l’a pris pour un fonds activiste. Mais à partir de 2018, les banques ont pris conscience que l’édifice Casino n’était peut-être pas si solide que ça et début 2019, elles ont imposé au groupe un plan de désendettement", rappelle Noël Zierski.

Résultat, depuis 2019, Casino vend à tour de bras et ne verse plus de dividendes à ses actionnaires rendant ainsi le remboursement de la dette des holdings de contrôle de Jean-Charles Naouri très compliqué.

"Casino va céder au Groupement Les Mousquetaires 1,15 milliard d'euros de chiffre d'affaires. 1,6 milliard, même s'il actionne la troisième tranche de 500 millions d'euros. Aucun média n'en a parlé mais cela représente 25 % du chiffre d'affaires des hypermarchés et supermarchés Casino en France. C'est énorme !"

Le siège et la logistique impactée ?

Et ce n’est pas la cession de 119 magasins à Intermarché qui va changer la donne. "Casino va céder au Groupement Les Mousquetaires 1,15 milliard d’euros de chiffre d’affaires. 1,6 milliard, même s’il actionne la troisième tranche de 500 millions d’euros. Aucun média n’en a parlé mais cela représente 25 % du chiffre d’affaires des hypermarchés et supermarchés Casino en France. C’est énorme !", estime Noël Zierski.

Pour ce Stéphanois d’origine, qui occupa à la fin des années 90 le poste de directeur marketing de Leclerc, "Jean-Charles Naouri ne se contente plus de vendre des entreprises qu’il avait rachetées, il s’attaque désormais aux bijoux de famille, les enseignes qui lui ont permis de construire son empire. Et cela aura forcément un impact sur l’emploi à Saint-Etienne puisque les fonctions centrales qui sont au siège concernent principalement les enseignes Casino".

Attentif à la situation du premier employeur privé de Saint-Etienne, l’élu et président départemental de l’UDI, Lionel Boucher, estime que cette cession de magasins pourrait avoir aussi à terme des conséquences sur l’activité logistique du groupe, portée par sa filiale Easydis, basée elle aussi à Saint-Etienne (2 200 salariés ; 16 plateformes en France dont 3 dans la Loire).

"À partir du moment où les magasins qui vont basculer chez Intermarché ne seront plus desservis par les entrepôts de Casino, on peut craindre des pertes d’emplois dans la logistique", estime l’adjoint à la Ville de Saint-Etienne, qui a récemment adressé, sur les réseaux sociaux, une supplique à destination des actionnaires et dirigeants de Casino ainsi qu’aux potentiels repreneurs, en les invitant à "prendre en compte la situation du personnel" ainsi que les liens historiques entre Casino et Saint-Etienne. "Je ne peux imaginer que l’on puisse supprimer d’un trait de plume la relation entre Saint-Etienne et Casino", confie l’élu.

57 hypermarchés et supermarchés Casino vont passer sous l'enseigne Intermarché d'ici à la fin de l'année — Photo : DR

Auchan intéressé par le projet Kretinsky

Et pourtant, si dans les prochains mois, Jean-Charles Naouri, actionnaire majoritaire de Casino (51 % via Rallye), venait à perdre le contrôle du groupe, rien ne garantit que le siège serait conservé à Saint-Etienne. Surtout si le nouvel actionnaire de contrôle est associé de près ou de loin à un autre groupe de distribution. Ce qui pourrait bien être le cas.

En effet, parmi les candidats à la reprise de Casino, on trouve le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky qui, via sa société EP Global Commerce a.s détient déjà 10 % des parts de la société Casino Guichard Perrachon et se positionne comme le deuxième actionnaire du groupe. Propriétaire par ailleurs de 25 % de Fnac-Darty, il a fait connaître, le 24 avril 2023, son intention de prendre le contrôle du géant stéphanois de la distribution à la faveur d’une augmentation de capital d’un montant total de 1,1 milliard d’euros. Dans le montage présenté à Jean-Charles Naouri, Daniel Kretinsky apporterait 750 millions d’euros et serait associé à Marc Ladreit de Lacharrière, 3e actionnaire de Casino via la société Fimalac. Cette dernière a d’ailleurs confirmé, le 14 juin 2023, étudier la possibilité d’une participation de 150 millions d’euros pour recapitaliser Casino aux côtés de Daniel Kretinsky. Les 200 millions d’euros restant proviendraient d’une augmentation de capital réservée aux autres actionnaires de Casino.

