Historiquement, géographiquement, Libourne ne manque pas d’atours. Ville de confluence, ses quais ont vu partir, des siècles durant, des bateaux chargés de ses vins prestigieux. Ainsi s’écoulait le temps, et fleurissait son commerce, au fil de ses deux rivières, la Dordogne et l’Isle, réunies pour rejoindre l’océan… « sans passer par Bordeaux ». Une précision de Philippe Buisson, maire de Libourne, et l’évocation d’une époque révolue, celle d’un Libournais cultivant une certaine forme « d’autosuffisance, voire d’autosatisfaction vis-à-vis de sa grande sœur bordelaise ».
C’était hier. Depuis, la ville bastide a retroussé ses manches, sorti ses muscles et intronisé Arnold Schwarzenegger à l'occasion de « Libourne fête le vin » en juin dernier. Mais, plus fort que Terminator, « le fait métropolitain, bouleversant la donne », est lui aussi passé par là. Depuis, plus question pour Libourne de snober la capitale aquitaine, bien au contraire, il s’agit pour son premier édile « de surfer sur l’attractivité bordelaise » pour hisser au rang de ville centre d’un grand Libournais. En atteste, la signature d’une convention entre la Communauté d’agglomération de Libourne – la Cali – et la Métropole, adoptée en 2017. Les deux collectivités dialoguent désormais en matière de projets économiques, de gouvernance alimentaire, de politique de l’habitat et de mobilité. « Nous sommes sortis de l’ornière, reconnaît Philippe Buisson. Nous revenons de loin ».
Sauver la desserte TGV
Alors qu’une ombre demeurait, celle de la perte possible du statut de gare TGV, la ministre de Transports Elisabeth Borne assurait en novembre dernier que les quatre dessertes quotidiennes de Libourne étaient sécurisées. « Un élan de solidarité porté par la Région, la Métropole et les villes périphériques a permis de remporter ce combat difficile, qui n’a rien de cosmétique, insiste Philippe Buisson. Ce n’est pas l’expression d’une sensiblerie territoriale. C’est déterminant, quant au choix d’implantation ». Déterminant en outre pour mettre en avant des opportunités de foncier économique au tiers du prix métropolitain.
Pour une ville en pleine cure de jouvence, à l’image de son cœur de bastide et de ses quais remis au goût du jour, « cette incontestable bouffée d’oxygène » séduit les nouveaux arrivants et conforte les acteurs économiques de la place dans leurs investissements. Au rang desquels, le principal employeur du secteur privé, l’entreprise Ceva santé animale –676 salariés –, dirigée par Marc Prikazsky. « Evidemment que Bordeaux-Paris en deux heures, c’est génial », note le pdg. Mais attention à ne pas se contenter d’une croissance « facile ». Attention surtout à ce que ce développement ne se fasse pas au détriment des territoires ruraux, enclavés. Marc Prikazsky le martèle : personne n’a à y gagner, pas même Bordeaux finalement. La thrombose routière, l’aéroport de Mérignac inatteignable en heures de pointe, le prix de l’immobilier qui flambe… le PDG persiste et signe. La médaille a son revers, « le système est englué, c’est la rançon du succès ». Et d’évoquer des livreurs qui rechigneraient à rejoindre Bordeaux par peur d’y perdre un temps précieux.
Drainer les richesses
Le Libournais et son foncier économique, à l’abri des ennuis logistiques et des loyers exorbitants, en passe de secourir une métropole engoncée ? Pas si simple. « Ce n’est pas seulement une question de prix des terrains. Il faut pouvoir recruter, prévient le patron de Ceva santé animale. Si vous recherchez des cadres, des experts, vous devez leur garantir que leurs enfants pourront se rendre facilement à Bordeaux, pour leurs études notamment ». Marc Prikazsky sait de quoi il parle : 50 % de ses salariés vivent à Bordeaux, 50 % dans le grand Libournais. Alors l’urgence, c’est le maillage en infrastructures de transports de tout le territoire (lire encadré), le meilleur moyen en outre de drainer les richesses et les hommes, comme le million et demi de visiteurs qui se pressent chaque année à Saint-Emilion.
Food Tech et palais des congrès
Sans attendre, place Abel Surchamp, au premier étage de l’hôtel de ville, Philippe Buisson ne boude pas son plaisir, 2018 est arrivée avec son lot de projets. La friche de 5 hectares en cœur de ville, caserne militaire délaissée depuis 10 ans, a trouvé preneur. Un complexe hôtelier (3 et 5 étoiles) est attendu pour 2021, ainsi qu’un mini palais des congrès pour 300 séminaristes… Une pépinière d’entreprises dédiée à la Food Tech, un partenariat avec la technopole Bordeaux Technowest accompagneront le dynamisme tant escompté. Pour le maire et président d’agglomération, le temps du Libourne bashing est bel et bien derrière lui, à condition de « saisir la balle au bond ». Et de ne pas se contenter de regarder passer les trains.