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Patrick Artus : "Si les Français se remettent à consommer, la croissance sera forte"
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Patrick Artus économiste "Si les Français se remettent à consommer, la croissance sera forte"

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Loin des prévisions sinistres exprimées au plus fort de la crise sanitaire, la reprise est là avec une conjoncture très encourageante. Les entreprises se portent bien, investissent. Faut-il tabler sur une poursuite de la croissance ou redouter certains nuages qui s’accumulent, tels que les pénuries de matériaux ou les tensions sur le marché de l’emploi ? Les réponses de Patrick Artus, conseiller économique de Natixis, professeur à l’École d’Économie de Paris et membre du Cercle des Économistes.

Patrick Artus, conseiller économique de Natixis : "La situation des entreprises est meilleure qu’avant la crise sanitaire" — Photo : Natixis

L’économie française a-t-elle retrouvé le niveau qui était le sien avant le déclenchement de la crise sanitaire ?

Patrick Artus : La situation des entreprises est incroyablement meilleure que celle qu’on avait anticipée, alors que nous étions en pleine crise du Covid. Marges bénéficiaires, niveau d’emploi, d’endettement, de faillites : les indicateurs affichent les couleurs d’une reprise sans équivoque. On peut même affirmer que la situation des entreprises est meilleure qu’avant la crise sanitaire. Cet état de fait réconfortant résulte de deux facteurs essentiels. D’une part, des aides publiques conséquentes (plan de relance, de sauvetage, PGE…). D’autre part, les entreprises ont fourni de gros efforts, notamment en matière de compression des coûts et d’augmentation de l’efficacité. Leur cash-flow bat des records historiques. Nous constatons le taux de marges bénéficiaires le plus élevé des entreprises depuis qu’on enregistre cet indicateur. Du côté des ménages, la situation ne correspond pas à la catastrophe annoncée en pleine crise du Covid. L’emploi est plus élevé qu’avant la crise sanitaire. Et contrairement à certaines idées reçues, les ménages français n’ont pas perdu de pouvoir d’achat. Ce qui ne signifie pas que celui-ci ne reste pas bas pour certains.

Les difficultés d’approvisionnement rencontrées par les entreprises peuvent-elles altérer cette reprise économique ?

Patrick Artus : Des difficultés d’approvisionnement sont apparues et de tous ordres. Matières premières, composants électroniques, semi-conducteurs, transports… la liste est longue, mais les difficultés commencent à prendre le chemin du recul. Grâce aux efforts fournis du côté de l’offre, depuis un an déjà, la situation va aller en s’améliorant. Il faudra six mois encore pour que l’étau se desserre. Déjà, les prix des métaux, des semi-conducteurs ont commencé à décroître.

Restent les problèmes de tension dans le secteur du transport. Comment en est-on arrivé là ?

Patrick Artus : Ces derniers temps, la demande s’est portée davantage sur les biens (électroniques, ameublement, etc.) que sur les services. D’où l’apparition de tensions tant pour ce qui concerne les matières premières que le transport des matières et des biens manufacturés. La situation actuelle, bien que dégradée à ce niveau, devrait progressivement connaître une amélioration. Elle sera longue, mais est entamée depuis trois mois déjà.

Quid des problématiques liées au coût de l’énergie ? Les prix finiront-ils par baisser ?

Patrick Artus : Pour le gaz, les prix ont commencé leur décroissance : - 30 % en Europe. Le prix de l’électricité, qui suit celui du gaz, repart à la baisse. Le pétrole, lui, reste cher pour le moment. Le fait remarquable et nouveau, c’est la variabilité des prix de l’énergie. En se basant de plus en plus sur les énergies renouvelables, la dépendance aux conditions climatiques va créer de l’imprévisibilité. Pas de vent, comme lors d’une période estivale que l’on vient de connaître, et la production des éoliennes s’en trouve réduite, créant par effet de vases communicants une demande accrue sur le gaz… et donc une envolée de son prix. Plus l’engagement vers la transition énergétique forcira et plus il faudra faire avec la variabilité des prix de l’énergie.

Autre grande problématique des entreprises : les difficultés de recrutement. Peuvent-ils freiner la croissance ?

