« Les banques n’ont plus beaucoup d’appétit au risque »
Interview # Finance # Investissement

Loïc Féry président fondateur de la société de gestion Chenavari « Les banques n’ont plus beaucoup d’appétit au risque »

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Loïc Féry est un financier discret et atypique. Installé à Londres, il a créé une société d’investissement qui propose des financements alternatifs à ses clients, dont de nombreuses PME et ETI françaises et européennes. Passionné de sport, il est également propriétaire et président du Football Club de Lorient depuis 2009. Il s’inquiète des niveaux de valorisation « stratosphériques » atteints sur les grandes places financières mondiales et milite pour un lien renforcé entre l’économie et les territoires.

Photo : Chenavari

Le Journal des Entreprises : Vous avez créé Chenavari en 2007, en pleine crise financière. Quelles sont ses activités ?

Loïc Féry : Chenavari est une société de gestion qui a vocation à gérer les investissements de fonds de pension et d’acteurs institutionnels, dans le secteur du crédit et de la dette privée. Auparavant, ces acteurs se portaient sur des investissements dans les actions des banques, mais ils souhaitent privilégier des expositions directes via des prêts qui contribuent au financement de l’économie réelle. Nous proposons à ces investisseurs des fonds orientés vers des secteurs ou des entreprises un peu délaissés par les banques traditionnelles, qui sont plus frileuses, notamment en raison de l’évolution des paramètres réglementaires. Dans ce contexte, les PME ont plus de difficultés à trouver des crédits bancaires, les projets immobiliers sont plus difficilement finançables, le financement de l’export est parfois plus compliqué…

Pouvez-vous nous donner quelques exemples de vos interventions ?

L. F. : Nous intervenons sur des segments de marchés délaissés par les banques, ou considérés comme trop risqués. Nos fonds peuvent intervenir principalement sous trois formes : d’abord, en prêt sénior, en financement de l’activité et du fonds de roulement. Deuxième axe : le financement spécialisé, notamment en Espagne où nous sommes un leader de l’affacturage. Troisième axe, notamment en France : le financement des petits biens d’équipements, sous forme de leasing, en particulier dans le secteur technologique et le secteur médical.

Quel est le montant financier de ces opérations ?

L. F. : Nous gérons un peu moins de 6 milliards d’euros d’actifs, intégralement affectés à des activités de financement en Europe. Au total en Europe, nous finançons près de 450 entreprises. Nous avons également un peu plus de 2 millions de clients particuliers via des sociétés de crédit à la consommation (Chenavari possède notamment les activités de Cetelem de Belgique et de Laser Cofinoga aux Pays Bas). Nous travaillons également beaucoup sur le financement de l’immobilier, notamment d’entreprise (logistique, parcs immobiliers spécifiques).

Le siège de Chenavari est basé à Londres. À l’heure du Brexit, ce choix est-il toujours pertinent ?

L. F. : La plupart des gérants institutionnels dont l’activité se situe en Europe sont à Londres. Le choix de s’installer à la City en 2007 était dans la continuité de mon activité précédente, puisque j’y travaillais déjà après avoir passé quatre ans et demi en Asie. La plupart des spécialistes en finance s’y trouvent, ce qui permet d’accéder facilement à tous les marchés européens avec des équipes internationales. Toutefois, c’est vrai, le Brexit rebat les cartes. Vu le développement de nos activités en France, nous sommes en discussion avec l’Autorité des marchés financiers (AMF) en vue d’ouvrir une société régulée à Paris. Aujourd’hui la quasi-totalité de nos équipes qui travaillent avec le marché français se rendent déjà très régulièrement en France à la rencontre des directeurs financiers et des dirigeants d’entreprise pour les accompagner dans leur problématique de financement.

Dans une note récente adressée à vos clients, vous exprimez une certaine inquiétude à l’égard de l’évolution des marchés financiers. Redoutez-vous une nouvelle crise financière ?

