Reprendre une entreprise en difficulté : une bonne affaire ?
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Reprendre une entreprise en difficulté : une bonne affaire ?

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Reprendre une entreprise défaillante ne relève pas toujours de la « bonne affaire ». Si cette opération de croissance externe peut vous permettre de grandir plus rapidement, a priori à moindres coûts, elle peut aussi venir mettre à mal votre résultat financier. Pour éviter d’aller dans le mur et faire de cette reprise une véritable opportunité, quelques précautions s’imposent.

Photo : ©snowing12 - stock.adobe.com

En 2017, 53 414 entreprises ont fait l’objet d’une procédure collective selon une étude de l’assureur-crédit Coface. Parmi ces sociétés placées en sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire, à peine plus d’un millier sont reprises chaque année à la barre des tribunaux de commerce. Une statistique qui montre à la fois le vivier d’opportunités qui ne trouvent pas preneur et, incontestablement, toute la complexité de reprendre une entreprise en difficulté. Car, contrairement à ce que l’on pense, reprendre une entreprise à la barre du tribunal de commerce ne se résume pas à faire « une bonne affaire ».

« Les juges n’aiment pas entendre parler de reprise à l’euro symbolique, explique Dominique Jabouley, président du tribunal de commerce de Saint-Etienne. Ce n’est pas parce que l’on reprend une entreprise à la barre du tribunal qu’il faut considérer qu’elle ne vaut rien. Et puis, il y a l’argent que le repreneur va proposer pour le rachat et qui servira à dédommager tout ou partie des créanciers, et l’argent qu’il va falloir débourser pour assurer la pérennité du projet. Un repreneur peut être solide financièrement mais s’il ne met aucun moyen pour relancer l’activité, il aura bien du mal à expliquer aux juges comment il compte pérenniser l’entreprise. »

« Ce n’est pas parce que l’on reprend une entreprise à la barre du tribunal qu’il faut considérer qu’elle ne vaut rien. »

L’euro symbolique, un mythe ?

En effet, ce n’est pas tant le prix d’acquisition, souvent minime, que le repreneur doit prendre en compte, mais bien le montant qu’il va devoir ensuite injecter pour remettre l’entreprise en ordre de marche. « Ce qui coûte le plus cher dans une reprise d’entreprise en difficulté, c’est de couvrir son besoin en fonds de roulement », détaille Jean-Jacques Fournel, ex-directeur général du groupe francilien GMD (4 500 salariés, 799 M€ de CA). En vingt ans, il a finalisé une vingtaine de reprises à la barre des tribunaux de commerce pour le compte du groupe de sous-traitance automobile.

« Certes, poursuit-il, les créances clients disparaissent, mais il faut bien avoir en tête qu’on redémarre de zéro. Au début, il n’y a plus de comptes clients. Les premières rentrées se font à 60 jours alors que les fournisseurs, souvent échaudés, demandent à être payés dès la livraison de la marchandise. Vous avez donc un besoin en fonds de roulement qui peut être extrêmement lourd. Dans certaines reprises, cela peut se chiffrer en millions d’euros, alors que le prix d’acquisition auprès du tribunal se limite à quelques dizaines ou centaines de milliers d’euros. »

« Il faut parfois investir massivement, sans avoir de garanties que cela suffira à redresser le chiffre d’affaires. »

A ce besoin en fonds de roulement peut venir s’ajouter, dans certains cas, un plan d’investissement pour remettre à niveau l’outil de production, engager des diversifications et permettre ainsi à l’entreprise d’aller chercher un niveau de chiffre d’affaires suffisant pour garantir sa pérennité. « Il faut parfois investir massivement, sans avoir de garanties que cela suffira à redresser le chiffre d’affaires. C’est un risque à prendre, relate Eric Lorin, PDG de Walor (1 300 salariés, 170 M€ de CA), basé en Loire-Atlantique. Parfois cela fonctionne, parfois cela ne suffit pas… Et puis, on n’est pas à l’abri d’un incident. J’ai le souvenir d’une reprise au tribunal de commerce sur le marché pétrolier. Tous les éléments étaient réunis pour réussir mais malheureusement, juste après la reprise, les marchés se sont effondrés et nous avons été contraints de liquider. »

Identifiez la bonne cible

La reprise d’une entreprise à la barre du tribunal de commerce est d’autant plus risquée que cette dernière a déjà subi des épreuves et connu des difficultés. Autant dire qu’il ne s’agit pas de foncer tête baissée. « Il faut dans un premier temps identifier la bonne cible et surtout savoir si elle correspond à vos savoir-faire et à votre stratégie », expose Jean-Jacques Fournel. Pour ce faire, la première des choses à faire est de se mettre en veille.

