100 PME régionales s'engagent pour un numérique plus vert
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100 PME régionales s'engagent pour un numérique plus vert

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Encore naissante, une communauté d'entreprises appelle à des usages du numérique plus responsables. Notamment en vue de réduire les consommations d'énergie et les émissions de CO2. Une centaine de décideurs a déjà rejoint ce groupe régional formé par ADN Ouest.

yr ghosdutfrysofghuo sud b sd, ghos dog — Photo : maeching - stock.adobe.com

L'épidémie de Covid-19 aura fait exploser les usages du numérique : boom des achats en ligne, cinéma en streaming, réunions par visioconférence avec Skype, Zoom ou Teams... En un mot, moins de déplacements, plus de web. Un épisode qui invite à s'interroger sur le coût caché du numérique. Certes, internet ne produit pas directement de déchets et permet d'éviter des déplacements polluants. Mais qu'en est-il de son impact global sur l'environnement ou les dépenses d'énergie ? « Combien de gens savent que la consommation d'une box internet correspond à celle d'un grand frigo ? », se demande par exemple Sébastien Chaslin, patron de Specinov à Angers, spécialiste des applications web et mobiles éco-conçues.

De l'infini dans un monde fini

À lui seul, le secteur du numérique est responsable de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, rapporte l'Ademe. En sachant que la forte augmentation des usages laisse présager un doublement de cette empreinte carbone d'ici 2025. « Stockage dans le cloud, réalité virtuelle, 5G... Le numérique reste le seul marché où l'on parle encore d'infini dans un monde fini », s'étonne Thierry Leboucq, fondateur de Greenspector (9 salariés). Basée à Nantes, sa société mesure la consommation en énergie et puissance de calcul des logiciels et matériels numériques.

Car loin d'obséder les seuls militants de Greenpeace, ces questions agitent de plus en plus le monde économique. Pour preuve, une « communauté du numérique responsable » a vu le jour dans la région, en octobre 2020, avec un lancement à la CCI de Maine-et-Loire. Précisément au sein de l'Association des décideurs du numérique « ADN Ouest », qui réunit des professionnels - du chef d'entreprise au responsable informatique - exerçant dans les nouvelles technologies ou dans des secteurs traditionnels. Leur mission : échanger sur ces questions et évangéliser les bonnes pratiques auprès de leurs pairs. Réunie sur la plateforme collaborative « Slack », la nouvelle communauté planche déjà sur des projets d'événements autour de l'accessibilité numérique et du reconditionnement de matériel.

« Le mouvement grandit aujourd'hui. Je n'aurais pas tenu ce discours il y a encore deux ans, observe Sébastien Chaslin, dont la PME a vu le jour en 1989, le Moyen-Âge à l'échelle du numérique. À l'époque, on était obligé d'optimiser les logiciels car la mémoire des disques durs restait très limitée. Beaucoup redécouvrent l'éco-conception aujourd'hui. »

Specinov, Restoria, DRI...

Une centaine de membres compose déjà la nouvelle communauté. Parmi eux, figurent des Nantais issus d'i-BP (Informatique Banque Populaire), Sigma, OnePoint, Make It Brain ou Greenspector, ainsi qu'une ribambelle d'acteurs angevins tels que Specinov, Empreinte Digitale ou la société de restauration collective Restoria. Ces trois derniers ont par ailleurs paraphé la charte de l'Institut du Numérique Responsable (IRN), lancée à l'échelle nationale. La signature a eu lieu lors de la Connected Week 2019 à Angers, en compagnie de locaux comme Baker Tilly Strego et Fidaco (cabinets d'expertise comptable) ou VideoFlex (vidéos d'entreprises).

Quelles motivations animent des entreprises aussi variées ? Principalement, la volonté d'engager ou booster une politique RSE, explique-t-on du côté d'ADN Ouest. Au sens large. Ainsi, concevoir des applications accessibles aux personnes en situation de handicap fait aussi partie des préconisations de la charte IRN, aux côtés de la limitation des dépenses d'énergie et de l'allongement de la durée de vie des équipements.

Divers volets, sur lesquelles les entreprises françaises ont plus ou moins avancé. « Une prise de conscience forte existe déjà sur les volets éthiques et sociétaux : la reconversion aux métiers du numérique, la formation, les questions de diversité, etc. En revanche, la prise de conscience des enjeux environnementaux reste émergente », observait l'an dernier Véronique Torner, administratrice du syndicat Syntec Numérique.

