Saint-Brieuc
Le commerce de centre-ville poursuit son délitement à Saint-Brieuc
Enquête Saint-Brieuc # Commerce # Politique économique

Le commerce de centre-ville poursuit son délitement à Saint-Brieuc

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Pour la dixième année consécutive, le baromètre de la vacance commerciale dans le centre-ville de Saint-Brieuc, publié en exclusivité par Le Journal des Entreprises, confirme l'érosion du nombre de commerces. 244 pas-de-porte sont vides en 2020 soit un taux de mitage de 41,3 %.

Artère commerçante historique de Saint-Brieuc, la rue Houvenagle affiche un taux de vacance commerciale de 62 %. 11 boutiques sont inoccupées sur 18. — Photo : Julien Uguet / Le Journal des Entreprises

Il y a des anniversaires plus joyeux et festifs. Pour la dixième édition consécutive, le baromètre de la vacance commerciale, publié en exclusivité par Le Journal des Entreprises, confirme le délitement de l’attractivité commerciale de la préfecture des Côtes-d’Armor. 244 commerces vides ont été comptabilisés en février 2020, contre 229 sur la même période un an plutôt (relevés effectués le 6 février 2020 sur le périmètre Fisac délimité par la mairie de Saint-Brieuc). Pour rappel, lors de la création de ce baromètre, en 2011, Saint-Brieuc ne comptait que 89 commerces fermés soit un taux de mitage de 15,1 %.

Dix ans plus tard, ce pourcentage atteint 41,3 %. Il était de 38,5 % en 2019. Ces chiffres contredisent au passage l’intervention récente de Christine Minet, qui contestait le bien-fondé du baromètre mis en place par Le Journal des Entreprises. « Je ne dis pas que le centre-ville va bien mais la situation ne s’aggrave plus », clamait l’adjointe au maire en charge du commerce à la ville de Saint-Brieuc.

Saint-Brieuc présente un panorama commercial qui se dégrade année après année — Photo : @DR

Ce n’est plus un secret de polichinelle. Saint-Brieuc a mal à son commerce depuis maintenant une décennie même si le rythme auquel le nombre de pas-de-porte évolue semble se stabiliser autour de 6 % par an. Dans sa 3e édition du palmarès des centres-villes commerçants, Procos, la fédération pour la promotion du commerce spécialisé, analyse que le taux de mitage dans la catégorie des « petites villes moyennes » (25 000 à 50 000 habitants, incluse dans une agglomération ne dépassant pas 200 000 habitants), dont peut se revendiquer Saint-Brieuc, oscille autour de 15 % en moyenne, avec une évolution annuelle de 4,5 %. Loin des projections statistiques de cette étude parisienne, la réalité briochine s’avère plus rude. Avec 41,3 % de commerces vides, et une progression de 1,5 point supérieur chaque année, la Cité Gentille compte parmi les dernières de la classe.

Le symbole Saint-Guillaume

À quelques rares exceptions, tout le périmètre Fisac, zone délimitée par la ville pour matérialiser son cœur de ville, éligible à des aides publiques de l’État ou des collectivités, est touché. L’hyper-centre symbolise à lui seul la chute de l’attractivité commerciale briochine. En 2011, il comptait 30 cellules vacantes. Dix ans plus tard, on en dénombre 102, soit une hausse faramineuse de + 260 %.

Vétusté des pas-de-porte, loyers trop élevés, concurrence du web et des zones périphériques, mainmise de familles historiques, etc. Les raisons du mal-être sont connues, les solutions pour le traiter pas encore. Artère commerçante emblématique de Saint-Brieuc, la rue Saint-Guillaume fait peine à voir cumulant fermetures sur fermetures. Même les enseignes nationales la délaissent. Z, Bonobo, Okaidi ont fait partie du premier bataillon des partants. D’ici à l’été, Celio, La Brioche Dorée ou encore Jennyfer les rejoindront.

