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Jacques Blanchet : « Difficile d'être un entrepreneur du BTP en politique »
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Jacques Blanchet Jacques Blanchet Jacques Blanchet : « Difficile d'être un entrepreneur du BTP en politique »

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À 51 ans, après avoir présidé la fédération régionale du bâtiment, le Ligérien Jacques Blanchet a décidé en 2016 de suivre Laurent Wauquiez à la Région, comme conseiller en charge de l'apprentissage. Une décision importante pour lui et son entreprise, les Métalleries du Forez (140 salariés ; CA 2016 : 32 millions d'euros).

— Photo : Le Journal des Entreprises

Vous présidez l'entreprise familiale Métalleries du Forez (menuiserie, charpente métallique, ferronnerie, serrurerie) depuis 2002. Jusqu'à peu, l'essentiel de votre activité était assuré par les marchés publics. Ce n'est plus le cas désormais. Pourquoi ?

Jacques Blanchet : 75 % de notre chiffre d'affaires étaient effectivement réalisés dans les marchés publics. Du fait de la réduction des dépenses des collectivités, nous avons dû nous tourner vers le privé. Aujourd'hui, le privé représente 80 % de notre activité. Cette mutation s'est faite en deux ans.

Sans difficulté ?

J.B. : Non il a fallu s'adapter à ce changement brutal. Ce n'est pas du tout pareil de travailler avec le privé. Nous nous sommes réorganisés pour réduire les temps d'étude, de fabrication, les temps de pose... Les dossiers sont souvent tout aussi techniques dans le privé mais avec des délais plus tendus. Il a fallu apprendre cette nouvelle culture. Nous avons renforcé notre service commercial car, avec le privé, il faut négocier, aller voir le client. J'ai d'ailleurs délégué certaines tâches à des collaborateurs pour doubler mon temps dédié au commercial. 2016 a été une année plus difficile ; j'ai dû faire un plan de restructuration. Nous avons réalisé 15 % de chiffre d'affaires supplémentaires mais ce n'est pas une situation que je souhaite faire perdurer car les prix du marché sont anormalement bas et les résultats ne sont pas au rendez-vous. Le BTP repart mais pas les prix. Pour 2017, je veux donc qu'on revienne à un CA de 27 millions d'euros, comme ces 5 dernières années, avec un résultat net acceptable pour la période d'au moins 1,5 %. Nous sommes désormais en ordre de marche.

Rapidement dans votre carrière, vous vous êtes investi dans d'autres missions que votre propre entreprise. Elle ne vous suffit pas ?

J.B. : Avoir une activité extérieure permet de prendre du recul, de vivre des expériences formatrices, de lever la tête du guidon. À 27 ans, j'ai été élu conseiller municipal délégué à l'économie de Montbrison pour deux mandats. J'avais envie de faire avancer les choses. Quand Philippe Weyne a décidé de ne pas se représenter, j'ai arrêté au grand étonnement de mes collègues qui pensaient que j'allais postuler au mandat de maire. Mon épouse n'était pas partante, et comme c'est un choix qui engage la famille et l'entreprise, j'étais un jeune entrepreneur j'ai décidé de ne pas me présenter. Je suis revenu deux ans à plein-temps dans l'entreprise puis la Fédération du bâtiment 42 m'a demandé de m'occuper de la commission formation. En 2007, le président de BTP Loire arrivait en fin de mandat. Je ne souhaitais pas proposer ma candidature. Mon père avait déjà été président, cela ne me semblait pas judicieux. Mais devant l'absence de candidat, les anciens m'ont convaincu. J'ai dû gérer la crise du secteur et je me suis passionné pour ce combat. J'ai été réélu pour un deuxième mandat puis j'ai été élu à la présidence de la Fédération Régionale du Bâtimentpris. Un an et demi après, Laurent Wauquiez m'a proposé de rejoindre son équipe. Je le connaissais depuis 10 ans.

Vous avez accepté de suite ?

J.B. : J'étais très honoré, d'autant qu'il s'agissait des questions d'apprentissage, mais j'ai pris le temps de la réflexion, pendant deux mois. J'en ai discuté avec ma famille, avec Jacques Chanut (président de la Fédération du BTP nationale NDLR). J'ai accepté mais j'ai démissionné immédiatement de tous mes mandats avant même les élections : Medef, BTP, CCI... Pour une question de temps et pour une question d'indépendance. Il n'était pas question que mon syndicat patronal soit engagé en politique. Je pense qu'il est nécessaire de faire les choses correctement. De même que j'ai décidé immédiatement de renoncer aux marchés publics de la Région.

Vous avez donc pris un risque personnel. Mais aussi un risque pour l'entreprise...

J.B. : Effectivement. Les marchés de la Région pouvaient peser jusqu'à deux millions de chiffre d'affaires par an. J'en ai discuté avec mes associés. Ils étaient d'accord pour qu'on cherche d'autres pistes commerciales pour remplacer ce manque à gagner commercial potentiel.

