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"Il est dommage de développer le solaire en France en faisant tourner les usines chinoises"
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Hubert de Boisredon PDG d’Armor Group "Il est dommage de développer le solaire en France en faisant tourner les usines chinoises"

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Le projet de loi sur les énergies renouvelables est en cours de discussion à l’Assemblée nationale. Hubert de Boisredon, PDG d'Armor Group, une ETI nantaise qui a développé une activité de films photovoltaïques, tire la sonnette d’alarme pour que cette loi permette à la filière française du solaire de se développer face à la concurrence chinoise.

Hubert de Boisredon, PDG d’Armor Group, qui compte une filiale solaire, Asca — Photo : David Pouilloux

Actuellement, les députés débattent du projet de loi sur les énergies renouvelables. Dans le contexte de la crise énergétique, c’est un moment important ?

Nous sommes dans une période particulièrement importante, en effet. Les députés sont en train de discuter du projet de loi sur les énergies renouvelables. Selon le résultat de ces discussions, cela peut avoir un impact considérable sur l’avenir des énergies renouvelables en France, sur la filière photovoltaïque en particulier et sur l’emploi dans notre pays.

C’est-à-dire ?

Quand on parle de l'activité photovoltaïque en France, on parle du développement de centrales solaires, avec l’installation de panneaux qui vont couvrir des champs agricoles ou qui vont nécessiter d’abattre des forêts. À 90 %, ces centrales sont développées avec des panneaux photovoltaïques en silicium qui proviennent largement d’Asie, principalement de Chine.

Cela semble particulièrement vous irriter ?

En effet, il y a une colère. C’est un coup de gueule que je pousse. La première raison, c’est que lorsque l’on pose des panneaux solaires chinois, on ne crée pas d’emplois en France. Il y a aussi un problème de dépendance qui est le corollaire de ce genre d’importation. Or, le président de la République ne cesse de dire qu’il est important que l’on œuvre à notre indépendance énergétique et à améliorer la souveraineté nationale sur le plan industriel. On a pu voir ce que cela donne d’être dépendant du gaz russe, avec les conséquences du conflit en Ukraine.

La situation vous semble grave ?

Dans l’industrie du photovoltaïque, on est dans une situation encore pire que celle du gaz, car on est tous dépendant de la Chine. Quand il y aura une tension entre la Chine et Taïwan, qu’il faudra sanctionner la Chine, nous serons dans une situation de conflit d’intérêts complet. Au-delà de ce constat, je trouve dommage, alors que l’on sait qu’il faut soutenir les énergies renouvelables, que l’on développe le solaire en faisant tourner les usines chinoises. Il y a beaucoup d’industriels européens, et notamment français, des PME et des ETI, qui développent des solutions photovoltaïques nouvelles, et qui sont très peu connues. Les faire connaître est notre cheval de bataille, en particulier auprès des élus.

Quelle solution proposez-vous chez Armor ?

Le photovoltaïque ne se résume pas aux panneaux solaires. Via sa filiale Asca, Armor propose une innovation de rupture : un film photovoltaïque organique. Nos films sont ultralégers, flexibles, on peut leur donner la forme que l’on veut et les poser sur un grand nombre de surfaces, en particulier les façades des bâtiments. Un panneau ne peut pas aller sur un toit fragile, rarement sur des façades. Quand on voit le nombre de façades produites, en France, en Europe, dans le monde, qui ne produisent rien, et qui sont exposées au soleil… J’estime que ce serait plus intelligent de couvrir toutes ces façades qui ne produisent rien plutôt que de couvrir des champs agricoles !

Notre solution solaire ne propose pas de réinjecter de l'électricité dans le réseau. Elle permet de rendre autonome un bâtiment, en produisant sa propre électricité pour l'éclairage, le chauffage, la climatisation.

En résumé, nous sommes face à une absurdité qui nous rend complètement dépendant de la Chine, qui pénalise le développement de l’agriculture, et qui ne crée pas d’emplois sur nos territoires.

Où est le problème au niveau de la loi ?

