« Les entreprises familiales doivent se doter d’une vision partagée »
Interview # Finance # Fusion-acquisition

Laurent Allard associé chez Family & Co « Les entreprises familiales doivent se doter d’une vision partagée »

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Laurent Allard a repris récemment, avec son associé Pierre-Emmanuel Costeux, le cabinet Family & Co, spécialisé dans le conseil aux entreprises familiales. Une caractéristique qui exige de se poser des questions spécifiques, notamment en matière de gouvernance, estime ce quadragénaire, diplômé de HEC, qui a lui-même dirigé la cartonnerie fondée par son arrière-grand-père. Dans cet entretien, il insiste sur la nécessité pour les actionnaires familiaux de se doter d’une vision à long terme, indispensable pour assurer le pilotage stratégique au-delà des dissensions familiales éventuelles.

— Photo : Xavier Debontride Le Journal des Entreprises

Votre cabinet, Family & Co, conseille exclusivement les entreprises familiales. Pourquoi ce choix ?

Family & Co a été créé en 2004 é par Frédéric Lucet sous le nom de Family Business Group, afin d’accompagner les actionnaires familiaux à chaque étape structurante de la vie de l’entreprise. Il se trouve j’ai d’abord été son client il y a 7 ans, avant de racheter cette société. À l’époque, j’avais 33 ans, et on m’a proposé de reprendre la présidence du groupe familial, dans l’emballage en carton ondulé, fondé en 1928 par mon arrière-grand-père Adrien Allard, à Brive-la-Gaillarde. L’entreprise (70 millions d’euros de chiffre d’affaires, 450 salariés) s’est développée dans la Sarthe, dans l’Oise et dans la région lyonnaise. C’est une très belle aventure familiale. En 2010, j’étais le premier représentant de la 4e génération à arriver aux affaires. L’actionnariat, 100% familial, était constitué de 53 personnes. Collectivement, nous nous sommes interrogés sur le projet que nous voulions porter.

Vous aviez besoin de conseil ?

Effectivement. J’ai rencontré Family Business Group. Ensemble, nous avons mené un projet sur quelques mois pour faire travailler la famille sur sa vision de l’entreprise, avec une méthodologie qui permet à chacun de jouer un rôle, tout en offrant au collectif la possibilité de réfléchir et d’arbitrer une stratégie. Nous avons alors vu se dégager de manière quasi-unanime une volonté de valoriser l’entreprise à terme, une manière pudique de dire que nous étions prêts à céder la société pour assurer sa pérennité.

Pour quelles raisons ?

Elles étaient diverses : certains actionnaires ne se sentaient pas vraiment en charge de l’avenir de l’entreprise, d’autres se trouvaient trop dilués dans la structure, etc. Nous avons d’abord décidé d’ouvrir le capital en y associant le dirigeant non familial, nous avons fait évoluer la gouvernance, rédigé un nouveau pacte d’actionnaires… Cette dynamique collective a facilité les choses, jusqu’à la cession, négociée en 2012 et signée en 2013, avec un groupe familial français du secteur, Valois. Je n’ai pas rencontré de difficultés liées à l’actionnariat durant cette période. Le conseil a pu porter tous ces chantiers structurants parce que la feuille de route était claire et que ces étapes s’enchaînaient au service d’une vision partagée.

« Lorsqu’une famille vient nous solliciter, elle arrive généralement avec une seule question : comment faire ? On leur répond d’abord : qui êtes-vous, pourquoi, quel est votre projet ? »

Cette notion de vision revient sans cesse dans votre analyse. Cela s’apprend ?

C’est notre conviction. C’est ce qui m’a conduit à reprendre Family & Co. Notre rôle, c’est d’accompagner les sociétés familiales dans leur structuration. Nous intervenons pour l’élaboration d’une démarche de réflexion amont, puis pouvons accompagner sa mise en œuvre. Lorsqu’une famille vient nous solliciter, elle arrive généralement avec une seule question : comment faire ? On leur répond d’abord : qui êtes-vous, pourquoi, quel est votre projet ? À partir de ces questions simples, on en vient naturellement aux modalités d’action, le fameux « comment » du début, mais il est indispensable de définir au préalable cette ambition commune.

Parmi les missions qui vous sont confiées, il y a la question sensible de l’arrivée d’un dirigeant extérieur dans une entreprise familiale. Comment intervenez-vous ?

Nous travaillons en amont sur le contexte de ce recrutement stratégique, en aidant la famille à définir la fiche de poste, à vérifier l’alignement des valeurs du candidat avec les siennes. Il s’agit également de s’assurer de la qualité de la relation au quotidien entre le propriétaire actionnaire et le dirigeant opérationnel de la structure. On peut alors aider la famille à piloter un cabinet de recrutement, sans entrer dans la mise en œuvre opérationnelle.

