« Travailleurs détachés : ce n'est pas la faute de l'Europe »
Interview # BTP # Politique économique

Jacques Chanut Jacques Chanut « Travailleurs détachés : ce n'est pas la faute de l'Europe »

S'abonner

En pleine polémique sur le travail détaché et le dumping social, Jacques Chanut, président de la fédération française du bâtiment, accuse l'État français de laisser le champ libre aux fraudeurs et au travail au noir.

— Photo : Le Journal des Entreprises

Le Journal des Entreprises : Plusieurs collectivités locales ont intégré des clauses Molière, visant à imposer l'usage du français sur leurs chantiers publics. Une instruction interministérielle dit qu'un tel dispositif est illégal... Un coup dur ?

Jacques Chanut : « Ce que conteste l'État, en termes de validité juridique, et à juste titre, c'est qu'il est interdit d'interdire. C'est-à-dire qu'on ne peut pas interdire les travailleurs détachés sur un chantier. Ce n'est absolument pas ce que nous réclamons au niveau de la Fédération française du bâtiment. Ce que nous disons, c'est qu'il est impératif de respecter sur un chantier une autre obligation légale que sont les règles d'hygiène et de sécurité. Pour cela, il faut bien comprendre quelques rudiments de français !

Les travailleurs qui ne parlent pas français sont plus sujets aux accidents du travail ?

J.C. : Malheureusement, il n'existe pas de statistiques sur les causes des accidents. Mais il faut écouter nos compagnons, nos artisans et nos chefs d'entreprise qui nous racontent tous les jours des situations ubuesques dues à une mauvaise compréhension de la langue française.

Quelle est la différence de coût pour une entreprise entre un travailleur détaché et un salarié français ?

J.C. : Cela dépend des pays, mais lorsque l'on fait une moyenne, en prenant en compte l'hébergement, la nourriture et les frais de traduction, le recours à un travailleur détaché coûte 5 à 10 % moins cher. C'est une concurrence difficile, mais cela reste jouable. Le problème, c'est qu'aujourd'hui des officines proposent des travailleurs détachés à 30 ou 40 % du coût. Il est impossible de respecter la loi avec de tels tarifs. Nous nous battons contre les fraudes massives et organisées, pas contre le détachement. Et ce n'est pas la faute de l'Europe ! La directive du détachement est sans doute améliorable. Mais ce que nous voulons avant tout, c'est qu'elle soit appliquée. Si la fraude n'a pas été combattue dans notre pays, c'est de la faute de l'État français. Les lois existent en France, on n'a plus besoin d'outil législatif, on a besoin de plus de contrôles". Mais pas que le mercredi à 16 heures. Il faut des contrôles de dépassement d'heures le week-end et tard le soir, pour s'adapter aux pratiques de ceux qui trichent.

Cela semble aller mieux dans le bâtiment. Le secteur a fini de manger son pain noir ?

J.C. : J'espère ! Ce qui est sûr, c'est que les mesures qui ont été mises en place il y a deux ans et demi, notamment sur le logement neuf, fonctionnent, comme le prêt à taux zéro et le Pinel. Le marché du logement redémarre et, en ce qui concerne la construction de bureaux et d'usines, les chiffres sont aussi bons. Par contre, la commande publique reste encalminée et la situation est toujours difficile dans les territoires ruraux.

À chaque gouvernement une nouvelle loi sur le logement. Vous souhaitez un nouveau dispositif ?

Essayons pour une fois d'être en rupture, c'est-à-dire de garder ce qui fonctionne et de se concentrer sur ce qui fonctionne moins bien. Si le gouvernement choisit cette démarche, il aura l'appui de la profession. On a une interrogation avec le nouveau gouvernement : est ce que le prêt à taux zéro, qui permet à beaucoup de jeunes de pouvoir acheter, et le Pinel, qui permet d'investir dans le locatif, vont perdurer ? Si ces mesures sont pérennisées, ce que laisse entendre l'équipe d'Emmanuel Macron, on peut être optimiste. Mais ça ne sera pas suffisant. Il faut aussi s?occuper des territoires ruraux, notamment en rénovant les centres bourgs. Il faut une volonté politique et un fléchage budgétaire pour accompagner ces territoires.

Emmanuel Macron projette de calculer l'ISF uniquement sur le patrimoine immobilier. Est-ce une bonne chose ?

J.C. : C'est un très mauvais signe, une mauvaise petite musique qui est donnée en laissant entendre que l'immobilier serait un investissement passif. Je rappelle simplement à Emmanuel Macron et à son gouvernement qu'un logement, c'est deux emplois. Pour l'ISF, on souhaite a minima que soit enlevé du mode de calcul les sommes investies dans l'immobilier locatif. Comment dire que le Pinel est un investissement passif alors qu'il accompagne le secteur de la construction tout en répondant à la demande de location qui existe sur des territoires en manque de logements ?

Est-ce que le secteur du bâtiment peut se passer de ces dispositifs incitatifs, qui finalement créent des cycles économiques ?

J.C. : Absolument. Pour cela, c'est très simple, il faudrait qu'on revienne à une fiscalité de l'immobilier non confiscatoire. Pourquoi y a t-il des incitations fiscales ? Parce que la fiscalité d'origine est trop confiscatoire ! Elle est d'ailleurs la deuxième la plus élevée d'Europe. Si on revenait à une fiscalité normale dans l'immobilier, on n'aurait plus besoin d'aides fiscales. Est-ce qu'Emmanuel Macron aura le courage de faire le grand soir de la fiscalité sur l'immobilier ? On verra bien. C'est vrai que c'est compliqué. Mais lorsqu'il existe un système équilibré comme en Allemagne, basé sur l'amortissement, vous n'avez pas besoin d'aides fiscales.

Beaucoup de normes ont été créées ces dernières années dans le bâtiment. Faut-il arrêter de produire toutes ces normes ?

J.C. : On arrive à un point de blocage car ces normes renchérissent les coûts, même si elles ont été faites dans un bon état d'esprit, je pense notamment à tout ce qui touche au handicap ou à la rénovation énergétique. Mais il faut que les choses soient économiquement raisonnables et responsables. Mettons du bon sens ! Il ne faut pas créer plus de normes, il faut les supprimer et les rationaliser. »

# BTP # Politique économique # Juridique