Accélérée par la crise sanitaire, la RSE est-elle vraiment un facteur de performance pour les entreprises ?
Enquête # RSE

Accélérée par la crise sanitaire, la RSE est-elle vraiment un facteur de performance pour les entreprises ?

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La démarche RSE qui se retrouve sous le feu des projecteurs : c’est l’une des conséquences inattendues de cette crise sanitaire. Alors que ce type de démarche est plus facile à conduire quand tout va bien, les dirigeants des Hauts-de-France semblent vouloir se lancer, accélérer ou même aller plus loin, avec la certification B-Corp ou le statut d’entreprise à mission. Souvent intégrée dans les plans de relance publics comme privés, la RSE est-elle réellement un facteur de performance pour les entreprises ?

— Photo : Norsys

Démarche encore marginale il y a dix ans, la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) est désormais sur toutes les lèvres. La crise sanitaire du Covid-19 semble avoir éveillé les consciences, en particulier dans le monde économique. « On aurait pu penser que la crise allait mettre la RSE au bas de la pile des dossiers à traiter mais non, elle est restée tout en haut », constate Jean-Pierre Letartre, président du réseau régional Alliances, qui fédère les entrepreneurs pour améliorer leur impact social et environnemental.

Marc Burden, directeur du Réseau Entreprendre Nord (REN), confirme cet engouement. Ce réseau d’accompagnement à la création, reprise et au développement des entreprises, a publié récemment une étude portant sur la perception et les attentes de ses adhérents vis-à-vis de la RSE. « 48 % des répondants indiquent que la crise du coronavirus va provoquer une accélération de la démarche RSE. 19 % l’ont déjà mise en place et 75 % souhaitent en savoir plus sur le sujet », précise-t-il.

Bénéficier d’agilité et de résilience

Placée sur le devant de la scène depuis le printemps 2020, la RSE est pourtant une démarche qui demande du temps et des investissements. « Il est plus facile pour une entreprise de démarrer directement son activité avec une démarche RSE, que de la mettre en place par la suite », reconnaît Jean-Pierre Letartre. Un fait exacerbé en cette période de crise, qui incite plutôt les dirigeants à se concentrer sur des problématiques immédiates, comme celle de la trésorerie. « Cette démarche peut également avoir des conséquences à court terme sur le prix du produit, générant un surcoût susceptible de s’amenuiser dans la durée », ajoute Jean-Pierre Letartre (lire par ailleurs). Autant d’obstacles qui poussent à s’interroger sur les motivations des entreprises vis-à-vis de la RSE. Concrètement, qu’ont-elles à y gagner ?

Force est de constater que la RSE, aujourd’hui, n’est plus uniquement une question de sensibilité du dirigeant ou des actionnaires aux préoccupations sociales et environnementales. C’est désormais la survie de l’entreprise à long terme qui est en jeu. « Une entreprise qui ne s’inscrit pas dès à présent dans une démarche de RSE prend des risques quant à sa pérennité », assure Jean-Pierre Letartre (Réseau Alliances). Une position partagée par Marc Burden (REN) : « Il ressort de notre étude que tous les dirigeants dont l’entreprise a une démarche RSE, avancée ou non, résistent mieux ou s’adaptent mieux. Par ailleurs, je me rappelle avoir parcouru une autre étude, portant cette fois sur la crise de 2008. Elle mettait en avant que, aux États-Unis, les entreprises qui ont le moins souffert de la crise des subprimes sont celles qui avaient une démarche RSE active ». Ces deux acteurs économiques s’accordent sur ce point : les entreprises engagées dans la RSE seraient davantage connectées à leur écosystème, ce qui leur permettrait de faire preuve de plus d’agilité et de résilience. « Être engagé dans la RSE, c’est aussi anticiper les choses avant qu’elles nous tombent dessus et le télétravail en est un bon exemple », renchérit Sylvain Breuzard, dirigeant de l’ESN Norsys (CA 2019 : 45 M€), société de services en ingénierie informatique, basée à Ennevelin (Nord).

Garantir l’attractivité de l’entreprise

Mais la RSE, c’est également une question d’attractivité de l’entreprise, vis-à-vis des talents, des financeurs et des clients. Sylvain Breuzard est engagé de longue date dans la RSE et Norsys vient d’ailleurs d’obtenir le statut d’entreprise à mission. Le dirigeant est fermement convaincu de l’attractivité qu’exerce ce type de démarche sur les talents : « C’est l’impact n° 1 de la RSE, ce qui est intéressant car le coût d’un recrutement est réel. Cela permet aussi de fidéliser les salariés, dans un métier en pénurie de compétences comme le nôtre ». La RSE devient par ailleurs un des critères observés par les financeurs. « La finance privée oriente de plus en plus ses investissements vers les entreprises responsables. Les plans de relance français ou européen ont également placé la RSE dans les critères d’attribution des financements destinés à la sortie de crise », observe Jean-Pierre Letartre.