Patrick Artus : Alors que les entreprises évoquent leurs difficultés à recruter, le manque de compétences, les problématiques d’attitude au travail, le pays bat tous les records de recrutement ! À une croissance rapide, se greffent des créations d’emplois d’un niveau rarement égalé : en termes réels, 300 000 postes par trimestre. Soulignons que ce niveau d’emploi actuel est très supérieur à la période précédant la crise sanitaire. S’il est vraisemblablement plus compliqué, plus long et plus coûteux de recruter pour les entreprises, force est de constater qu’elles embauchent de façon très dynamique. Aujourd’hui, on peut dire que tous les secteurs sont concernés par la reprise. Elle est globale, à l’exception du secteur de l’automobile, lié en partie au déficit de composants qui gênent ou empêchent la production et de certaines parties de la distribution. Néanmoins, même ce travers devrait s’estomper, dès le premier trimestre de l’année 2022.

L’embellie actuelle peut-elle durer ?

Patrick Artus : La reprise est là, la conjoncture actuelle affiche une belle croissance. Cela va-t-il durer ? Faut-il s’attendre à une accélération ou à un coup de moins bien dans les mois à venir ? Trois risques latents pourraient affaiblir cette croissance. Premièrement, le coût de l’énergie, évoqué précédemment, connaîtra inexorablement d’imprévisibles variations de prix. Mais lesquelles ? La dépendance à des évènements climatiques naturels rend toute prévision difficile. Il va falloir apprendre à faire avec. Un deuxième risque menace la croissance actuelle : le processus de diminution du déficit public prévu par le gouvernement français. En passant de 8,5 % du PIB en 2021 à 5 % pour 2022, nous allons rentrer dans une période moins expansionniste. Ce sera le cas d’ailleurs, pour beaucoup de pays dans le monde, qui vont également engager de fortes réductions des déficits publics. En France, seule la consommation par les ménages de l’épargne accumulée, pourrait gommer ou atténuer cet effet. Mais rien n’est sûr… Le troisième risque concerne donc cette incertitude majeure : que font faire les Français de leur épargne ? Les 180 milliards accumulés en plus de la normale, pendant la crise sanitaire, dorment pour le moment dans des bas de laine qui semblent bien fermés. Le montant de cette épargne est colossal : elle correspond à 7 points de PIB. Une situation jamais vue en France, où les ménages confinés ont dans le même temps, vu leurs revenus soutenus par l’État et peu consommés.

Que va-t-il se passer ?

Patrick Artus : L’incertitude la plus totale règne. Si les Français décident de se remettre à consommer dans les mois qui viennent, la croissance sera forte. Dans le cas inverse, il faudra tabler sur une croissance beaucoup plus faible. Car mis à part des investissements dans l’immobilier, les Français sont restés frileux dans leurs dépenses jusqu’alors. Et encore ont-ils préféré acheter de l’ancien, ce qui a généré peu de résonance dans le secteur du bâtiment. Seule conséquence : une flambée des prix de l’immobilier ; mais pas d’impact sur le PIB. Est-ce le prix de l’énergie, une inquiétude sur le pouvoir d’achat ou sur l’avenir va maintenir les Français dans un contexte anxiogène et les freiner dans leur consommation ? Pourtant qu’il s’agisse des prix ou des salaires, le décalage entre la perception des informations et la réalité est d’importance. Les études montrent que le pourvoir d’achat des consommateurs ne s’est pas dégradé ces dernières années. Les inégalités de revenus existent, certes, mais ne se sont pas accrues.

Quelles perspectives de croissance pour l’économie française ?

Patrick Artus : Finalement, les perspectives sont plutôt bonnes. La réalité, c’est que la surprise a été énorme ! Personne, absolument personne, ne pensait que notre économie s’en sortirait aussi bien après la terrible crise sanitaire qui s’est abattu sur le monde. On nous annonçait des horreurs et c’est plutôt une heureuse surprise qui s’offre à nous. La croissance est là et les emplois créés en nombre conséquent. Certes, un ensemble de goulots d’étranglement barrent actuellement la route à une croissance totalement libérée. Mais les tensions sur les approvisionnements et le transport devraient s’améliorer dans un avenir assez proche, car les signes avant-coureurs sont déjà là. Les recrutements, qui semblent plus difficiles, sont quand même réalisés et dans des proportions très importantes. Reste l’attitude des ménages face à la consommation. Là réside la grande incertitude qui décidera du niveau de croissance à venir à court et moyen terme. Ou en sera le niveau de confiance des Français dans les mois à venir ? Nul ne le sait. Aussi, les perspectives restent-elles relativement vagues. Quand les plus pessimistes parient sur une croissance de 3 % pour la France, les experts les plus optimistes répondent par une croissance de 6 %. Entre les deux, l’écart reste important. Il faut accepter l’idée que le champ des possibles soit relativement ouvert. Les prévisions de croissance, à l’heure actuelle ne sauraient être plus précises…

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