41 % des salariés en détresse psychologique : comment réagir ?
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41 % des salariés en détresse psychologique : comment réagir ?

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Démotivation, isolement, burn-out : l’épidémie de Covid a dégradé la santé psychologique des salariés. En témoigne le baromètre du cabinet Empreinte Humaine, spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux : 41 % des actifs interrogés se déclarent en détresse psychologique. Comment l’entreprise peut-elle lutter contre ce phénomène ?

Le Covid-19 continue d’affecter la santé mentale des salariés. Les femmes, les jeunes et les managers sont les plus touchés — Photo : Thodonal

Le chiffre fait froid dans le dos. 41 % des salariés français sont en situation de détresse psychologique, selon le baromètre que vient de publier Empreinte Humaine. Ce cabinet de conseil parisien spécialisé en qualité de vie au travail et en risques psychosociaux s’appuie sur un sondage réalisé fin janvier et début février auprès de 2 000 personnes. Pouvant déboucher sur des burn-out ou des dépressions si elle est chronique, cette détresse psychologique prend plusieurs visages.

Pour 35 % des salariés, la crise sanitaire a été l’occasion de découvrir que leur travail n’avait pas de sens pour eux. 49 % déclarent rester dans leur entreprise faute de mieux. Suite à l’épidémie, la moitié des salariés a eu tendance à s’isoler, 40 % à perdre leur patience et devenir irritable. Un tiers se déclare moins réceptif aux idées de leurs collègues et un quart reconnaît être agressif pour tout et rien. La dégradation se manifeste aussi par de la fatigue, de l’épuisement émotionnel. 34 % des salariés sont en burn-out dont 13 % en burn-out sévère soit 2,5 millions de personnes en France (2,5 fois plus qu’en 2020). Autant de situations douloureuses qui dégradent les rapports au travail et l’engagement dans l’entreprise.

Le blues des femmes, des jeunes et des managers

Les plus touchés par cette détresse psychologique sont les jeunes de moins de 29 ans (54 %), les femmes (47,5 %) et les managers à (44 %). "Les femmes ont cumulé des risques psychologiques majorés par la pandémie, avec un engagement accru dans les responsabilités familiales : gestion des enfants, classe à la maison, tâches domestiques… Elles ne pouvaient jamais être totalement disponibles pour le travail ou pour la famille, du fait de ces doubles taches. La crise a exacerbé les inégalités avec les hommes. Ce sont les femmes qui ont fait le plus de concessions, cumulé les contraintes et se retrouvent plus affectées", estime Christophe Nguyen, psychologue du travail et président d’Empreinte Humaine.

"Se retrouver en situation de télétravail, alors qu’on ne connaît pas ni le job, ni la culture d’entreprise, ne donne pas les clés pour travailler correctement "

Les moins de 29 ans ont également cumulé les difficultés. Pour certains, il a fallu découvrir le monde de l’entreprise et un emploi en pleine crise, sans présence physique dans l’entreprise et sans contact avec des collègues inconnus. Les visioconférences ont été un moindre mal. Dans de telles conditions, "ces jeunes salariés n’ont pu acquérir de repères pour bien s’ingérer dans l’entreprise et faire l’apprentissage du métier. Se retrouver en situation de télétravail, alors qu’on ne connaît pas ni le job, ni la culture d’entreprise, ne donne pas les clés pour travailler correctement " analyse Christophe Nguyen. Situation psychologique aggravée par des logements exigus.

Les managers, quant à eux, se sont davantage retrouvés en télétravail que les autres salariés et ont souffert de ce travail à distance. Les facteurs de stress se sont accumulés : manque de contrôle sur les équipes, peur du travail pas fait, tunnels de réunions, manque de contact visuels et physiques pour mesurer le moral des troupes. La gestion de la détresse des salariés se cumulait aux questions de survie économique, le tout accentué par le sentiment de n’avoir aucune prise sur les crises successives. "Une grande partie des managers a fait preuve d’abnégation, s’occupant prioritairement de l’entreprise et de leurs équipes plutôt que d’eux-mêmes… avec des impacts différés sur leur santé", soutient le dirigeant d’Empreinte Humaine.