« Toute entreprise doit surveiller l’activité de ses concurrents directs et des entreprises qui pourraient lui permettre de se projeter sur un autre marché pour se diversifier. C’est ce qui lui permettra d’être au courant très rapidement des difficultés de ses concurrents, et le jour où l’un d’eux se retrouve en procédure collective de pouvoir se positionner », explique le président du tribunal de commerce Dominique Jabouley. « En tant que sous-traitant, nous connaissions généralement tous nos concurrents et nous étions avertis assez tôt de ceux qui étaient en difficultés et qui déposaient le bilan », abonde l’ex-directeur général de GMD. « Et puis au fil des reprises, on devient suffisamment important pour attirer les administrateurs judiciaires. Ce sont eux qui viennent vous contacter pour vous faire part d’opportunités », complète Eric Lorin, le PDG de Walor.

Autre piste à ne pas négliger pour repérer d’éventuelles cibles, les bulletins d’annonces légales et des journaux spécialisés dans lesquels les administrateurs et les mandataires judiciaires font passer des publicités pour annoncer les procédures collectives. « Cela fait partie des outils de veille dont doit se doter une entreprise qui envisage de faire de la croissance externe », explique Dominique Jabouley. Il est aussi possible de s’abonner à des sites d’informations financières, comme Infogreffe, et de recevoir en temps réel toutes les actualités juridiques et financières des entreprises que vous visez. « Cela permet d’être averti instantanément dès qu’une procédure est ouverte », précise l’ex-directeur général de GMD.

« Il faut comprendre pourquoi l’entreprise a eu des difficultés. »

Analysez les forces et faiblesses

Une fois la cible identifiée, il convient d’en analyser les forces et faiblesses. « C’est l’étape la plus importante. Il faut comprendre pourquoi l’entreprise a eu des difficultés. Est-ce que c’est la clientèle qui a chuté ? Est-ce qu’elle avait trop de charges fixes par rapport à son niveau de chiffre d’affaires ? Et une fois que l’on a identifié le problème, on regarde si l’on est capable de le résoudre en apportant de la clientèle supplémentaire et/ou en réduisant les charges fixes. Ce qui peut impliquer parfois de réduire l’effectif », explique Jean-Jacques Fournel.

Pour déterminer d’où vient le problème, le candidat à la reprise doit donc réaliser un audit. « Le repreneur potentiel doit se mettre en rapport avec l’administrateur ou le mandataire judiciaire qui lui indiquera la marche à suivre pour déposer son offre et surtout lui communiquera tous les documents nécessaires (bilans, liasses fiscales, répartition du chiffre d’affaires par activités, listes des actifs…) à la rédaction d’une offre. Le repreneur peut aussi rencontrer le dirigeant et éventuellement quelques cadres clés de l’entreprise pour sentir un peu l’ambiance. À titre personnel, dans ma vie de chef d’entreprise, j’ai repris deux entreprises à la barre du tribunal de commerce. À chaque fois, j’ai souhaité rencontrer les dirigeants et les cadres. C’est important de bien sentir l’entreprise avant de s’engager », conseille Dominique Jabouley.

Respectez les critères du tribunal

Une fois les forces et faiblesses de l’entreprise analysées, vient le moment de rédiger une offre de reprise. Pour que cette dernière retienne l’attention du tribunal de commerce, elle doit respecter un certain nombre de critères prévus par la loi.

« L’offre de reprise doit d’abord garantir le plus possible la pérennité de l’entreprise. Le tribunal sera aussi attentif au nombre d’emplois sauvegardés ainsi qu’à l’apport financier du repreneur utilisé pour le paiement des créanciers. Ces trois critères ne sont pas classés par ordre d’importance. Le tribunal choisira l’offre qui optimise le mieux ces trois critères. C’est chaque fois un cas particulier. Les juges peuvent très bien privilégier une offre qui préserve moins d’emplois mais qui assure une plus grande pérennité. L’objectif étant de ne pas revoir cette entreprise à la barre dans les deux ans », expose le président du tribunal de commerce de Saint-Etienne.

« Il faut dès le redémarrage retrouver l’équilibre et une certaine confiance. »

D’un point de vue technique, l’offre doit mentionner avec précision les biens, les droits et le nombre de contrat de travail repris. Il faut aussi préciser les restrictions qu’appliquera le repreneur concernant les droits du personnel acquis durant la période antérieure à la date d’acquisition. Pour ce qui est du prix de cession, il ne s’agit pas seulement d’inscrire un montant. Il faut mentionner les modalités de règlement, la qualité des apporteurs de capitaux et les garanties bancaires souscrites en vue de l’exécution de l’offre.

« C’est un dossier très minutieux et assez lourd à monter. Et puis derrière, si l’offre est acceptée, il faut accompagner cette reprise au quotidien, être présent, apporter ce qu’il faut au personnel, les rassurer, mais aussi soigner les fournisseurs et clients. C’est très lourd en temps humain. Sans parler du fait, qu’il faut immédiatement avoir des résultats. L’entreprise ayant déjà eu des difficultés, on n’a pas le droit à l’erreur. Il faut dès le redémarrage retrouver l’équilibre et une certaine confiance », indique Jean-Jacques Fournel. Reprendre une entreprise « à la casse », c’est donc s’engager dans une nouvelle aventure entrepreneuriale à part entière qui nécessite beaucoup plus que de sortir de sa poche un euro symbolique.

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