Les Champs patinent

Le départ de l’emblématique manège pour enfants, présent depuis 2006, témoigne également de ce malaise commercial. « Les clients ne sont plus au rendez-vous, confirmait le gérant, quelques jours avant le démontage de l’infrastructure, fin février. Nous avons choisi de partir sur Brest où la dynamique est beaucoup plus forte avec de véritables perspectives de rentabilité et de chiffre d’affaires. »

Sur 29 cellules, le centre commercial Les Champs en compte 10. Le dernier à avoir fermé ses portes est l'enseigne de parfumerie Beauty Success — Photo : Julien Uguet / Le Journal des Entreprises

Autre symbole d’un centre-ville en perte de vitesse : Les Champs. Vendu comme la locomotive de Saint-Brieuc, le centre commercial urbain semble toujours patiner. Sur 29 cellules disponibles, un tiers reste, bon gré malgré, vide. En 2020, elles sont encore au nombre de 10 avec le récent départ de l’enseigne de parfumerie Beauty Success ou celui de l’opticien Atol qui a choisi de se repositionner dans les rues piétonnes.

La vétusté du parc commercial

L’hyper-centre n’est pas un cas à part. Les entrées de ville sont également durement touchées. Autre artère emblématique de Saint-Brieuc, la rue de Gouédic, sur sa partie haute, compte, en février 2020, 19 magasins vides sur 41 cellules disponibles. La situation se révèle encore plus catastrophique du côté de la rue Houvenagle, à l’opposé de la ville, en direction du port du Légué, qui affiche un taux de vacance commerciale de 62 % (11 boutiques inoccupées sur 18). « On se sent seul et délaissé, confie l’un des derniers commerçants de cette rue. Regardez l’état des cellules. C’est sale et la dégradation s’accélère avec le temps. Qui voudrait décemment louer un tel emplacement ? » Toujours rue Houvenagle, c’est d’ailleurs l’un des plus beaux immeubles de Saint-Brieuc, fort de deux surfaces commerciales et de 6 logements, qui a été marqué, fin 2019, d’un arrêté de péril imminent, faisant fuir manu militari les deux boutiques.

À la gare, entrée de ville ferroviaire, boostée par l’arrivée la ligne LGV, le panorama est tout aussi triste avec 7 cellules vides sur 12 dans le boulevard Charner… pour certaines dans un état de délabrement sans égal. Pas réjouissant pour le touriste ou l’homme d’affaires de passage, qui, pour rejoindre le centre-ville doit encore passer, rue de la gare, devant 12 boutiques fermées sur 20.

On estime que 70 % du parc commercial de Saint-Brieuc est délabré compliquant la commercialisation des magasins vides — Photo : Julien Uguet / Le Journal des Entreprises

La problématique des travaux

Retenue dans le cadre du programme national « Action Cœur de Ville », Saint-Brieuc tente de trouver des solutions pour inverser la dynamique. L’enveloppe allouée par l’État, à la préfecture des Côtes-d’Armor, devrait dépasser 20 millions d’euros. Parmi les priorités édictées : l’aide à la rénovation des copropriétés, en centre-ville, « pour donner envie à des habitants de s’y installer » mais aussi des projets plus structurants comme la requalification du secteur piétonnier, la restructuration de la place de la Grille et de la rue des Trois-Frères-Le Goff, etc. « La problématique de cette ville est son important temps de latence pour prendre et mettre en œuvre une décision, précise ce commerçant de la rue Saint-Guillaume. Il n’y a qu’à regarder l’immeuble du Monoprix, vide depuis 12 ans, et qui menace de s’effondrer. On nous parle de médiathèque ou de logements à sa place, mais cela fait des années que l’on nous balade et que cette verrue fait tache. »