En Pays de la Loire, les actions concrètes se multiplient aujourd'hui. En témoigne par exemple l'émergence de data centers innovants, comme l'unité expérimentale Deep Data, refroidie naturellement dans les caves troglodytiques de Saumur (lire par ailleurs) ou le site de Datagrex au Mans. Un projet privé visant à offrir les services d'un data center vertueux et maître de sa consommation d'énergie. Ainsi, ses serveurs sont maintenus à une température de 27 à 28 degrés, plutôt que d'opter pour un rafraîchissement continu des équipements, gourmand en énergie. De plus, ce site manceau doté de 40 baies n'est pas équipé de climatisation, mais d'un système adiabatique consistant à refroidir l'air en lui faisant traverser un filet d'eau. Un processus qui remonte à l'Empire romain... « Le système est activé uniquement quand les températures extérieures sont très élevées, soit quelques mois dans l'année. », explique Gaël Brisson, patron du Nantais DRI, société sœur de Datagrex.
Ce dernier confie avoir des retours positifs : « depuis 18 mois, on vient nous voir pour notre approche » verte « du métier. » Prochain objectif, rendre le data center autonome sur sa production d'énergie, « bien entendu renouvelable ».

Des écogestes dans les PME

D'autres PME ligériennes fourmillent elles aussi d'idées. Une entreprise a notamment lancé un challenge interne pour lutter contre l'obésité des boîtes mail, sachant que l'envoi d'un courriel avec pièce jointe est aussi énergivore qu'une ampoule allumée pendant 24 heures Les éco-gestes possibles sont légion : augmenter la durée de vie d'un équipement informatique en l'éteignant le soir, éviter les sites web surdimensionnés, alors qu'un site plaquette suffit souvent pour afficher les savoir-faire de sa PME, dire stop aux « carrousels », ces blocs d'images et textes qui défilent toutes les 3 secondes en page d'accueil, énergivores, et que l'internaute n'a souvent pas le temps de voir... Des conseils distillés entre autres par Sébastien Chaslin, aujourd'hui co-pilote de la communauté numérique responsable d'ADN Ouest. « Il ne faut pas absolument réduire pour réduire, mais questionner l'usage. Par exemple : est-ce que l'utilisateur a besoin d'autant d'informations ? », ajoute l'Angevin.

Capter des marchés publics

Au-delà de la RSE, le « Green IT » peut même constituer un atout pour les entrepreneurs en quête de performance économique. « Par exemple, pour décrocher des marchés publics », souligne Thierry Leboucq. Le Nantais fait référence à la loi de 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (article 55). À compter du 1er janvier 2021, l'Etat et les collectivités territoriales, entre autres, doivent promouvoir « le recours à des logiciels dont la conception permet de limiter la consommation énergétique associée à leur utilisation. »

Application moins gourmande rime aussi, souvent, avec ergonomie, en offrant une expérience utilisateur plus fluide et plus rapide. En particulier, lorsqu'il s'agit de faire ses emplettes en ligne. « Pour un site e-commerce, on recommande un temps d'affichage des pages en moins de 3 secondes, en général. Au-dessus, vous perdez des internautes en route. Certains affirment même qu'il suffit de dépasser la seconde... », indique Thierry Leboucq. Ergonomie encore : a-t-on besoin d'une photo produit HD calibrée pour s'afficher sur de très grands écrans mais inutile sur smartphone ? Sachant que plus de 50 % de l'accès au web se fait depuis un téléphone mobile aujourd'hui. Sans doute pas. À l'inverse, côté bonnes pratiques, il est possible de faire en sorte que la photo ne s'affiche pas si la connexion depuis le téléphone s'avère trop lente. Sachant qu'un chargement long signifie une consommation de batterie plus élevée...

La question des batteries

Cette batterie suscite aujourd'hui l'attention de nombreux acteurs, comme des fabricants de smartphones qui dénoncent les applications qui surconsomment... Ou les acteurs de l'internet des objets. Ici aussi, les marges de manœuvre restent importantes. Les Nantais de Greenspector ont ainsi planché sur les objets connectés de la SNCF (ceux destinés à la détection de givre sur les caténaires, etc.). En l'aidant à mesurer la durée de vie des batteries en fonction des cas d'usage sur le terrain. Une approche utile afin d'estimer le coût complet d'un objet connecté, en intégrant au passage le coût d'un changement de batterie (pouvant parfois s'élever à des centaines d'euros, si l'objet se trouve dans un endroit peu accessible). Des questions fondamentales à l'heure où les objets connectés se comptent en milliards, à travers le monde. « Les smartphones et l'IOT, autrement dit la mobilité, vont sans doute contribuer à remettre les pieds dans un monde fini », conclut Thierry Leboucq. Bref, à revenir des nuages du « cloud » vers le monde réel.

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