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Cité du design : Le compte n'y est pas !
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Cité du design : Le compte n'y est pas !

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Avec 50 % de visiteurs en plus, la Biennale Internationale Design 2015 aura été un grand cru. Mais derrière ce succès se cache une réalité économique plus compliquée pour l'EPCC Cité du design, en déficit structurel depuis 2012.

— Photo : Le Journal des Entreprises

« Cette neuvième édition de la Biennale Internationale Design est une belle réussite et un incontournable succès. C'est une formidable vitrine de ce que Saint-Étienne est capable de faire en matière de design tout au long de l'année », se félicitait dernièrement Gaël Perdriau, maire de Saint-Étienne et président de Saint-Étienne Métropole. 208 000 visiteurs sur 33 jours (contre 140 000 en 2013 sur 18 jours), près de 1 000 visites guidées tous publics confondus, 6 200 professionnels accueillis, 1 500 retombées presse... 2015 aura été l'année de tous les records pour la Biennale Internationale Design de Saint-Étienne.

500 000 € de déficit structurel

Oui mais voilà, derrière un discours de façade et des chiffres de fréquentation « gonflés par les entrées gratuites et les chiffres de la Biennale off », estiment les syndicats, se cache une réalité bien différente. Pour paraphraser Candide, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes... Surtout dans la Cité du design !

« La réalité, c'est que l'EPCC (Établissement public de coopération culturel) qui regroupe la Cité du design et l'École Supérieur d'Art et Design, a un déficit structurel de 500 000 €. Et ce depuis 2012. Ce déficit ressort dans le budget primitif sous le terme "recettes incertaines". En clair, chaque année, la direction prévoit des montants de subventions de l'État et de la Région sans être certaine de les avoir. Et le pire, c'est que le conseil d'administration et ses tutelles ont laissé passer ça et l'ont même voté, sans qu'il n'y ait jamais eu de débat », s'insurge Jean-Claude Paillasson, secrétaire général adjoint FO de l'EPCC.

Les raisons de ce trou d'un demi-million d'euros dans les caisses ? « D'un côté, on a une augmentation du budget de fonctionnement et de l'autre, on a des recettes qui elles n'augmentent pas et qui ne suffisent pas à couvrir les dépenses », explique le représentant syndical. Et d'ajouter : « Ce déficit structurel est dû à plusieurs facteurs. Le premier, c'est ce que l'on appelle le GVT (glissement vieillissement technicité) dans la fonction publique. En clair, l'ensemble des gens qui travaillent dans la fonction publique voient leur carrière évoluer avec les années. Ce qui entraîne une augmentation inévitable de la masse salariale. Ce GVT, on l'estime en moyenne entre 2 et 3 % par an. »

« La seconde cause, c'est l'entretien des bâtiments. Nous avons des bâtiments très beaux, mais aussi très chers à entretenir. En 2015, cela représente 100 000 € qui n'avaient pas été budgétés en 2014. Chaque année, rien que pour nettoyer la Platine, cela coûte 18 000 €. Bref, le train de vie de l'EPCC fait que les dépenses augmentent inévitablement chaque année, mais il n'y a pas de recettes en face », regrette Jean-Paul Maugier, secrétaire administratif FO de l'EPCC.

Un manque cruel de ressources propres

Si le budget primitif de l'EPCC (fonctionnement + investissement) a considérablement augmenté depuis 2011 (8,82 M€ en 2011 ; 10,35 M€ en 2012 ; 12,02 M€ en 2013 ; 10,10 M€ en 2014 et 11,35 M€ en 2015), ce n'est pas vraiment le cas des ressources propres. Et c'est bien là le principal problème !

« L'EPCC est un organisme qui ne gagne quasiment pas d'argent. Exception faite des subventions, la plus grosse source de revenus est générée par les frais d'inscription des étudiants. Il y a bien la billetterie, les visites scolaires et quelques rares abonnements d'entreprises à la matériauthèque car ces dernières refusent de payer un service qu'elles considèrent comme public... Mais globalement, on est comme une association. On survit grâce aux subventions des collectivités », expose une source interne qui a souhaité garder l'anonymat.