Dans le collimateur également, les travaux qui semblent ne jamais en finir. Alors que le projet de bus en site propre TEO touche à sa fin, avec un impact réel sur les flux de circulation, Saint-Brieuc s’apprête à lancer la deuxième phase de requalification de son plateau piétonnier. « C’est encore deux années de travaux supplémentaires qui vont accélérer le recul de la fréquentation des rues et celui de nos chiffres d’affaires, conclut cet autre commerçant. Comment voulez-vous investir à Saint-Brieuc, prendre des risques en tant qu’entrepreneur quand tant d’incertitudes planent au-dessus de votre tête ? »

Des taxes et des aides peu efficaces

Pour tenter de relancer une dynamique commerciale en centre-ville, la mairie de Saint-Brieuc a mis en place des mesures coercitives et incitatives. Depuis 2016, une taxe sur les friches commerciales est imposée aux locaux vides depuis plus de deux ans. La première année, 42 cellules commerciales avaient été recensées, 54 en 2017, 62 en 2018 et 82 en 2019. En 2018, cette taxe n’a pas rapporté gros : 30 000 euros. Et pour cause. Tous les propriétaires des locaux vides ne la payent pas. Il suffit qu’ils prouvent avoir mis leur cellule en location (ou en vente), même à un prix hors marché, dans une agence immobilière pour y échapper. Malgré son efficacité relative, la taxe a été reconduite pour 2020 pour 82 cellules vides.

En parallèle, la ville a mis en place une aide à l’implantation commerciale en prenant en charge, sous conditions, 50 % du prix du montant du loyer mensuel pendant un an. Trois dossiers ont été retenus dont deux sont de simples transferts. Confrontée à un manque de candidats, la mairie a assoupli les règles pour allouer ses aides. Exit le respect des prix du marché par les bailleurs autour d’une marge tolérée par la municipalité de 10 %. Désormais, pour les locaux de moins de 50 m², la grande majorité de l’offre briochine, les loyers pourront être jusqu’à 50 % plus chers que les prix du marché. De quoi laisser à penser que Saint-Brieuc cède aux propriétaires trop gourmands.


>> Les propositions des candidats aux municipales

Hervé Guihard, candidat de la liste d’union gauche-EELV-Communiste « Saint-Brieuc, réinventons l’espoir ». « Sur ce sujet, il a été plus dit que fait, notamment sur la reconquête de l’habitat et de l’emploi. Des mesures rapides s’imposent en aidant d’abord les commerces existants, en créant une conciergerie solidaire d’aides aux démarches administratives, à la création de supports simples de communication, etc. Il faut recruter un vrai manager de centre-ville, à 100 % sur sa mission. J’entends également chercher un partenariat avec les grandes surfaces (loisirs, bricolage, sport). Pourquoi ne s’étendraient-elles pas dans le centre avec une offre nouvelle, numérique ou éphémère, pour apporter la diversité qui nous manque ? Enfin, à partir de 110 locaux stratégiques recensés, nous lancerons un plan de réhabilitation, avec notamment des chantiers d’insertion. »

Richard Rouxel, candidat de la liste « Saint-Brieuc, la volonté d’avenir » (MoDem). « Il faut travailler la complémentarité entre les espaces commerciaux en identifiant des activités prioritaires à développer en centre-ville : luthier, tailleur, etc. Pour y parvenir, il faut mieux accompagner les porteurs de projet au travers d’un pack accueil piloté par une conciergerie et un chef de projet officiel. Par ailleurs, je souhaite créer une cellule de veille commerciale afin d’accompagner au mieux les investisseurs. Un lieu spécifique serait dédié aux expérimentations. Nous veillerons aussi à la soutenabilité des loyers en acquérant du foncier. Enfin, un travail sur le stationnement doit s’engager via des périodes de gratuité le samedi ou en dédiant des étages de parking aux salariés du centre-ville pour libérer de la place aux consommateurs. »