L. F. : Dans notre analyse, il convient de distinguer deux choses : d’un côté, les fondamentaux restent bons, mais de l’autre, la vitesse à laquelle ces fondamentaux s’améliorent a tendance à se réduire, nous arrivons à un plateau. Notre plus gros point d’incertitude, et d’inquiétude, se porte plutôt sur les valorisations, qui atteignent des niveaux stratosphériques dans tous les domaines. La bourse de New York valorise 22 fois les multiples de résultats annuels des entreprises. En Europe, on est à plus de 17 fois… Ce sont des multiples historiquement élevés.

Nous avons vu que la crise financière de 2007 avait été accentuée par le fait que des investisseurs achetaient des valeurs qu’ils n’auraient pas dû porter, notamment en termes de besoin possible de liquidité. Nous sommes aujourd’hui sur des paramètres assez similaires, avec les fonds mutualistes notamment et les fameuses ETF (fonds indiciels cotés en Bourse) qui investissent dans la dette de sociétés à risques, soit dans des sociétés cotées de petite taille où la liquidité est très faible. Le jour où ces fonds vont commencer à vendre à grande échelle, cela va créer une inadéquation forte entre la liquidité du marché et ce besoin de vendre. De notre point de vue, il faut être très prudent, du fait des valorisations et de ces problématiques d’illiquidité qui risquent d’accentuer la chute des cours lorsque cette situation se produira.

« Notre plus gros point d’incertitude, et d’inquiétude, se porte sur les valorisations, qui atteignent des niveaux stratosphériques dans tous les domaines. »

Que conseillez-vous à vos clients PME et ETI qui risquent d’être lourdement impactés en cas de retournement ?

L. F. : Les banques sont en train de se transformer en gestionnaires de clients mais elles n’ont plus beaucoup d’appétit au risque. Dans les périodes les plus compliquées, effectivement, la banque n’est pas toujours présente. C’est là que nous pouvons intervenir, tout en étant sélectifs. Pour un chef d’entreprise, travailler avec un fonds en parallèle de ses partenaires bancaires, c’est aussi se doter d’une source de financement complémentaire qui sera certainement plus réactive en cas de difficultés.

Quels sont vos critères d’intervention et d’analyse des risques ?

L. F. : Nous nous fondons sur de l’analyse financière fondamentale, par rapport aux capacités de remboursement de l’entreprise emprunteuse, à sa croissance, sa capacité d’autofinancement… Chaque situation est spécifique. Nous avons une réactivité plus grande qu’une banque classique, davantage de flexibilité en termes de structure de prêts, avec des solutions sur mesure : le prêt amortissable classique n’est pas toujours la solution la plus adaptée au besoin de l’entreprise. C’est ce qui nous permet d’être, sur certains dossiers, plus compétitifs que les banques classiques. En France, les banques ne sont pas encore complètement adaptées aux nouveaux environnements réglementaires. Il y a d’autres pays en Europe où les entreprises ont un accès plus systématique aux financements alternatifs, notamment en Allemagne et en Grande-Bretagne.

Étant basé à Londres, quel regard portez-vous sur l’évolution de la politique française et sur le rythme des réformes engagées ?

L. F. : Je suis ravi, et fier, de constater que l’image et l’attractivité économique de la France sont en train de changer significativement. Maintenant, la route est longue, il y a encore beaucoup de réformes à entreprendre. Espérons que les bonnes résolutions vont continuer à être tenues. Je pense qu’il y a beaucoup d’attente de la part des entrepreneurs français, notamment en matière de fiscalité, de lourdeur administrative…

Pour avoir eu l’occasion d’échanger en amont de l’élection avec le candidat Macron, j’ai pu mesurer qu’il avait une détermination forte à ce que le « package entreprise » soit mis en place rapidement. Vu de Londres, je peux vous confirmer que l’image de la France fait beaucoup parler, surtout ici dans le contexte du Brexit, où la France se positionne comme une alternative crédible. Une des choses qui manquent pour attirer en nombre des entreprises étrangères à Paris, ce sont notamment des capacités scolaires internationales suffisantes.