Si le projet de recapitalisation de Daniel Kretinsky et Marc Ladreit de la Charrière venait à aboutir, Auchan pourrait bouger ses pions et se positionner comme futur partenaire industriel de Casino. Après l’échec de ses tentatives de rapprochement avec Système U en 2015, puis avec Carrefour en 2021, le distributeur nordiste pourrait trouver dans Casino le partenaire idoine pour moins dépendre de ses hypermarchés français, dont les difficultés plombent les comptes depuis plusieurs années. Un tel mariage donnerait par ailleurs naissance à un groupe qui viendrait talonner Intermarché, 3e acteur de la distribution en France.

"Auchan n'a donné aucune précision à ce jour sur le rôle exact qu'il souhaite jouer et l'investissement qu'il est prêt à apporter. Quant à Alexandre Bompard, le CEO de Carrefour, il est certainement aux aguets mais ses intentions sont probablement similaires à celles de Thierry Cotillard, le président du Groupement Les Mousquetaires.

Niel, Pigasse et Zouari aussi sur les rangs

Si pour Noël Zierski, le projet Kretinsky était jusqu'à récemment le seul "réellement crédible pour sauvegarder l’essentiel du Groupe Casino en France, à l'exception de quelques cessions complémentaires, s'attaquant au problème préalable de recapitalisation et d'abaissement de la dette", il pourrait bien se faire rapidement concurrencer par celui porté par le fondateur de Free, Xavier Niel, le banquier d’affaires Mathieu Pigasse et le spécialiste du discount alimentaire Moez-Alexandre Zouari. Le 14 juin 2023, le groupe Casino a confirmé avoir reçu une lettre d’intention préliminaire des trois hommes d’affaires, relative à une proposition de renforcement des fonds propres de Casino Guichard Perrachon. Le trio, fondateur avec la coopérative In Vivo du groupe Teract (qui le 8 juin a stoppé ses négociations avec Casino), propose un renforcement des fonds propres du distributeur stéphanois allant "jusqu’à un montant de 1,1 milliard d’euros" dont "200 à 300 millions" seraient investis par leur véhicule d’investissement 3F. "Le solde étant souscrit par des partenaires qui s’associeraient à leur projet dont les créanciers actuels qui souhaiteraient réinvestir en capital", explique un communiqué de Casino. Cette proposition "serait assortie, dans la mesure du nécessaire, d’une adaptation de la dette existante de Casino à ses capacités et à la préservation de son potentiel de croissance". Pour l’heure, "il ne s’agit pas d’une offre ferme mais d’une manifestation d’intérêt préliminaire qui pourrait ne pas aboutir", précise Casino.

Pour Xavier Kemlin, arrière-petit fils du fondateur de Casino, Geoffroy-Guichard, et actionnaire minoritaire du groupe, la meilleure solution serait encore "une liquidation rapide de Rallye de manière à permettre une OPA d’un autre groupe de distribution comme Carrefour ou Auchan. Cela permettrait de créer un leader français de la distribution avec une direction Nord et une direction Sud qui permettraient de conserver quelque chose à Saint-Etienne".

Un scenario auquel ne semble pas vraiment croire Noël Zierski. "Auchan n'a donné aucune précision à ce jour sur le rôle exact qu'il souhaite jouer et l'investissement qu'il est prêt à apporter. Quant à Alexandre Bompard, le CEO de Carrefour, il est certainement aux aguets mais ses intentions sont probablement similaires à celles de Thierry Cotillard, le président du Groupement Les Mousquetaires. Il n’est intéressé que par une partie du groupe Casino : des magasins, voire des enseignes complémentaires à son portefeuille", analyse l’ancien directeur général d’Intermarché. Celui-ci n'exclut pas à terme "une convergence des différents projets, entre le duo Kretinsky - Ladreit de Lacharrière, le trio "3 F" et l'incontournable Jean-Charles Naouri, qui permettrait d'additionner les investissements et de multiplier les solutions avec l'appui des banques".

Les syndicats demandent des comptes

En attendant d’en savoir plus sur le choix d'un éventuel repreneur à même de sauver le groupe, les syndicats de Casino ont demandé, le 12 juin 2023, une expertise financière de Distribution Casino France. "Selon les retours que nous aurons, nous déciderons ou non de lancer une procédure de droit d’alerte économique pour avoir plus de transparence sur la situation économique", expose Jean-Luc Farfal. "Les résultats sont attendus pour la fin du mois de juin. Et puis nous avons un comité de groupe le 28 juin 2023 où on espère que notre PDG nous en dira un peu plus sur la suite des événements", conclut le délégué CDFT.

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