Crise sanitaire : est-il encore intéressant pour les PME de se tourner vers la Bourse ?
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Crise sanitaire : est-il encore intéressant pour les PME de se tourner vers la Bourse ?

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La crise sanitaire liée au Covid-19 a mis en pause le calendrier des introductions en Bourse. Les investisseurs veulent désormais croire en des jours meilleurs, et attendent un retour à la croissance en 2021. Des dizaines de projets dans les secteurs du digital et du médical sont déjà engagés.

La crise sanitaire a éloigné un peu plus les entreprises de la Bourse. En France, 29 introductions ont été enregistrées en 2018, 21 l’année dernière, et seulement 14 cette année. — Photo : Euronext

Si la Bourse semble doucher l’euphorie des entreprises, la PME bretonne Ecomiam a réussi à aiguiser l’appétit des investisseurs. La société fondée en 2009, qui revendique la place de n°3 français des surgelés derrière le mastodonte Picard et le groupe familial Thiriet, a lancé son introduction en Bourse en septembre 2020. L’entreprise a séduit près de 5 000 petits porteurs, soit la plus grosse souscription en nombre de particuliers pour une offre publique à prix ouvert (OPO) cette année, collectant ainsi 12,6 millions d’euros. Un succès qui repose notamment selon le dirigeant Daniel Sauvaget sur la lisibilité de son positionnement. « Il y a certainement le fait que notre projet coche toutes les cases des préoccupations des consommateurs : l’origine des produits et leur traçabilité, la simplicité, la praticité et la qualité de l’offre, l’équité vis-à-vis des fournisseurs, l’aspect environnemental… Toutes ces notions transpirent vraiment dans notre projet, il ne s’agit pas d’artifice marketing et les actionnaires le perçoivent bien », confie Daniel Sauvaget.

Une reprise des introductions en Bourse

Une performance sur le marché boursier, qui tente de rebondir face à la pandémie mondiale du Covid 19. Les principales Bourses ont accusé en mars 2020 leurs pires baisses intra-journalières depuis la crise financière mondiale de 2008. « En mars, tout s’est arrêté, rapporte Camille Leca, directrice des opérations des activités de cotation pour le Groupe Euronext. La société nordiste d’accessoires de jeux-vidéo Nacon a réussi à s’introduire en Bourse avant le confinement, en levant 116 millions, mais elle a raccourci sa période de placement dans un contexte de marché très volatil. À l’exception de quelques opérations techniques sans levée de fonds ou de placements privés, il a fallu attendre le mois de mai pour assister à des IPO avec levées de fonds ». La société Pexip, qui fait les supports de vidéos conférences, a ainsi réalisé la première IPO virtuelle de façon dématérialisée en utilisant leur propre technologie.

Des actions qui s’envolent

Après le confinement, certaines activités ont ainsi pu se poursuivre. Des entreprises ont même vu leur action s’envoler au cours des derniers mois. « Il y a une nécessité de revenir à une production locale, à une consommation raisonnée et responsable ce qui favorise les entreprises de proximité. La crise sanitaire va changer quelque chose dans l’économie. Elle est en train de modifier les façons de travailler et va renforcer le lien social en remettant de la substance industrielle dans le pays », parie Louis Victor d’Herbès, fondateur du Listing Sponsor IBI (Industrie Bourse International), créé en 1996, dont l’activité consiste à aider les entreprises à être cotées sur les marchés boursiers. Des secteurs comme l’alimentaire et le digital ont profité de cette période. Mais ils ne sont pas les seuls. Le médical est dans une forme olympique. L’action d’Euromédis, qui développe des gants médicaux à usage unique, des compresses, des mouchoirs et la valeur de l’action Biosynex, entreprise alsacienne qui commercialise des dispositifs médicaux pour le dépistage de certaines maladies, ont flambé depuis le début de la crise sanitaire. Le secteur du développement durable et de la transition énergétique monte également en pression. La PME McPhy Energy, spécialisée dans l’hydrogène, a suscité début 2020 un engouement des investisseurs jamais vu depuis longtemps. Lorsqu’elle s’est introduite en Bourse en 2014, la société, basée dans la Drôme, réalisait 3 millions d’euros de chiffer d’affaires et a réussi à lever 32 millions d’euros. En 2019, l’entreprise a enregistré un chiffre d’affaires de 11,4 millions d’euros et a levé 180 millions. Preuve donc que les investisseurs sont intéressés par les projets de croissance.