Pour être tout à fait précis, la contribution des collectivités représente aujourd'hui 79 % du budget de l'EPCC (63 % Saint-Étienne Métropole et 16 % État et Région). Les ressources propres budgétées pour l'exercice 2015 - 982 748 € en comptant la billetterie, les ventes boutiques et les visites guidées réalisées lors de la Biennale - sont presque anecdotiques. Pourtant, ces dernières années, l'entité Cité du design a bien tenté de développer ses ressources propres en s'ouvrant aux entreprises. Dispositifs d'accompagnement individuel et collectif pour les entreprises qui souhaitent intégrer le design dans leur processus de conception, Laboratoire des Usages et Pratiques Innovantes (LUPI), ateliers de co-création, labos... Tout un bouquet de services a été mis en place pour diffuser le design au sein des entreprises rhônalpines et d'ailleurs. En vain, la greffe prend difficilement !

« Il y a des activités qui pourraient être rentables, mais il y a une problématique de valorisation de la production de la Cité. La Cité ne doit pas être concurrente des designers. En revanche, il s'agit d'irriguer le territoire avec du design. Dans ce cadre, il y a sans doute des choses à développer autour de la formation, des LUPI, mais aussi des expositions que l'on pourrait vendre à l'extérieur », estiment Jean-Claude Paillasson et Jean-Paul Maugier.

Une direction contestée

Faire venir les entreprises au sein de la Cité du design, faire en sorte qu'elles s'approprient le lieu et les services mis à leur disposition, c'est le rôle qui incombe depuis octobre 2011 au directeur général Ludovic Noël. « Il a été engagé en grande partie pour son carnet d'adresses fourni en entreprises. Il a beaucoup de contacts à Lyon notamment dans des milieux connexes du design que sont le numérique, la vidéo et le cinéma. (ndlr : Avant d'arriver à la Cité du design, Ludovic Noël dirigeait le Pôle de compétitivité Imaginove). On s'attendait donc à ce qu'il nous fasse profiter de son carnet d'adresses, mais cela n'a pas vraiment été le cas. La cible entreprise n'a pas été assez travaillée », estime notre source anonyme.

Quel scénario pour revenir à l'équilibre ?

Contesté en interne pour ses résultats, son « absence de projet d'établissement » et « le gel imposé des salaires sur 2015 des contractuels », Ludovic Noël n'a pas souhaité s'exprimer sur les zones d'ombres qui entourent le budget primitif 2015 et encore moins évoquer les scénarii possibles de retour à l'équilibre. Jusqu'à présent, le conseil communautaire de Saint-Étienne Métropole votait chaque année une subvention exceptionnelle pour équilibrer les comptes. Cette année encore, l'agglomération mettra la main à la poche avec une subvention d'équilibre de 230 000 €. Charge à la direction de l'EPCC de faire 270 000 € d'économies sur l'exercice pour entrer dans les clous.

Mais qu'adviendra-t-il en 2016 ? « Plusieurs hypothèses sont à l'étude. Nous avons des pistes de travail pour essayer de mutualiser certaines choses dont la médiathèque et le service production, mais rien n'est acté », assure Robert Karulak, vice-président de Saint-Etienne Métropole en charge du design. « Le premier scénario est de transférer le service production de la Cité du design (accueil, billetterie, visites) sur Saint-Étienne Métropole et de mutualiser avec le Musée d'Art Moderne à budget constant. La seconde hypothèse, c'est de mettre la médiathèque de l'école dans le giron de la Ville et de la fusionner avec la médiathèque municipale de Carnot qui va être démolie. Problème, pour accueillir la médiathèque de Carnot, il faudrait se défaire de la moitié de nos ouvrages », détaille Jean-Claude Paillasson.

En s'amputant d'une partie de son fond documentaire, l'ESAD s'amputerait aussi de son pouvoir d'attraction auprès des étudiants. « Pour l'instant, l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur qui évalue nos diplômes ne prend pas en compte l'aspect fond documentaire. En revanche, il existe dans le cadre de la recherche une accréditation supérieure qui dans le futur va évaluer les établissements en fonction de leur somme d'ouvrages et de connaissances. Ne pas avoir de médiathèque serait donc un frein pour la recherche et risquerait de faire fuir les étudiants vers d'autres écoles », argumente le responsable syndical. Bref, l'économie réalisée à court terme pourrait bien être le creuset d'un déficit financier et d'image à plus long terme.

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