Le projet de loi en discussion sur les énergies renouvelables vise principalement à développer l’aval de la chaîne de valeur, c’est-à-dire l’installation, sans se préoccuper de l’amont, c’est-à-dire de la production en France et en Europe. Le projet de loi vise essentiellement à desserrer l’étau environnemental pour que l’on puisse installer des panneaux sur des champs et des espaces protégées.

"La législation française nous empêche de couvrir la surface des bâtiments en France avec des solutions solaires"

Ce que je demande, c'est que l’étau législatif soit desserré avec pour objectif de permettre de poser des solutions solaires sur le bâti, sur les façades, les garde-corps et les balustrades. Tous les immeubles neufs ont des balustrades en verre teinté. Il suffirait d’imaginer que la loi impose que toutes les balustrades comportent une solution solaire pour produire de l’électricité. Nous savons le faire, et nous l’avons d’ailleurs fait en Allemagne, en 2021, sur un immeuble dans la ville de Möringen. Si on couvrait l’ensemble des balustrades et des garde-corps en Europe, le problème du gaz russe serait résolu en un rien de temps.

Où cela coince techniquement ?

Ce qui coince, c’est que la législation française nous empêche de couvrir la surface des bâtiments en France avec des solutions solaires. Ce n’est pas le cas en Allemagne, en Suisse et dans d’autres pays. En France, nous n’avons pas l’autorisation, car il faut un avis technique à chaque fois, pour chaque projet. Sans cela, le bâtiment n’est pas assurable, et donc personne ne veut en prendre la responsabilité.

Le groupe nantais Armor, c’est aujourd’hui 400 millions d’euros de chiffre d’affaires et 2 500 salariés. Vous avez beaucoup investi pour développer votre innovation ?

Une entreprise comme Armor a investi environ 100 millions d’euros dans sa filiale solaire, Asca, qui compte 60 salariés. Nous avons par ailleurs déposé plusieurs centaines de brevets pour protéger cette innovation. Les blocages pour mettre en œuvre nos technologies sur les bâtiments sont énormes. Il y a un besoin de prise de conscience de cette situation, de pédagogie auprès de nos dirigeants politiques, et de nos députés en particulier.

C’est une diversification pour votre groupe ?

En effet, Armor est aujourd’hui leader mondial dans les consommables d’impression par transfert thermique, qui imprime les étiquettes code-barres et les informations variables sur les emballages. C’est avec ce savoir-faire et cette technologie que l’on a décidé de voir ce que l’on pouvait faire sur le solaire.

"Si demain on imprimait autant de films solaires que l'on imprime de film transfert thermique, on produirait par an plus que la totalité de la puissance électrique du parc nucléaire français"

Au lieu d’imprimer de l’encre, on imprime des polymères organiques, photosensibles, qui permettent de produire de l’électricité. Pourquoi ne deviendrions-nous pas le leader mondial sur le film solaire ? Armor enduit 13 000 kilomètres de film par jour pour nos consommables d’imprimerie. Si demain on imprimait autant de films solaires que l’on imprime de film transfert thermique, on produirait par an plus que la totalité de la puissance électrique du parc nucléaire français.

Sur le plan énergétique, votre solution est-elle efficace comparée aux panneaux en silicium ?

Notre rendement est de 6 à 7 %, contre environ 30 % pour les panneaux. Il en faut donc trois mètres carrés pour produire autant d’électricité qu’un panneau d’un mètre carré. Mais notre solution a d’autres avantages. Elle s’adapte à n’importe quelle forme, de surface. Elle fonctionne en luminosité faible, du lever au coucher du soleil, et son rendement n’est pas altéré par les fortes chaleurs. Par ailleurs, nos films fonctionnent parfaitement avec la lumière artificielle à l’intérieur d’un bâtiment, ce qui n’est pas possible avec les panneaux. Enfin, trois mètres carrés de films pèsent dix à quinze fois moins qu’un mètre carré de panneau. Autrement dit, pour les fabriquer, l’énergie consommée est quatre fois moindre et le besoin en ressources naturelles pour les fabriquer est trois fois inférieur. Et il n’est pas nécessaire de leur payer le voyage depuis la Chine. En seulement 4 mois, un film solaire fournit l’énergie qu’il a été nécessaire pour le fabriquer… C’est un an et demi pour un panneau.

