Joël Fourny, président de CMA France : « La morosité ne doit pas être notre paradigme »
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Joël Fourny président de CMA France Joël Fourny, président de CMA France : « La morosité ne doit pas être notre paradigme »

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Élu en juin 2020 à la tête de CMA (réseau des Chambre de Métiers et de l’Artisanat) et président de la CMA des Pays de la Loire depuis 2016, Joël Fourny revient en détail sur l’impact de la crise sur le monde de l’artisanat. Codirigeant de Simm Modelage (modèles et outillages) à Issé (Loire-Atlantique), il attend beaucoup du plan de relance de l'économie que prépare le gouvernement.

— Photo : Photo CMA Shehan Hanwellage

Vous prenez la présidence de CMA France dans un contexte de crise économique, comment se porte le monde de l’artisanat ?

Joël Fourny : Le contexte de crise n’est pas récent. Celle de 2008 a déjà bouleversé l’économie de notre pays et a durement touché l’artisanat. Il s’en est suivi les manifestations des Gilets jaunes, les grèves sans précédent cet hiver… La crise sanitaire et économique actuelle heurte de façon encore plus forte les entreprises artisanales. CMA France et le réseau des Chambres de métiers a alerté depuis les débuts de la crise le gouvernement des difficultés rencontrées et accompagne ces entreprises pour traverser au mieux cette période compliquée. Mais cette crise sans précédent a encore une fois prouvé que les artisans sont résilients et agiles. Ils ont trouvé dans cette période des solutions pour maintenir a minima le lien avec leurs clientèles, grâce au développement des ventes en ligne ou de systèmes de livraisons, du « click and collect ». Néanmoins, l’appropriation des outils numériques est encore très variable d’une entreprise à l’autre. À nous de les aider dans ces mutations. Ce sera un des enjeux prioritaires pour les mois à venir.

Faut-il s’attendre encore à des mois, voire à des années, difficiles pour l’artisanat ?

Joël Fourny : L’économie ne vit pas ses meilleurs jours, mais soyons concentrés maintenant pour la réussite de la relance de notre pays, en s’appuyant sur les valeurs de l’artisanat. La morosité ne doit pas être notre paradigme, il faut garder le cap. Pour relancer la machine, nous plaidons pour un modèle économique plus durable, plus éco-responsable, plus citoyen, fondé sur les valeurs du « fabriqué en France », les mentions d’origine et les produits de qualité. Les consommateurs plébiscitent ces valeurs, nous devons les écouter.

« Nous avons constaté trop de différences de traitement de la part des banques »

Les banques et les assurances soutiennent-elles l’artisanat durant cette période difficile ?

Joël Fourny : Si l’État a mobilisé rapidement toutes les aides nécessaires à la survie des entreprises, grâce notamment au chômage partiel, aux différentes aides fiscales et au Fonds de solidarité, CMA France s’est battu pour que les banques et les assurances puissent participer à cet effort économique exceptionnel et nous attendions plus de leur part. Nous avons constaté trop de différences de traitement de la part des banques, des différences selon les territoires aussi. Les entreprises artisanales sont soumises à des faibles trésoreries et peu armées pour traverser de telles tempêtes. Ces combats ont permis d’obtenir des aides plus équitables pour nos artisans, mais nous restons vigilants.

Le sujet des assurances est plus complexe et nous avons aussi obtenu des gels des échéances, des crédits-bails, voire des abondements exceptionnels aux fonds d’urgence. Mais le sujet « perte d’exploitation » a été largement soulevé, les assureurs ont en majorité considéré que cette assurance n’était pas mobilisable pendant une pandémie. Cela n’est pas audible et équitable. Nous devons en tirer les leçons pour l’avenir et les intentions actuelles de la fédération française de l’assurance en faveur d’un régime d’assurance spécifique aux crises sanitaires pour les TPE et PME est louable.

Dans quel état d’esprit êtes-vous dans ce contexte ?

Joël Fourny : Je suis dans un état d’esprit de combat et de solidarité en bénéfice de l’artisanat. Le réseau des Chambres de métiers et de l’artisanat est là pour les artisans, au plus près de leurs besoins. Nous sommes là pour les accompagner, les former, les faire évoluer dans ce contexte socio-économique incertain. Je suis moi-même chef d’entreprise et j’ai été élu pour défendre l’artisanat, les entreprises artisanales mais aussi assurer la place et le rôle des CMA en tant que premier interlocuteur, pour poursuivre notre régionalisation et notre réforme. C’est mon cap, l’horizon vers lequel nous tendons, il en va de l’avenir aussi de la « première entreprise de France. »

Vous avez rencontré rapidement après votre élection Muriel Pénicaud, alors ministre du Travail. Quels sujets avez-vous pu aborder et quelle sera la suite donnée à cet entretien avec la ministre Élisabeth Borne ?