Les levées de fonds, notamment des start-up, sont actuellement très médiatisées. Quel regard portez-vous sur cette tendance ?

L. F. : Nous sommes pragmatiques : lorsqu’une entreprise lève des fonds, il faut vérifier qu’elle a la capacité de générer du résultat pour faire face à ses échéances (prêt) ou pour justifier sa valorisation (capital-risque). Il existe des entreprises qui lèvent des fonds pour éponger des pertes pendant 5 ou 10 ans, comme Twitter, par exemple, qui n’est devenu profitable qu’au bout de 11 ans. Mais pour moi, c’est l’exception qui confirme la règle. Et la règle, c’est qu’une entreprise vaut ce qu’elle est capable de générer comme résultat à court ou moyen terme !

Au Journal des Entreprises, nous sommes très attachés au lien entreprise et territoire. Observez-vous des initiatives intéressantes de ce point de vue, ailleurs en Europe ?

L. F. : Je crois beaucoup à la puissance des régions. On parle beaucoup de l’Europe des régions et je peux vous en donner un exemple concret. Nous venons de faire une opération assez significative en Ligurie, une région du nord de l’Italie, en reprenant l’intégralité de l’activité de crédit à la consommation de la banque Carige. Elle compte plus de 800.000 clients, et plusieurs centaines d’agences bancaires, uniquement dans cette région. Je suis frappé par la force du réseau entre les entreprises, les banques, les commerçants... Allier un partenaire international à un lien fort du territoire, c’est un véritable atout.

Votre société s’appelle Chenavari. C’est le nom d’un village ?

L. F. : C’est le nom d’un lieu-dit, près de Rochemaure, en Ardèche, où j’ai grandi entre 7 et 17 ans. Je suis un provincial totalement assumé, né en Lorraine, qui a grandi en Ardèche, avec des liens forts en Bretagne, via mes parents qui y ont longuement vécu !

On connaît en effet votre attachement à la Bretagne : soutenez-vous le mouvement d’indépendance du Crédit Mutuel Arkea, mené par les dirigeants du Crédit Mutuel de Bretagne ?

L. F. : Je connais personnellement Jean-Pierre Denis et Ronan Le Moal (NDLR : dirigeants du Crédit Mutuel Arkea) qui font avec leurs collaborateurs un travail exceptionnel depuis plus de dix ans maintenant, notamment dans la transformation digitale du secteur bancaire. J’ai été l’un des soutiens de la première heure de ce mouvement, afin de préserver un système qui fonctionne très bien.

Vous êtes propriétaire depuis 2009 du Football Club de Lorient, les fameux Merlus. Quelle a été votre motivation à reprendre ce club en particulier ?

L. F. : C’est une combinaison de facteurs. J’ai toujours été très intéressé par les entreprises évoluant dans le secteur du sport professionnel. J’ai rencontré Alain Le Roch, le propriétaire du FC Lorient qui cherchait un repreneur. Le club était à l’époque dans une situation délicate et il avait besoin d’un nouvel élan. J’ai vu que je pouvais apporter une démarche d’entrepreneur dans un territoire que je connais bien et que j’apprécie depuis longtemps.

Vous inscrivez votre engagement dans la durée ?

L. F. : Oui. Nous avons fêté les 90 ans du Club en 2016, et j’ai donné rendez-vous pour le centenaire en 2026 ! C’est l’un des plus anciens clubs français, il parle à de nombreuses entreprises partenaires. Nous avons la chance d’avoir un tissu local très fort en Bretagne Sud. J’apprécie l’indépendance et le goût de liberté des entreprises bretonnes. Je constate avec elles que le dynamisme économique ambiant se vérifie et que les PME régionales ont de belles perspectives de développement.

Propos recueillis par Xavier Debontride

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