Fatigue pandémique et individualisme

La fatigue s’est installée chez de nombreux salariés (54 %), du fait de la longueur de la crise sanitaire, des changements successifs de réglementations et de fonctionnement au travail, de la pression médiatique inquiétante. Dans le même temps, l’individualisme s’est fait jour. "Peur de la maladie pour certains, télétravail à domicile : les gens se sont recroquevillés sur eux, avec moins de considération de l’équipe, moins de prise en compte des agendas des uns et des autres, moins de reconnaissance par les managers, chacun étant dans son tunnel". Pour Christophe Nguyen, l’esprit d’appartenance s’est délité, le rapport au travail a changé. Les managers vont devoir reconstruire avec cela. L’étude montre que les entreprises peuvent mieux faire pour la santé psychologique des salariés. Seuls 30 % d’entre eux considèrent que leur direction est réellement engagée sur le sujet, seuls 21 % considèrent qu’il existe une culture de prévention des risques psychosociaux dans leur entreprise.

Managers : plus de proximité et de souplesse

Néanmoins, certains managers ont fait de réels efforts d’adaptation. Ils ont su profiter des périodes de relâchement des contraintes sanitaires pour réorganiser la vie d’équipe. Comment ? En privilégiant des moments pour organiser des retours en présentiel avec les salariés volontaires, créer du lien, dialoguer, se retrouver en équipe et relâcher un peu la bride, faire preuve de reconnaissance et brainstormer. "Créer de la proximité : seule une partie des managers l’a fait. Les autres ont subi, parce que très désemparés et ne sachant comment remotiver les salariés à revenir. Ce qui les a mis dans une position inconfortable. C’est un indicateur qui questionne les relations entre les collaborateurs, l’encadrement et l’ambiance dans l’entreprise", met en garde Christophe Nguyen Dans ce cas, un état des lieux s’impose : bilan de ce qui s’est passé pendant la crise, prise en compte des attentes des salariés, révision de l’organisation du travail.

Le rapport au travail a changé : promettre à court terme

Face à des cadres old school, habitués à des fonctionnements pyramidaux, un accompagnement au changement s’impose : changement de posture, formation… "Il est indispensable que ce soit le collectif d’encadrement dans son ensemble, qui se soude autour des nouvelles valeurs de management". insiste le psychologue du travail. Plus globalement, il faut requestionner le contrat moral de l’entreprise avec les salariés : place du travail dans la vie des gens, équilibre vie professionnelle-vie personnelle, nouveaux moteurs de motivation. "Les gens ne croient plus aux anciennes promesses - plus vous donnerez à l’entreprise, plus vous progresserez - et la réalisation de soi dans le travail n’a plus vraiment cours. Aujourd’hui, face à l’instabilité du monde, l’entreprise ne peut plus promettre sur le long terme, mais doit proposer à court terme".

"Le manager qui ne se mettra pas à l’écoute, sera sanctionné, dans les résultats et par le turnover"

Cela passe par l’aménagement des conditions de travail et des horaires, davantage de reconnaissance, plus de souplesse avec les équipes, un dialogue plus direct et régulier entre dirigeant et collaborateurs. "Il faut des managers qui savent créer de la proximité psychologique, des liens de confiance, une envie de la part des équipes… Afin que les salariés puissent alerter, faire remonter un problème, un besoin, apprennent à solliciter davantage lorsqu’ils sont en télétravail. Le manager doit savoir embarquer les équipes dans cette coresponsabilité, ne plus être uniquement descendant. Lui-même doit connaître les pratiques saines : être attentif à des signaux faibles de salariés en mal-être, mettre en place pour cela des rituels d’échange en présentiel et en télétravail. C’est indispensable". Même chose pour les temps de suivis de la charge : créer des points fréquents et pas seulement annuels. "Le manager qui ne se mettra pas à l’écoute, sera sanctionné, dans les résultats et par le turnover". Un nouveau mode de leadership s’impose aujourd’hui et non un retour à "avant la crise". À vivre comme un vrai projet d’entreprise pour embarquer les équipes.

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