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En Occitanie, la filière tourisme se numérise pour sauver la saison 2021
Enquête Occitanie # Conseil en communication et marketing

En Occitanie, la filière tourisme se numérise pour sauver la saison 2021

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L’épidémie de Covid-19 accélère la transformation numérique de la filière touristique en Occitanie. Après un virage pris dans l’urgence en 2020, les nouvelles pratiques se diffusent encore, à l’orée de la prochaine saison estivale, grâce à la réactivité des opérateurs du marché régional. Mais la volatilité de la demande et les contraintes sanitaires compliquent la donne.

La Cité médiévale de Rocamadour attirait 1,5 million de touristes et de pèlerins jusqu'en 2019 — Photo : Richard Sprang

Certains experts ont évoqué, sur le plan mondial, la pire saison estivale depuis 70 ans. Il est certain que la pandémie de 2020 a durement impacté la filière du tourisme, mais la situation en Occitanie invite à nuancer le bilan. Si le premier confinement a fait l’effet d’un séisme dans certains métiers (- 94 % pour l’hôtellerie), si les touristes étrangers ont déserté (- 74 %), le déconfinement de mai 2020 a permis de limiter les dégâts : l’été venu, 75 % des professionnels hors littoral ont estimé avoir renoué avec leur niveau d’activité de 2019.

La subite digitalisation des indépendants

Ce sont les Français qui ont sauvé la saison estivale en Occitanie, non sans avoir profondément modifié leurs habitudes de consommation. Le déconfinement a favorisé la recherche d’informations en ligne et la réservation de dernière minute, prenant de cours une filière régionale formée en très large majorité de TPE familiales ou indépendantes : jusqu’en 2020, 60 % des socio-professionnels du tourisme étaient peu ou mal digitalisés. Comme pour le commerce de centre-ville avec le click & collect, ils se sont tournés en urgence vers des fournisseurs de solutions pour faire face à l’afflux de demandes. La PME perpignanaise Elloha (30 salariés), éditrice d’une plateforme de vente en ligne, a doublé son nombre d’utilisateurs d’un coup, gérant aujourd’hui un portefeuille de 7 500 acteurs touristiques. "La majorité d’entre eux est passée au numérique à marche forcée en 2020. Le smartphone s’était déjà imposé comme guide touristique de référence chez les touristes, mais une nouvelle tendance s’impose avec le Covid-19 : la réservation "contactless", sans contact physique avec le professionnel", témoigne le PDG Bruno Delmas. Pour la saison 2021, ce dernier indique que les socio-professionnels ont anticipé leur équipement dès la fin de l’hiver, et Elloha s’attend à faire un exercice au moins aussi bon qu’en 2020 (60 % de progression).

L’intelligence artificielle à la rescousse

De leur côté, les grands groupes du secteur ont engagé leur digitalisation depuis 20 ans au moins (lire par ailleurs). Mais des problèmes ont pu surgir en 2020 car leurs outils n’étaient pas totalement interconnectés ou n’étaient pas configurés pour absorber un trop-plein de requêtes. Ainsi, Camping.com (450 campings en France) a fait face à des pics de 9 000 appels par jour, pour modifier ou annuler des réservations, et ne pouvait en gérer que 10 % via ses opérateurs. Le perpignanais HelloMyBot (6 salariés), éditeur de chatbots, a été appelé en renfort. "Nous avons installé 4 assistants conversationnels chez eux, chargés d’amortir le flux des demandes en les redirigeant d’abord vers le site web, et ensuite vers le serveur vocal interactif. L’un d’eux devait répondre aux questions sur le Covid-19, en évoluant au gré des annonces de l’État", explique Xavier Fisselier, cofondateur de HelloMyBot. La PME est déjà en pourparlers avec le groupe Pierre & Vacances pour cet été.

Le basculement sur les solutions digitales reste un investissement que tous les acteurs du tourisme ne peuvent pas soutenir. À Toulouse, l’éditeur de chatbots Inbenta a fait des entreprises du voyage l’un de ses axes de prospection prioritaire. "C’est un secteur qui génère un gros volume de demandes et sur des questions récurrentes : le chatbot permet d’automatiser les réponses pour centrer les salariés sur des missions à plus forte valeur ajoutée, rapporte Alexis Zarour, directeur marketing Inbenta France. Mais on voit le fossé se creuser entre les grands comptes qui ont les moyens d’envisager un retour sur investissement à moyen terme, et les entreprises de taille plus modeste qui ne sont pas en capacité de dégager des moyens sur ces solutions."

