Secret des affaires : quelle nouvelle protection pour l’entreprise ?
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Secret des affaires : quelle nouvelle protection pour l’entreprise ?

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Présentée comme un outil de protection contre l’espionnage économique et la concurrence déloyale, la loi sur le secret des affaires est entrée en vigueur le 31 juillet 2018. Voici ce que peuvent en attendre les entreprises.

Photo : Craig Whitehead - CC0

Transposition d’une directive européenne, la loi sur « le secret des affaires » vise à se doter d'un nouveau cadre juridique « pour assurer la protection de nos entreprises contre l'espionnage économique, le pillage industriel et la concurrence déloyale », rappelle Raphaël Gauvain, le député LREM qui a porté le texte, adopté en juin au Parlement et entrée en vigueur le 31 juillet 2018.

Première nouveauté : « La loi livre une définition unifiée du secret des affaires, notion jusqu’ici éparpillée via 150 références différentes dans une multitude de textes, du code du commerce jusqu'au code de justice administrative, avec des champs d’application pas toujours cohérents entre eux », note l’expert en propriété intellectuelle, François Herpe, avocat associé du cabinet Cornet Vincent Segurel.

Les trois critères du secret

Qu’est-ce qu’un « secret d’affaire » au regard de la nouvelle loi ? Retenez trois critères. D’abord, l’information doit revêtir une valeur commerciale, effective ou potentielle, parce qu’elle est secrète. « Par valeur commerciale, on entend des données monnayables : listing des clients, plan de machines, procédé de fabrication formalisé, méthode de prospection commerciale innovante… », explicite François Herpe. Au moment des débats, l’Assemblée nationale citait également certaines informations relatives aux fournisseurs, aux plans d’affaires ou les études et stratégies de marché.

Il s’agit de cibler des informations confidentielles jusqu’ici non couvertes par des droits de propriété intellectuelle existants. « Cela peut concerner une invention précieuse, qu’on ne souhaite pas breveter parce qu’un brevet donne certes un monopole sur 20 ans mais tombe dans le domaine public ensuite… C’est notamment le choix de Coca-Cola, dont la recette repose uniquement sur un secret », illustre François Herpe.

« La définition du secret des affaires reste ouverte, si l’on se réfère au texte de la directive européenne, aujourd’hui transposée. »

Autre critère pour revendiquer le droit au secret, l’information n'est généralement pas « connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations », comme des confrères ou concurrents d’un même secteur d’activité. Enfin, elle doit obligatoirement faire l’objet de mesures de protection (accès restreint).

Exit l’amendement déposé par les sénateurs pour une définition élargie aux infos à « valeur économique » au sens large. Le Sénat faisant notamment allusion aux données relatives aux algorithmes, à la stratégie de l’entreprise, la sortie d’un nouveau produit, aux projets de fusion ou de croissance externe… Pour l’avocat François Herpe, ces cas de figure listés par le Sénat pourraient toutefois se retrouver protégés par la loi. « La définition du secret des affaires reste ouverte, si l’on se réfère au texte de la directive européenne, aujourd’hui transposée. Rien n’est exclu pour le moment », constate-t-il. En rappelant qu’il s’agit de protéger les savoir-faire et données sensibles, et non pas toutes les informations internes à l’entreprise, comme on l’entend parfois.

Polémique et exceptions

Car la loi fait polémique. Le texte a notamment soulevé un tollé dans les médias, malgré des garde-fous : impossible d’attaquer en justice une révélation relevant du droit à la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Au moment du vote en première lecture, une lettre ouverte au président de la République a été co-signée par une kyrielle de médias : les sociétés des journalistes et rédactions de l’AFP, Les Échos, Alternatives économiques, Le Monde, Le Figaro, France 2, TF1, Radio France, RTL etc., aux côtés de représentants d’ONG ou encore du lanceur d’alertes à l’origine des LuxLeaks. « N’importe quelle information interne à une entreprise peut désormais être classée dans cette catégorie. Des scandales tels ceux du Médiator, du bisphénol A ou des Panama Papers pourraient ainsi ne plus être portés à la connaissance des citoyens », s’inquiétaient les signataires.

Autre exception prévue par la loi, il sera impossible d’attaquer en justice la divulgation « d’une activité illégale, d’une faute ou d’un comportement répréhensible » dans le but « de protéger l’intérêt général et de bonne foi ».

« Une aide pour les industriels et les start-up »

Pour François Herpe, l’arsenal juridique aidera tout type d’entreprise à se protéger du pillage de savoir-faire, de la PME innovante au grand industriel. « Prenez un fabricant de meubles qui, pour s’implanter en Chine, signe là-bas des accords commerciaux, des accords de R&D ou décide de sous-traiter sa production à une entreprise du pays par exemple. Ce fabricant français disposera demain de nouveaux outils pour empêcher qu’on s’approprie son savoir-faire », assure François Herpe. « Les start-up y trouveront aussi leur intérêt, car elles rencontrent souvent des difficultés à breveter leurs concepts, ajoute-t-il. Ainsi, si vous lancez une machine à café connectée en Wi-Fi à votre smartphone, l’idée restera libre, car trop générale. Mais désormais vous pourrez protéger une série d’informations confidentielles : une solution électronique spécifique, votre méthode pour collecter les données concernant les habitudes du consommateur, la manière dont vous organisez la vente de ces données à des tiers… »

En cas de fraude, la loi prévoit un délai de prescription de cinq ans après la découverte des faits, délai maximum pour réclamer l’arrêt de l’utilisation frauduleuse de son savoir-faire ou exiger des dommages et intérêts.

Code d’accès et coffre-fort

Revers de la médaille : pas d’attaque en justice n’est possible si l’information concernée n’a pas été protégée au préalable. Ainsi, pas de secret quand les codes d’accès informatiques de l’entreprise sont distribués à tout va, du stagiaire aux techniciens de maintenance. Pour sécuriser les plans d’une machine, un chef d’entreprise veillera par exemple à cacher ces plans dans un coffre, ou bien sur un serveur informatique, lequel ne sera accessible qu’à un cercle réduit de collaborateurs, autorisés à le consulter grâce à un code d’accès, à une clef pour décrypter son contenu, etc. Le dirigeant peut aussi inviter ses salariés à signer un contrat de confidentialité interdisant d’utiliser les plans en dehors de sa société.

Avant de profiter du secret des affaires, il faudra donc un minimum de préparation. « Ces mesures de protection auront le mérite d’amener les entreprises à s’interroger sur ce qui fait leur valeur », note cependant François Herpe. Autrement dit, en questionnant ce qu'il faut protéger ou non, le dirigeant réfléchit tout simplement à ce qui constitue le cœur de son modèle économique aujourd'hui…

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