Une année 2021 qui s’annonce chargée

Une reprise d’activité plutôt rassurante. Car depuis trois ans, le marché boursier enregistre un ralentissement du nombre de nouvelles entrées. En France, 29 introductions ont été enregistrées en 2018, 21 ont été réalisées l’année dernière, contre 14 en 2020, tous segments confondus : Euronext, Euronext Growth (PME ETI), Euronext Access (start-up et PME). Une tendance lourde qui s’explique par la montée en puissance des fonds de private equity. « Les processus de dual, voire de triple track, à savoir la mise en compétition de la Bourse, de la cession à un industriel et des fonds de capital-investissement sont devenus monnaie courante. 70 % des nouvelles IPO (initial public offering) sont issues de portefeuilles de fonds. In fine, cela est plutôt positif car les sociétés arrivent en Bourse plus matures et bénéficient de davantage de capitaux en amont, ce qui est apprécié par le marché », rapporte Camille Leca.

En France, des dizaines de projets sont déjà engagés dans les secteurs du digital et des sciences de la vie. « C’est plus que l’année dernière sur la même période. Les banquiers conseils prévoient que l’année 2021 va être assez chargée et commencent déjà à être sélectifs dans les dossiers », renchérit Camille Leca. C’est très positif. Cela témoigne de l’appétit des investisseurs pour les relais de croissance ».

Des valorisations plus raisonnables

Louis Victor d’Herbès est également prudemment optimiste pour l’avenir de la Bourse. Selon lui, les marchés restent des bassins de liquidités. Une fonction essentielle qui permet aux épargnants de revendre leurs titres pour saisir d’autres opportunités. L’expert, qui a travaillé dans les holdings d’investissement et le private equity, a réalisé une analyse détaillée des quelque 1 000 lignes publiées par la place de marché sur l’année 2017. Cette étude permet d’établir que les 185 entreprises cotées sur Euronext Growth (ex-Alternext) ont un taux de rotation du capital (rapport entre le nombre d’actions échangées sur un an et le nombre d’actions composant le capital) de l’ordre de 36 %. Les 197 entreprises du « compartiment C », qui représentent 14 milliards d’euros de capitalisation boursière au total, affichent, elles, un taux de rotation moyen de 52 %, avec 7 milliards d’euros de transactions dans l’année. C’est plus que les entreprises du « compartiment A », qui ont une rotation moyenne de 30 %. Il apparaît donc que le taux rotation du capital des PME cotées en Bourse s’établit, en moyenne, autour de 45 %. « Loin des idées reçues, il y a une réelle tonicité des échanges des actions des PME cotées, analyse-t-il. C’est l’outil par lequel les entreprises vont pouvoir constituer leurs fonds propres, en faisant appel à l’épargne ». Une entreprise cotée en Bourse peut ainsi financer ses projets de développement et nourrir de nouvelles ambitions de croissance. Le groupe immobilier Capelli entré sur le marché en 2004 avec un chiffre d’affaires de 10,3 millions d’euros l’année précédant son introduction en Bourse a bondi à 126,3 millions d’euros en 2017. Dans le même temps, la valeur boursière du groupe qui était de 40 millions d’euros le premier jour de cotation a atteint 120 millions d’euros en 2018.

Si le marché reste ouvert et prometteur en France, les candidats aux IPO doivent être plus raisonnables sur les niveaux de valorisation attendus, préviennent toutefois les experts. « L’entrepreneur ne doit pas regarder que le succès immédiat de son introduction en Bourse, mais prendre davantage de recul et préparer l’after market. Il doit communiquer des objectifs qu’il est capable de délivrer et doit laisser de la place pour que le cours de la Bourse évolue. La valorisation doit être la plus juste possible », explique Camille Leca. Le risque d’une valorisation très élevée à l’occasion d’une introduction en Bourse ? Que les cours fondent de moitié en quelques mois, faisant ainsi fuir les investisseurs.

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