Comment voyez-vous les choses dans les années à venir ?

Notre capacité annuelle de production de film solaire est aujourd’hui d’un million de mètres carrés, ce qui permettrait de couvrir l’équivalent d’un tiers de toutes les surfaces des tours de la Défense. Tout l’enjeu est de faire connaître cette technologie pour qu’il y ait des projets qui démarrent, et qu’on fasse du volume pour faire baisser les coups. Petit à petit, nous pourrons être compétitifs par rapport aux prix des panneaux, et même être à un prix inférieur. Aujourd’hui, nous produisons quelques dizaines de milliers de mètres carrés.

Où peut-on voir vos premières réalisations ?

Nous avons déjà mené à bien plusieurs centaines de projets dans le monde, en particulier en Allemagne, en Suisse et au Moyen-Orient. Récemment, nous avons achevé l’un de nos plus importants projets, à Bâle en Suisse. Il s’agissait de couvrir complètement le pavillon de Novartis pour qu’il soit autonome en énergie et que sa surface puisse être utilisée comme un média, c’est-à-dire qu’il soit possible, grâce à un système de LEDs, d’écrire des messages ou de faire des dessins. Ce bâtiment est aujourd’hui considéré comme un des symboles de la ville. Nous avons aussi réalisé un voile d’ombrage pour le siège de l’Union Africaine, à Addis Abeba, en Éthiopie, un arbre solaire pour le siège social de Merck, en Allemagne, un toit solaire pour le pavillon des Pays Bas, pour l’expo 2020, à Dubaï.

Votre solution solaire trouve-t-elle un bon écho après ces premières réalisations ?

En un an, nous avons reçu plus de 1 000 demandes de projets pour utiliser nos films solaires, des projets qui vont de 500 à 20 000 mètres carrés. Mais ce qu’il nous faut, c’est passer à l’échelle supérieure, avec une commande publique forte. Que l’État, par exemple, impose que les bâtiments publics bénéficient de solutions solaires, qui leur permettent de produire leur propre énergie.

Pour l'heure, le projet de loi est passé au Sénat, et les nouvelles semblent rassurantes, non ?

Ce qui s'est passé au Sénat est intéressant, en effet, et c'est une première : deux amendements viennent d'y être adoptés. Des sénateurs LR et des sénateurs écologistes se sont mis d'accord pour dépasser leur clivage de partis au nom de l'intérêt général. Nous espérons que l'Assemblée nationale va suivre.

"L'enjeu, c'est l'emploi en France, et la lutte contre le dérèglement climatique"

Le premier amendement dit en l'occurrence que "la commande publique doit prendre en compte l'empreinte carbone et environnementale des solutions solaires qu'elle acquière". Aujourd'hui, la commande publique, pour simplifier, se pose uniquement la question de savoir combien ça me coûte du solaire ? Si ça vient de Chine, on s'en moque. L'empreinte carbone ? Eh bien ça ne compte pas, même si elle est six fois supérieure.

Et le second amendement de la Loi ?

Il permet "la solarisation de l'ensemble des façades, et pas seulement des toitures, par le biais de solutions innovantes, devient possible sur tous les bâtiments dont l'emprise au sol dépasse 250 m². Ce texte a été adopté à une très belle majorité : sur 343 votants, 325 se sont exprimés, dont 320 pour et seulement 5 contre. Un amendement n'a pas été adopté, celui sur les balustrades et les garde-corps. Il reste la navette parlementaire. Il faut faire bouger l'Assemblée nationale. L'enjeu, c'est l'emploi en France, et la lutte contre le dérèglement climatique. Après avoir écrit au Président de la République Emmanuel Macron, je viens de demander des rendez-vous à Rolland Lescure, le ministre de l'Industrie, à Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, et à Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique. L'idée de soutenir une innovation qui lutte contre le réchauffement climatique et une écologie qui crée de l'emploi en France devrait faire consensus.

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