Pourquoi ces décisions ? Rien ne vous y obligeait finalement...

J.B. : Non, mais je voulais être irréprochable, que mon engagement soit clair et précis. J'ai souhaité rendre complètement étanches mes deux activités.

La période est difficile pour le BTP, vous ne regrettez pas votre décision certains jours ?

J.B. : Ce n'est pas parce que la période est difficile qu'il faut céder à tout. Si je suis allé en politique à mon âge, j'ai 51 ans, au lieu de m'occuper à plein-temps de mon entreprise, c'est que j'ai vraiment envie d'apporter ma contribution. Être fier d'essayer de changer un peu le cours des choses pour nos enfants. En contrepartie, l'entreprise ne répond plus aux marchés de la Région. C'est comme ça, la vie est faite de choix.

Vous vous occupez de l'apprentissage à la Région. Quelle est votre priorité ?

J.B. : Ma mission est de conforter le développement de l'apprentissage en structurant de vrais débouchés. J'ai créé par exemple un petit groupe de travail avec une quinzaine d'entrepreneurs lyonnais pour aider les jeunes qui souhaitent se tourner vers l'apprentissage à trouver une entreprise. Nous étendrons ensuite cette expérimentation à l'ensemble de la région. Nous avions 48.000 apprentis au début du mandat, l'objectif est d'arriver à 55.000.

C'est possible ?

J.B. : On va tout faire pour en tout cas. Les observateurs sont toujours trop critiques avec les chiffres et les objectifs. La politique n'est pas une science exacte.

Vous prenez des apprentis dans votre entreprise ?

J.B. : Évidemment. J'en ai toujours six ou sept. Et je garde ensuite tous ceux qui veulent rester.

Votre titre exact à la Région est conseiller spécial. C'est-à-dire ?

J.B. : Oh, ça veut juste dire que je suis spécial... Non, je plaisante. Il y a le président, les vice-présidents et six conseillers spéciaux. Ces 22 personnes constituent l'exécutif de la Région. Nous pouvons conseiller le président sur certains domaines. Il peut nous solliciter en direct. Pour ma part, il peut me questionner sur plusieurs sujets très divers : l'apprentissage, la formation, l'économie, le BTP...

Vous avez démissionné de votre mandat de président de la Fédération régionale du bâtiment. Mais vous n'avez probablement pas oublié vos combats. Faites-vous du lobbying de l'intérieur auprès de Laurent Wauquiez ? Est-ce que vos confrères du BTP vous appellent parfois à l'aide pour faire avancer certains dossiers ?

J.B. : Je vais être clair. Si les conseillers de la Région ont besoin d'un avis ou d'un éclairage sur le BTP, ils peuvent me consulter mais ce n'est pas moi qui décide. Je ne suis pas à la commission d'appel d'offres. Ceci étant, j'ai toujours eu une certaine continuité dans mes actions. J'avais écrit un plan de relance en 2014. Vous imaginez bien que ces mesures sont gravées dans mon esprit. Donc si on me demande mon avis, je soutiens ces propositions pour le bien de la collectivité et des entreprises du BTP.

La préférence régionale, la clause Molière... Vous soutenez ces mesures polémiques mises en place par Laurent Wauquiez ?

J.B. : Bien sûr. Si les entreprises locales sont bien placées sur le prix et la technique, je suis content que la collectivité puisse faire travailler ces entreprises des territoires qui créent des emplois, font vivre des familles et paient leurs impôts pour l'évolution du bien commun. Concernant la clause Molière, est-ce que la clause Shakespeare dans l'aviation choque quelqu'un ? Sur un chantier, il est bien normal pour la sécurité que tout le monde puisse se comprendre, non ? Si cette clause permet de traiter en même temps la question du travail détaché, tant mieux ! Nous ne sommes pas en train de dire que nous ne voulons plus que des étrangers s'intègrent dans nos métiers du bâtiment, nous le faisons depuis la reconstruction sans arrêt. Nous disons juste qu'il faut mettre fin au travail détaché illégal et mieux contrôler les heures des travailleurs détachés légaux pour en finir avec la concurrence déloyale insupportable faite aux entreprises françaises qui paient justement les heures supplémentaires.

Vous pensez rester en politique après ce mandat ?

J.B. : Je ne sais pas, les électeurs décideront et ensuite le Président Wauquiez.. Je ne fais pas carrière en politique, je veux juste essayer de faire avancer les choses à mon niveau. Je ne me serais pas engagé si j'avais pensé que tout allait bien dans mon pays. Je veux apporter ma part de changement. Je mettrai toute ma bonne volonté pour réussir ce projet, j'aurai au moins le mérite d'avoir essayé. Je fais mienne la maxime de Confucius : le bonheur n'est pas en haut de la montagne, mais dans la façon de la gravir...

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