Pierre-Yves Lopin, candidat du Rassemblement national. « Pour que le commerce se relance à Saint-Brieuc, il faut faire revenir du monde en revoyant le plan de circulation qui est d’une complexité sans nom et qui dissuade aujourd’hui les consommateurs de se déplacer dans le centre-ville. Le projet de bus en site propre TEO a été une erreur monumentale et ce sont les commerçants qui en pâtissent. Je pense qu’il faut aussi revoir la place de la voiture dans la ville en lui donnant la dimension qu’elle mérite. Il serait notamment intéressant de remettre une partie de la rue Saint-Guillaume-Charbonnerie en semi-piétonne pour la rendre accessible aux automobiles. Il faut aussi que les gens qui ont de l’argent reviennent à Saint-Brieuc car ce sont eux qui sont créateurs de richesse et consomment. »

Alain Le Fol, candidat pour Lutte Ouvrière. « Le développement du commerce du centre-ville est d’abord lié au pouvoir d’achat des consommateurs. La mainmise de grands groupes et le développement de zones de commerciales, avec l’aide de certains élus, ont aussi poussé à la paupérisation et à la fermeture des boutiques. À Saint-Brieuc, comme ailleurs, les commerçants sont victimes de la concurrence capitaliste où les gros mangent les petits. Il n’y a pas de solutions locales. Pour consommer, il faut un emploi et un salaire. Les milliards consacrés au versement du CICE et au CIR ne servent qu’à enrichir une minorité de capitalistes. Une société soucieuse de l’intérêt général imposerait la répartition du travail entre tous, en prenant sur les bénéfices des grands groupes pour garantir un salaire correct à tous. »

Corentin Poilbout, candidat de la liste « En Mouvement pour Saint-Brieuc » (LREM). « L’attractivité de Saint-Brieuc repose sur sa capacité à porter une vision globale sur l’habitat, l’emploi, le médical, les mobilités, la place de l’enfant, la culture. Face au nombre de logements ou cellules vacantes ou vétustes, nous assumons un volontarisme politique. Pour y répondre, nous prenons 4 engagements prioritaires: la création d’un outil, avec d’autres partenaires, de portage foncier et immobilier pour reconquérir les logements afin qu’ils répondent aux nouveaux parcours résidentiels ; la rénovation et la location à prix modéré de cellules pour favoriser le retour de métiers de bouche et culturel ainsi que l’émergence de nouveaux concepts; le recrutement d’un manager de centre-ville; la piétonnisation de certaines places, etc. »

Noël Pierre, candidat de la liste écologiste « Mieux vivre ensemble à Saint-Brieuc ». « Promouvoir la diversification du commerce est un axe primordial. Défendons le centre-ville et stoppons l’étalement des aménagements commerciaux périphériques. Le développement passera également par une taxation des cellules vides et en utilisant ce produit pour financer l’aide à l’installation des nouveaux commerçants. Mais la ville ou l’agglomération devront montrer l’exemple en matière de précarité foncière ou de cellules vides leur appartenant. Les quartiers ne doivent toutefois pas être les grands oubliés, le commerce de proximité est indispensable. Enfin, pour faire revenir des habitants au centre-ville, nous devrons inciter les propriétaires à la pratique de loyers modérés. Le transport urbain briochin devra être gratuit pour permettre son accès au plus grand nombre. »

Le collectif de l’Assemblée Populaire (France Insoumise). En l’absence de réponse à nos sollicitations, nous avons compilé les principales idées du collectif qui milite pour un maire tournant tout au long du mandat. L’Assemblée Populaire de Saint-Brieuc invite « à ne pas voir le dynamisme d’une ville au seul prisme de l’activité commerciale. » Elle milite pour « taxer les propriétaires maintenant des prix trop importants ou refusant de louer leurs locaux commerciaux » et « mettre en place un vrai marché de producteurs et créer un marché nocturne avec produits bio, un mix d’étals de commerces de bouche et d’artisanat. » L’Assemblée Populaire entend également « mettre un veto sur la création de nouvelles constructions commerciales en périphérie. » En parallèle, le mouvement veut « préempter les logements vacants, taxer les propriétaires de logements vides et envisager une co-participation financière à l’achat en copropriété du particulier avec la ville, en usufruit. »

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