Thomas Matagne (Ecov) : "Nous n’avons pas de pétrole, mais nous avons des sièges libres dans nos voitures"
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Thomas Matagne (Ecov) : "Nous n’avons pas de pétrole, mais nous avons des sièges libres dans nos voitures"

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La start-up nantaise du co-voiturage Ecov vient de lever 12 millions d’euros. Elle fournit aux collectivités territoriales des lignes de covoiturage, utilisées à la manière des lignes de bus ou de tramway sur des trajets périurbains et ruraux. Thomas Matagne, son fondateur et président, veut révolutionner les mentalités et les mobilités.

Thomas Matagne, président d’Ecov — Photo : David Pouilloux

Ecov a encore fait peu parler d’elle, pourtant vous venez de réaliser une levée de fonds significative de 12 millions d’euros. Comment expliquez-vous cela ?

Pour une raison très simple : nous agissons en marque blanche pour les collectivités territoriales qui vont utiliser notre service et leur propre marque pour les lignes de covoiturage que nous implantons pour elles. Nous sommes une société privée, un opérateur de la mobilité qui vend un service de covoiturage aux autorités organisatrices de la mobilité que sont les métropoles, les agglomérations, les départements ou les régions. Notre levée de fonds de série A de 11,75 millions d’euros a été opérée auprès de la Banque des territoires (CDC), BNP Paribas, ADEME Investissement et Maif Impact.

Quelle est votre offre ?

Notre business model consiste à vendre aux collectivités des lignes de covoiturage. Nous installons des stations de départ et d’arrivée, des abris voyageurs, la connectique nécessaire pour les passagers. Notre call center, à Nantes, renseigne nos usagers et nous développons les applications. Nous nous adressons aux habitants de la France périphérique, aux territoires ruraux et périurbains où la densité de population n’est pas assez importante pour que des lignes de TER, de tramway ou de bus à haut niveau de services soient implantées. Le coût d’investissement et de fonctionnement serait trop élevé par rapport au nombre de voyageurs à transporter pour les territoires.

Où en êtes-vous aujourd’hui et quelle est votre ambition ?

La société a été créée à Paris en 2014, et le siège est désormais à Nantes. Nous avons un bureau à Lyon, Strasbourg, et Paris. Aujourd’hui, nous avons implanté et gérons 60 lignes de covoiturage en France. Nous visons les 800 pour 2030. L’entreprise compte 90 salariés aujourd’hui, et je table sur 200 en 2025, et 400 en 2030. La levée de fonds va nous permettre de financer l’installation de nouvelles lignes et de renforcer notre recherche et développement, car il y a beaucoup de technologies derrière notre offre de covoiturage.

Dans les collectivités, notamment les métropoles, la voiture n’a pas forcément bonne presse. La voiture est-elle pour vous une solution ?

J’ai coutume de dire que nous n’avons pas de pétrole, mais des sièges libres dans nos voitures. Tout le monde fait ce constat : neuf voitures sur dix ne sont occupées sur le trajet domicile-travail que par une seule personne. Dans chacune de ces voitures, 3 sièges sont libres. On peut le dire autrement : sur les 4 litres d’essence consommés, 3 litres le sont pour rien. On peut ainsi considérer que les trois quarts des capacités de transport des automobiles sont gaspillés, et que les trois quarts du carburant le sont aussi. C’est un système particulièrement inefficace.

Ecov propose-t-il ainsi d’améliorer l’efficacité du transport en automobile grâce au covoiturage ?

Exactement. Depuis un siècle, on a dépensé des sommes gigantesques autour de la circulation des voitures, pour les routes notamment, et pour l’achat des véhicules. Mais on n’a pas changé nos représentations sur la façon de l’utiliser. Il faut envisager de voir la voiture comme un outil de transport public, comme le train, le tramway ou le bus. Les infrastructures sont là, les conducteurs sont là, les voitures sont là, mais quasiment vides. Il faut juste permettre aux gens d'utiliser le système routier autrement, d'une manière plus efficace.

Votre modèle est-il différent du leader européen du covoiturage individuel BlaBlaCar ?

Dans le modèle de BlaBlaCar, les particuliers s’arrangent entre eux. Les passagers paient, les conducteurs sont payés, et la plateforme prend sa dîme au passage. Notre modèle est tout autre, il est de l’ordre de la délégation de service public. Il joue sur la masse, sur le rythme (attente moyenne de 4 minutes), sur la fiabilité, la simplicité, et sur la connexion avec le réseau de transport public à l’arrivée afin que les passagers puissent si besoin poursuivre leur trajet. Les collectivités choisissent de rendre ce service à la population avec la tarification qu’elles souhaitent. Cela peut être gratuit ou à très faible coût. Pour le conducteur, c’est pareil. Il peut agir de manière non indemnisée par solidarité, conviction citoyenne, ou être indemnisé à la place, notamment pour les trajets plus longs et rapides.

Les mentalités sont-elles prêtes à faire ce saut ?

Du côté des passagers et des conducteurs, un certain nombre commence à prendre conscience des enjeux de sociétés et d’environnement, de transition énergétique, qui sont derrière. Nous proposons un modèle de création de valeur qui repose sur la sobriété, par l’économie de carburant, et l’économie d’investissements dans des infrastructures coûteuses qui va dans ce sens. Les élus doivent également appuyer sur le champignon, avec des moyens humains, qui, pour l’instant, ne sont vraiment pas à la hauteur, et des moyens financiers qui sont encore très maigres. La coopération entre territoires, qui, jusqu’ici se parlaient peu sur le sujet des mobilités, doit se renforcer. Dans la cadre du Fonds vert, l’État a fait un bond en avant, en accordant 50 millions d’euros de financement pour les collectivités sur ce sujet précis. C’est un premier pas. La prise de conscience est là, les moyens pas encore assez. Mais j’ai confiance, car ce modèle peut avoir un impact très fort.

C’est-à-dire ?

Nous réinventons le système routier, en faisant de la voiture le nouveau transport collectif pour les habitants de ce qui a été appelé la France périphérique. Pour l’instant, nous sommes vus un peu comme la dernière roue du carrosse du transport collectif, alors que c’est une innovation majeure et à fort impact social, sociétal et écologique. Le potentiel est considérable. Par exemple, si, en Europe, on passait d’un taux moyen d’occupation de véhicule de 1,3 passagers à 1,5, on économiserait autant de CO2 que si l'on faisait passer 30 millions de véhicules thermiques en conversion à l'électrique. La France est le leader mondial du covoiturage, et nous le sommes dans notre offre aux collectivités territoriales. Le monde universitaire des mobilités s’intéresse à nous, jusqu’aux États-Unis. Et la bonne nouvelle, c’est que nous sommes sur le point de signer des contrats avec plusieurs grandes collectivités françaises.

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