Enfin, ce sont les clients des entreprises qui se montrent également exigeants. Le grand public, bien sûr, mais pas uniquement. Les collectivités portent aussi une attention particulière à la RSE. « La percée des Verts lors des dernières élections municipales a provoqué une prise de conscience chez les élus. Chacun souhaite désormais faire de son territoire un exemple. Les acheteurs publics veulent donc intégrer cet aspect dans leurs cahiers des charges », explique Anthony Delabroy, consultant responsable de l’achat public durable au sein du CD2e, le pôle d’excellence de l’éco-transition dans les Hauts-de-France. L’organisme vient d’ailleurs de lancer un logiciel gratuit, La Clause Verte, qui facilite l’intégration de ces clauses nouvelles dans les cahiers des charges, dans le respect de la législation. D’après le CD2e, ces achats publics représentent en France 10 % du PIB, soit 200 milliards d’euros par an. L’enjeu de la RSE est donc de taille pour les entreprises concernées par ces marchés.

Perdre un appel d’offres public à cause de la RSE, c’est d’ailleurs un des déboires récents de l’industriel Thiriez Literie (CA 2019 : 21 M€), un fabricant de matelas installé à Wattrelos (Nord). Ce n’était pourtant pas faute d’être engagé, notamment sur le volet social. « Mais notre démarche n’était pas structurée, reconnaît le dirigeant, Geoffrey Thiriez. Cela nous a fait perdre de peu cet appel d’offres… Nous avions pourtant passé beaucoup de temps à expliquer nos engagements et à apporter des preuves. Notre concurrent, lui, a juste indiqué sa certification et cela a suffi ». Une mésaventure qui a poussé l’entreprise à structurer sa démarche, en vue d’obtenir les labels Iso 9001 et Iso 14 001, dans un premier temps. « Nous viserons ensuite des labels plus spécifiques à la RSE », indique le dirigeant.

Quid de la rentabilité ?

Mais le nerf de la guerre, pour les entreprises, reste avant tout la rentabilité. Peut-on mesurer les effets de la RSE dans ce domaine ? Marc Burden (REN) indique s’être penché sur la question : « J’ai réalisé des recherches, mais je n’ai pas trouvé le chiffre révélateur. Ce qui est sûr, c’est que la RSE ne nuit pas à la rentabilité : soit elle n’a pas d’impact, soit elle l’améliore. Un de nos anciens lauréats, Martin Breuvart, co-dirigeant de la société Lemahieu, pensait que les décisions structurantes qu’il avait prises, comme l’intégration d’un chef de projet RSE, allaient grever sa rentabilité. Or, elle s’est améliorée ».

L’intéressé confirme. Martin Breuvart a repris il y a deux ans l’entreprise lilloise Lemahieu, qui fabrique des vêtements et des sous-vêtements en marques de distributeurs et marques propres. « Nous avons mis en place beaucoup de choses en matière de RSE depuis deux ans, comme une prime mobilité douce pour les salariés, une autre sur la réduction des dépenses énergétiques… Cette année, nous allons arrêter le coton conventionnel pour passer en tout bio. Nous menons aussi des actions au service du territoire : lors du premier confinement, nous avons été les premiers à faire des masques en tissu évalués par le CHU de Lille, à prix coûtant, grâce à un réseau de bénévoles », détaille le dirigeant. Malgré ces actions, appelées à se renforcer puisque la certification B-Corp est à présent en ligne de mire, « l’entreprise est rentable et la trésorerie s’améliore », note-t-il. Lemahieu a par ailleurs recruté une quarantaine de salariés depuis la reprise et a clôturé son exercice, au 30 juin 2020, avec un chiffre d’affaires de 7 millions d’euros, contre 5,8 millions d’euros en 2019. Et l’action autour des masques a par ailleurs mis un formidable coup de projecteur sur l’entreprise : « Nous avons été sollicités par davantage de clients et les ventes sur notre site Internet ont augmenté de 226 % en un an, mais nous partions de très bas ».

Si la RSE ne vient ni accroître la rentabilité des entreprises de manière exponentielle, ni la réduire à peau de chagrin, son impact sur l’attractivité ou l’agilité est bel et bien palpable. Ce qui justifie sans doute que les entreprises prennent le train en marche ou accélèrent, avant qu’il ne soit trop tard. « Dans les années 90, il y avait des directions de la qualité dans les entreprises. Cela n’existe plus, car la qualité est désormais intégrée au quotidien dans les différents services. Pour la RSE, le cheminement sera le même. Nous avons connu il y a quelques années des services RSE dépendants de la direction de la communication : aujourd’hui ce sont des directions à part entière et demain, la RSE sera elle aussi intégrée au quotidien dans le management des différentes directions », analyse Jean-Pierre Letartre.

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