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Alain Berthéas : « Pas question que je devienne un poids pour Sigvaris »
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Alain Berthéas Alain Berthéas Alain Berthéas : « Pas question que je devienne un poids pour Sigvaris »

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Bas de compression. À la tête de Sigvaris France depuis 37 ans, Alain Berthéas a décidé de prendre du recul. Il reste actionnaire mais cède l'opérationnel à Stéphane Mathieu pour s'occuper désormais de la stratégie à moyen et long terme. Il se livre sans détour sur les raisons et les conséquences de cette décision.

— Photo : Le Journal des Entreprises

Le Journal des Entreprises : Le groupe Sigvaris détenu majoritairement par des actionnaires suisses, est né en 1981 de la fusion entre Tricotages Elastiques du Forez (TEF) créé par votre grand-père et l'entreprise suisse Ganzoni. Vous avez annoncé il y a quelques semaines votre retrait de l'opérationnel pour une fonction d'executive board member au sein du groupe. Habituellement, c'est un premier pas vers la sortie. Est-ce une suggestion de l'actionnaire principal, le Suisse Ganzoni ?

Alain Berthéas : « En clair, vous voulez savoir si on me fiche à la porte ? Et bien non ! C'est moi qui décide de " me casser " pour dire les choses de façon triviale... Plus sérieusement... Je réfléchis à cette décision depuis un an et lorsque j'ai annoncé mon intention de me retirer aux administrateurs, cela leur a fait un choc. Ils ne s'y attendaient pas. »

Vous avez seulement 61 ans, pourquoi ce choix ?

A.B. : « Je suis président de cette entreprise et responsable opérationnel depuis bientôt 40 ans. J'estime qu'il faut savoir évoluer. Le milieu industriel est usant. Devoir jongler en permanence entre le court, le moyen et le long terme est extrêmement fatigant. Je ne sais pas si je vais rester président, la question n'est pas encore tranchée, mais en tout cas, en me retirant de la gestion quotidienne, cela me permettra d'être plus performant sur la construction d'une stratégie à long terme. »

Vous vous sentez usé ?

A.B. : « La flamme brille encore mais je pense qu'il faut donner un nouveau souffle à cette société. Les marchés évoluent. Peut-être que je suis moins vif, que je sens moins les évolutions. Sigvaris doit prendre le virage du 4.0. Pour rentrer vraiment dans cette logique, il faut un nouvel état d'esprit. Or, ce n'est pas ma culture, je dois bien le reconnaître. »

Vous avez l'impression de ne plus être l'homme de la situation ?

A.B. : « Le propre d'un chef d'entreprise est d'assurer la pérennité de sa société. Sigvaris France croit de façon régulière. Il y a eu des échecs et des erreurs évidemment mais l'entreprise se développe bien (+4,5 % de croissance annuelle ces 5 dernières années avec un résultat net de 12 %. NDLR) Je suis là depuis tellement longtemps que j'ai inscrit une empreinte très forte sur cette entreprise. Je ne veux pas tout casser en restant accroché à ce fauteuil, l'entreprise a besoin de sang neuf. Il faut être lucide ! Je ne souhaite surtout pas ressembler à ces dirigeants, en place depuis si longtemps qu'ils se sont enfermés dans leur tour d'ivoire, persuadés d'avoir toujours raison. Disons les choses clairement. Quel est le risque pour l'entreprise aujourd'hui ? Quand nous avons construit notre usine de Saint-Just-Saint-Rambert, nous étions 45. Aujourd'hui, nous sommes 800. Et si un jour, je me disais, " j'ai réussi cet exploit, j'ai forcément les bonnes méthodes. Pas la peine d'écouter les autres " ? Ce serait une catastrophe... Je ne joue pas les faux modestes. Évidemment que Sigvaris a fait un parcours remarquable, avec de belles réussites et des échecs dont nous avons su tirer des leçons. Évidemment que j'ai un savoir-faire et une forte expertise. Mais je n'ai pas avancé seul, j'ai su construire une réussite collective. L'entreprise s'est structurée au fil des années. J'ai su m'entourer de gens compétents car le rôle d'un patron n'est pas de tout connaître mais d'être capable d'animer une équipe d'experts. Aujourd'hui, il n'est pas question que je devienne un poids pour mon entreprise. »

Quel sera votre rôle au sein de Sigvaris désormais ?

A.B. : « Je reste à bord avec une fonction de membre exécutif. Ce retrait de la gestion quotidienne m'offrira la disponibilité d'esprit qui me manquait pour réfléchir sur le long terme. Et puis, je vais peut-être m'engager sur une nouvelle voie. J'aimerais créer une structure de réflexion à l'intérieur du groupe pour une action de lobbying en Europe. »

Vous avez laissé les clés à Stéphane Mathieu, le 1er juin. Comment s'organise cette passation de pouvoir ?

A.B. : « Je n'ai pas exactement laissé les clés à Stéphane Mathieu... Il va gérer le quotidien et moi le long terme. Je vais passer régulièrement dans l'entreprise. En revanche, je lui laisse mon bureau et je m'installe ailleurs, dans l'ancienne maison familiale de mes grands-parents à Saint-Rambert. Si je veux que le nouveau directeur général puisse faire son job correctement, il faut que je m'efface. Il ne doit pas avoir mon ombre qui plane au-dessus de lui. Si je reste dans ce bureau que j'occupe depuis si longtemps, que se passera-t-il ? Les salariés, les partenaires... continueront de venir me voir directement comme ils le font depuis tant d'années, sans considération pour le nouveau DG. »

Comment vivez-vous ce moment ?

A.B. : « Je fanfaronne un peu mais au fond de moi, je ne peux pas vous dire que c'est facile. Je m'y prépare depuis un an mais ça me travaille et me perturbe. Je ne peux pas tirer un trait comme cela sur 40 ans de ma vie. »

Vous êtes président de la communauté d'agglomération de Loire Forez. Allez-vous profiter de cette liberté nouvelle pour vous engager d'avantage en politique ?

A.B. : « Peut-être bien oui... Je vous le dirai quand ce sera le moment ! En attendant, Loire Forez a beaucoup grossi, elle rassemble désormais 88 communes sur un périmètre géographique important. Cela me permet d'aller à la rencontre des élus de ces nouveaux territoires en moto... Je concilie deux passions de cette façon ! Je viens d'ailleurs d'acheter une nouvelle Ducati, un vrai bonheur. Au final, j'avais tellement peur de m'ennuyer que je crois que je me suis prévu un agenda un peu trop chargé ! »

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