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Ani AT-MP : les risques dans les entreprises mieux pris en compte par les partenaires sociaux
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Ani AT-MP : les risques dans les entreprises mieux pris en compte par les partenaires sociaux

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Les sujets de négociations de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 15 mai 2023 sur le fonctionnement de l’Assurance maladie-risques professionnels (branche AT-MP) étaient nombreux. Celui-ci prévoit entre autres une augmentation des effectifs des Carsat, une reprise en main par les partenaires sociaux de la branche aujourd’hui gérée par l’assurance maladie et une meilleure réparation des victimes.

L’accord a mis à jour les tableaux de maladies professionnelles existants et en a créé de nouveaux en lien avec les risques émergents — Photo : ME Image

"C’est un accord majeur car c’est un accord systémique", se réjouit Eric Chevée, vice-président de la CPME, en charge des affaires sociales. L’accord national interprofessionnel (ANI) sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) de la Sécurité sociale a été signé par l’ensemble des syndicats – CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC et FO - et des organisations patronales (Medef, CPME et U2P). Ce dont se réjouissait l’ancien président du Medef Geoffroy Roux de Bezieux le 2 juin dernier sur Twitter : " Ce sixième succès de l’agenda autonome des partenaires sociaux prouve l’efficacité du dialogue social".

Manque de moyens humains

Cet ANI a, entre juin et décembre 2022, fait l’objet d’une phase de diagnostic. Un diagnostic qui a mis en évidence le manque de moyens humains dans la structure de l’AT-MP de la sécurité sociale. "L’ensemble des partenaires sociaux avait constaté un état dégradé de la structure", explique Jérôme Vivenza qui a représenté la CGT dans les négociations. "Si le système français s’avère efficace par rapport aux autres pays suite à un comparatif qui a été fait, le dispositif ne se mettait pas en œuvre correctement", pointe le représentant de la CGT. Au-delà de ce manque de moyens humains et financiers, les partenaires sociaux avaient également mis en avant un problème de gouvernance et "une réparation qui ne répondait pas forcément aux besoins".

Parmi les requêtes formulées par les partenaires sociaux durant la phase de négociation, l’augmentation des effectifs des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) pour leur permettre d’être physiquement présents sur site et améliorer ainsi la prévention dans les entreprises. "Ils sont en mesure de constater des organisations de travail pathogènes et de détecter les éventuels risques dans les entreprises, d’apporter des solutions et de les accompagner dans leur mise en place", explique Jérôme Vivenza. N’étant jusqu’à maintenant pas assez nombreux – moins de 500 pour toute la France –, "les contrôleurs ne pouvaient aller que là où il y avait de grosses sinistralités pour constater les dégâts. Leur prévention n’était pas efficace". 166 contrôleurs vont ainsi être recrutés pour la première année. Objectif, qu’ils puissent "intervenir en amont et avoir ainsi un rôle de prévention, de contrôle et de conseil plutôt que de gendarme", poursuit Jérôme Vivenza.

Un conseil d’administration paritaire et autonome

L’accord, qui tient sur une trentaine de pages, consacre les deux tiers à la prévention des risques professionnels. Le souhait des partenaires sociaux étant d’investir massivement sur le sujet. Pour l’heure, seul 2 % du montant total du budget de la branche y était consacré. "Pour avoir la révolution vers la prévention, il faut que les partenaires sociaux reprennent le pouvoir à la caisse de l’AT/MP", clame Eric Chevée, faisant référence aux 14 milliards d’euros de cotisations employeurs de la branche. "La quasi-totalité est consacrée uniquement à la réparation, contre 500 millions seulement à la prévention : c’est très déséquilibré". Pour le vice-président de la CPME, le point le plus important de l’accord concerne ainsi le changement de gouvernance de la branche. Si elle reste rattachée à la sécurité sociale, elle compte, en lieu et place d’une commission de la Cnam (Caisse national d’assurance maladie), un conseil d’administration. L’ANI propose ainsi de transformer cette commission en conseil d’administration paritaire et autonome piloté par les partenaires sociaux. "Si la caisse est constamment gérée par l’assurance maladie, les excédents ne serviront jamais qu’à éponger les trous de la Cnam et ne seront jamais réinvestis dans la prévention des AT/MP", explique-t-il. Les partenaires sociaux regrettent également la non prise en compte des avis de la commission. "La branche est normalement pilotée par les partenaires sociaux, mais dans les faits les avis des organisations syndicales et patronales ne sont pas forcément respectés, plaide de son côté Jérôme Vivenza. Elle n’a pas un vrai pouvoir décisionnel. Et l’Etat fait de l’ingérence sur certaines problématiques".

Vers une meilleure réparation

L’accord revient également sur le principe de réparation des victimes. Objectif : réaffirmer le compromis historique de 1898, à l’origine du fonctionnement de déclaration des maladies professionnelles ou des accidents du travail. Celui-ci stipule que si l’accident intervient sur le lieu de travail, il y a présomption d’imputabilité à l’employeur. L’avantage : "éviter la judiciarisation du processus et avoir un risque mutualisé grâce aux cotisations versées à l’AT/MP", défend Eric Chevée. L’accord a mis à jour les tableaux de maladies professionnelles existants et en a créé de nouveaux en lien avec les risques émergents. Il est également revenu sur les barèmes de rente, notamment sur le taux d’incapacité pour bénéficier de la prestation complémentaire pour recours à tierce personne (PCRTP). Celui-ci est abaissé de 80 % à 40 %. Ainsi, "beaucoup plus de personnes vont pouvoir bénéficier de la prestation de recours à un tiers-aidant", explique Eric Chevée.

Autre avancée, le taux d’incapacité, qui passe de 25 à 20 %. Objectif : répondre à des situations qui ne sont pas répertoriées dans les tableaux des cent maladies professionnelles et autoriser l’accès à la reconnaissance des pathologies professionnelles hors tableau. Notamment en facilitant l’accès au Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), chargé de montrer le lien de causalité entre une pathologie et une activité professionnelle. Toujours en termes de réparation, l’accord prévoit de réguler le reste à charge zéro côté accident du travail. Soit de "remettre les choses dans l’ordre" dans les rentes versées aux victimes d’accidents et de maladies liées au travail.

Meilleure information des salariés

Autre volonté de l’ANI : engager la sécurité sociale à mieux informer les salariés et les victimes sur leurs droits et sur les procédures. "Pour déclarer une maladie professionnelle, il est difficile d’obtenir des conseils avec la pénurie de médecins du travail, même si ces derniers ne font pas partie de l’AT/MP", regrette Jérôme Vivenza. Une campagne d’information sur leurs droits et sur ce à quoi ils peuvent prétendre va être mise en place en ce sens. Mais pour que cette ANI fonctionne, les salariés qui siègent à la présidence de la branche doivent pouvoir bénéficier de "moyens de détachement", soit de temps pour effectuer leur mandat, explique Jérôme Vivenza. "Cet accord n’est pas une finalité. C’est le début d’un vaste chantier", estime-t-il encore. Il est par ailleurs encore en suspens : reste en effet à s’assurer que le contrat d’objectifs et de gestion (COG), qui équivaut au budget de la branche et doit être signé en ce mois de septembre, respecte l’accord. "Cela va faire l’objet d’une autre bataille. Sinon l’accord ne sera pas mis en œuvre", prévient Jérôme Vivenza. Reste également à convaincre d’autres acteurs, comme les parlementaires, les Services de prévention et de santé au travail ou le gouvernement, qui a promis de "retranscrire fidèlement" les accords conclus.

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