Joël Fourny : J’ai en effet rencontré la ministre du travail le 2 juillet, avant le remaniement ministériel. Nous avons abordé les sujets de l’apprentissage et de la formation professionnelle portés par la loi « Pour choisir son avenir professionnel ». La relance de notre économie passe par l’emploi et particulièrement celui des jeunes, victimes directes de la crise économique. Nous formons 100 000 jeunes dans nos 112 CFA, nous assurons leur insertion dans la vie professionnelle. L’artisanat est une solution tout comme l’apprentissage pour relancer l’emploi notamment des jeunes et le développement des compétences dans notre pays. Dans ce contexte, CMA France a proposé une « garantie apprentissage » et même si des annonces nationales ont été faites en ce sens, nous restons inquiets pour la rentrée.

De même, nous travaillerons de manière étroite pour que le travail engagé reste l’une des priorités de la ministre Élisabeth Borne. Le Président de la République a réaffirmé lors de son allocution du 14 juillet son ambition de porter le sujet de l’emploi des jeunes ? notamment en préservant la dynamique autour de l’apprentissage. Nous serons attentifs et mobilisés pour inciter les jeunes et les entreprises à choisir l’apprentissage ces prochains mois.

Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État alors en charge de l’industrie, a clôturé l’assemblée générale de CMA France le 25 juin, quel message avez-vous pu lui faire passer ? N’étant plus chargée de l’artisanat dans le gouvernement, craignez-vous là encore qu’il n’y ait pas de suite à votre rencontre ?

Joël Fourny : J’ai appelé à la reconnaissance de l’expertise du réseau des CMA, ainsi qu’à la continuité du travail mené entre avec les pouvoirs publics. Il nous faut poursuivre dans une relation d’étroite collaboration avec les pouvoirs publics. Nous devons désormais transformer l’essai et le remaniement n’est pas un risque pour l’avenir.

On ne peut que se réjouir de l’arrivée d’un artisan au gouvernement, Alain Griset, nommé au poste de ministre délégué aux TPE-PME. C’est un signal fort à destination de notre réseau comme de nos entreprises artisanales : c’est un porte-parole efficace des valeurs de l’entreprise de proximité. Alain Griset a fait plus de 15 ans dans la maison CMA, dont CMA Hauts de France, puis U2P. Il est attaché au métier de taxi, comme aux valeurs du syndicalisme et de l’artisanat. Nous attendons donc beaucoup de lui et du ministre de l’Économie Bruno Le Maire.

« L’apprentissage n’est plus vu comme une voie de garage »

Joël Fourny : "La morosité de doit pas être notre paradigme, il faut garder le cap" — Photo : Photo CMA Shehan Hanwellage

Plus globalement, qu’attendez-vous du futur plan de relance du nouveau gouvernement ?

Joël Fourny : Nous y contribuons, et nous comptons beaucoup sur la prise en compte de nos enjeux. CMA France a formulé 12 propositions pour le plan de relance basées sur 3 axes forts : investir dans la production locale (le fabriqué en France), garantir le financement des entreprises artisanales et mener une stratégie d’alliance forte et concertée avec l’État, l’Europe et les collectivités

Ces propositions sont en partie déjà intégrées dans le plan de relance nationale. Nos combats ne sont pas terminés et nous attendons beaucoup des annonces du gouvernement pour cette rentrée. Le Président de la République s’est prononcé pour l’emploi et l’investissement, nous y sommes favorables.

L’apprentissage va-t-il vraiment mal ?

Joël Fourny : Les jeunes ne doivent pas être les premières victimes économiques du Covid-19. L’apprentissage a connu une hausse historique en 2019, il faut garder cette dynamique coûte que coûte. Nous avons réussi à changer son image, l’apprentissage n’est plus vu comme une voie de garage : c’est une orientation choisie et non pas subie. Les jeunes ont compris qu’ils avaient un avenir, un métier, qu’ils pouvaient devenir chef d’entreprise et mettre du sens à leur travail avec le savoir-faire, le fabriqué local. Et même en période de crise, il faut le rappeler : 85 % des apprentis ont un travail après leur formation et 55 % des chefs d’entreprise ont été apprentis.

Un apprenti de 18 ans gagne plus de la moitié d’un SMIC. C’est aussi pour l’entreprise qui l’accueille un coût zéro la première année de sa formation. Les jeunes seront au rendez-vous de la rentrée dans nos CFA : à nous de redonner confiance aux entreprises pour relancer la machine économique et surtout maintenir la dynamique obtenue en 2019 avec une hausse historique des entrées en apprentissage.

Vous avez été élu président de la CMA Pays de la Loire en 2016, quel regard portez-vous sur l’artisanat de la région et serez-vous toujours présent pour soutenir les artisans ligériens ?

Joël Fourny : J’ai été élu président de CMA France en juin et je continuerai de représenter les artisans de la « première entreprise de notre région » en mobilisant et fédérant toutes les forces vives, en faisant entendre leurs voix auprès des pouvoirs publics, que ce soit au niveau national ou régional. L’artisanat occupe une place importante dans la vie économique et sociale de notre région : l’artisanat ligérien est présent dans 99 % des communes, avec 69 000 entreprises, 135 000 salariés, plus de 13 500 apprentis. L’artisanat est un moteur de développement économique régional incontournable avec 7 500 créations d’entreprises l’an dernier, et en dix ans, 20 000 établissements créés. Je reste donc actif et déterminé dans ces missions.

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