L’enjeu majeur de la formation

Pour soutenir l’effort de digitalisation avant la prochaine saison estivale, les acteurs institutionnels et professionnels se sont mis en ordre de marche. La Région Occitanie a créé le fonds L’Occal pour l’aide directe à l’investissement, de nouvelles aides (Pass, contrats "Relance") pour les projets de développement. Pour sa part, le Comité régional du tourisme (CRT) s’oriente vers la montée en compétences des salariés des Offices du tourisme et à l’aide à la mise en marché. Au Grau-du-Roi (Gard), qui accueillait 100 000 touristes en moyenne en période pré-Covid-19, l’Office du tourisme a été proactif pour faire évoluer une offre intégrant un camping de 43 ha, une station balnéaire avec 18 km de plages, le centre aquatique Seaquarium (600 visiteurs par jour en 2019) ou encore son célèbre phare. "Nous sommes encore là pour promouvoir un territoire, mais les enjeux ne se situent plus dans l’accueil des touristes. Nous accompagnons, avec des responsables dédiés, les socio-professionnels dans l’intégration des outils numériques, même s’il y a encore des résistances", explique la directrice de station, Maud Hubidos.

Au niveau national, le portail gouvernemental France Num a lancé, à l’automne, une initiative pour favoriser la transformation des TPE-PME, par le biais de "chèques numériques" de 500 euros : les socio-professionnels du tourisme les ont largement actionnés pour refaire leurs sites web ou acheter des solutions logicielles. Ce plan d’aide intègre un MOOC, rédigé par l’institut Montpellier Management (MoMa), afin d’alerter ces acteurs sur la nécessité de se former dans le contexte actuel. "Nous constatons la volonté des socio-professionnels de s’adapter aux nouveaux comportements. Mais la culture numérique passe par les bonnes compétences pour utiliser les outils et gérer les datas qu’on récupère. Ce serait une erreur de croire qu’on a une stratégie avec l’outil. Elle doit le précéder", insiste Gilles N’Goala, professeur à MoMa et coauteur du MOOC.

Éditeur de solutions d’e-commerce ciblées sur les campings et les villages vacances, la PME toulousaine Ctoutvert (85 salariés) pointe aussi le besoin de passer un cap stratégique sur les outils numériques. "La crise sanitaire a montré les limites d’une politique commerciale axée sur la conquête de clientèles nouvelles sur le web : tout le monde achète du clic, pour un retour très incertain sur une situation de marché aussi atypique, constate Manuel Mirabel, PDG de Ctoutvert. Nous encourageons nos clients à allouer leurs ressources sur le travail de leur data, pour identifier les foyers de fidélités et être en capacité de monter des opérations ciblées sur ces anciens clients." Depuis le début de la crise, l’éditeur a enrichi ses outils d’e-commerce (réservations en ligne, tarifications, newsletters promotionnelles…) de nouvelles fonctionnalités sur la gestion des avoirs, le paiement fractionné ou la création de bons cadeaux : après quelques mois de flottement au printemps 2020, ses outils CRM ont retrouvé leur niveau de croissance d’avant-crise, entre 30 et 40 % par an.

"Ce serait une erreur de croire qu'on a une stratégie avec l'outil numérique. Elle doit le précéder." (Gilles N'Goala, Montpellier Management)

La nouvelle donne de 2020 et 2021

Avec la crise sanitaire, le marché privilégie les solutions numériques les plus flexibles, permettant d’intégrer des critères de choix en perpétuelle évolution : taux d’incidence du Covid-19, densité de la population, possibilité de réserver ou d’annuler sans frais… Fondé à Nîmes (Gard) en 2017, l’Open Tourisme Lab (OTL) a pour vocation d’accélérer les start-up innovantes de la filière, et ce à l’échelle nationale. "Les martech, orientées vers la gestion de la relation client, sont indispensables dans la façon de commercialiser. Pour chacun des besoins, en termes d’innovation technologique, d’usage, d’assemblage, de marketing, il y a désormais une start-up. Mais encore faut-il que les socio-professionnels soient dirigés vers ces offres", note Géraldine Mauduit, responsable accélération chez OTL.

Dans sa nouvelle promotion, révélée en 2021, l’accélérateur va, par exemple, accompagner la pépite catalane Real Value, qui a créé un algorithme de comptage par ordinateur identifiant les attributs démographiques (genre/âge/humeur) des visiteurs : l’un de ses premiers marchés sera le tourisme, pour la gestion des flux et des files d’attente. "Certains enjeux de digitalisation des acteurs du tourisme restent mal adressés. Le besoin d’infrastructure reste fort. Faute de réseau mobile, des sites très attractifs du littoral ne permettent pas de trouver une activité, et des sentiers de randonnées dans l’arrière-pays ne peuvent pas désengorger les flux. L’évolution en cours doit être totalement phygitale, sans négliger de numériser le terrain au-delà des enjeux marketing, faute de quoi la crise sanitaire provoquera de nouvelles déconvenues", avertit Géraldine Mauduit, identifiant un nouveau défi se posant au secteur à la veille de l’été.

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