Cette intégration ne s’improvise pas. C’est un sujet en soi : vous êtes régulièrement sollicité sur ce thème ?

Nos sujets d’intervention sont variés. Nous accompagnons 15 à 20 familles par an et notre approche s’affine à chaque mission. Dans la durée, nous avons développé une méthodologie particulière sur une douzaine de compartiments opérationnels. Cela va de la réflexion sur la gouvernance à l’intégration d’un dirigeant non familial, en passant par la transmission familiale, la rédaction d’une charte familiale, l’identité d’un holding, la structuration d’une activité de private equity, la question de la philanthropie, pour n’en citer que quelques-uns… Quel que soit le sujet, on part toujours de la vision de l’entreprise par les actionnaires.

Quel est le profil de vos collaborateurs ?

Nous sommes une équipe d’une dizaine de personnes, dont 7 qui traitent les missions. Tous nos intervenants sont ou ont été patron ou actionnaire familial. La compréhension fine, parce que vécue, de la posture dans laquelle se trouvent nos interlocuteurs, est un élément clé. Ces profils font aussi que nos missions portant sur la stratégie de l’actionnaire sont tournées vers sa mise en œuvre et la définition de solutions adaptées au contexte familial.

Existe-t-il un profil-type des entreprises familiales que vous accompagnez ?

Aujourd’hui notre plus petit client réalise autour de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires, l’activité détenue par notre plus gros client tourne autour de 6 milliards d’euros. Nous observons une répartition en trois tiers : les entreprises de moins de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, celles entre 100 millions et 1 milliard, et enfin celles supérieures à 1 milliard d’euros.

La dimension psychologique occupe-t-elle une place de choix dans votre mission ?

Elle est très importante et nous l’intégrons pleinement. Nous développons d’ailleurs une méthodologie spécifique sur la gestion des conflits familiaux, mais notre angle, c’est de travailler le socle actionnarial au bénéfice du pilotage d’une activité économique. Nous privilégions donc la définition d’une vision stratégique pour développer cette dimension économique. À noter toutefois que toutes nos missions sont réalisées en binôme, pour porter un double regard sur la situation et les messages transmis. Nous faisons face aussi à des personnalités souvent impressionnantes, avec un nom associé à une activité, et qui ont un fort rayonnement. Il ne s’agit pas de succomber au charme d’un leader charismatique, au risque de ne plus être au service du collectif.

Revenons à la question de l’arrivée d’un dirigeant extérieur dans une entreprise familiale. Quels sont les points de vigilance à prendre en compte ?

Cette arrivée, c’est un outil qui se met au service d’un projet. Notre recommandation, c’est une nouvelle fois de travailler sur ce projet, en amont. Ensuite, la question du comment, de la mise en œuvre, viendra rapidement, mais juste après. Il faut que les conditions de son arrivée, puis de l’exercice de son activité, soient très claires. Sinon, les questions qu’on ne se sera pas posées en amont resurgiront au fil de l’eau et viendront polluer la relation avec les actionnaires, et impacter la performance.

Quelle est la meilleure gouvernance à privilégier pour une entreprise familiale ?

Il n’y a pas de règle universelle. Le conseil d’administration avec directeur général, tout comme le schéma du directoire et du conseil de surveillance, sont très utilisés. Ce qui est essentiel, c’est de travailler sur la répartition des rôles et des responsabilités, les règles de décision, afin que le schéma dans lequel on s’inscrit soit très clair et qu’il n’y ait pas de non-dits et de frustration. Il faut être pragmatique.

Comment jugez-vous les jeunes générations ? La relève de l’actionnariat familial est-elle assurée ?

On sent les jeunes générations très concernées, elles posent les questions beaucoup plus directement que leurs parents quelques décennies auparavant. Elles se rendent compte que ces questions dépassent le seul cercle familial. Elles se sentent donc légitimes à les aborder, à réfléchir sur la vision.

Dernière question d’actualité : en 2018, quel sera l’impact de la réforme annoncée de l’ISF sur le management des entreprises familiales ?

Nous réfléchissons à la manière dont l’évolution de l’ISF va permettre de libérer la composition des organes de gouvernance. Dans un certain nombre de cas, on voit qu’un ancien dirigeant, parfois le fondateur, demeure président d’un conseil d’administration, pour des raisons qui sont aussi, voire surtout, fiscales ! Pourtant, la situation idéale serait peut-être de passer à autre chose. La capacité de pouvoir arbitrer cette question exclusivement sur des enjeux économiques, dépolluée de sujets fiscaux, représente un axe de réflexion spécifique sur lequel nous travaillons.

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