Mulhouse
Rector Lesage : « Il n’y a pas de recette miracle pour libérer son entreprise »
Interview Mulhouse # BTP # Management

Pierre Laplante (DG) Fairuz Hasni (DRH) & Peggy Checa (assistante de direction) de Rector Lesage Rector Lesage : « Il n’y a pas de recette miracle pour libérer son entreprise »

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Une entreprise à capitaux familiaux, née il y a plus de 60 ans, fabricant d’éléments en béton dans un secteur du bâtiment à l’organisation hiérarchique plutôt conservatrice et comptant quelque 1 000 salariés sur 16 sites, en France, Pologne et Belgique… Rector Lesage (CA 2017 : 210 M€), à Mulhouse, a fait fi de tout ce qui aurait pu représenter un frein, pour libérer à sa manière les énergies au sein de son organisation, en s’inspirant du concept d’entreprise libérée.

— Photo : Adelise Foucault

Le Journal des Entreprises : Quel a été l’élément déclencheur de ce projet de "libération" de Rector Lesage ?

Pierre Laplante (directeur général) : A mon arrivée à la direction générale de Rector Lesage, en 2010, l'entreprise, très hiérarchisée, avait besoin d’un nouvel élan. Il fallait passer d’une somme de 17 sites à un groupe. Avec Rémi Lesage, président du groupe, nous nous sommes rendus en 2013 à une conférence de l’APM chez Sew Usocome, où son dirigeant d’alors, Michel Munzenhuter, s’exprimait sur le thème de l’entreprise libérée et de ce qu’il avait expérimenté dans son entreprise. Ce qui m’avait surtout frappé, c’était comment ce projet avait réduit les accidents de travail, alors que Rector atteignait à l’époque les 70 accidents avec arrêt par an. Si Sew Usocome l’avait fait, on pouvait le faire.

L’entreprise libérée pour vous, c'est quoi ?

P.L. : Un projet partagé avec les équipes, qui doit libérer leur potentiel créatif et les responsabiliser, en les impliquant davantage dans les décisions stratégiques de l’entreprise. Il n’y a pas une recette miracle applicable à toutes les entreprises. À chacun de trouver sa propre organisation. Beaucoup de paramètres entrent en jeu : la personnalité du dirigeant, le métier dans lequel on évolue…

Quelle méthodologie avez-vous suivie ?

P.L. : Nous avons organisé une convention sur le thème de l’entreprise libérée. Le contexte économique n’était pas vraiment propice. L’entreprise se cherchait, la période était difficile pour les managers. Tout le monde était d'accord en théorie, mais la mise en œuvre semblait complexe.

Quel était le point de blocage ?

P.L. : Il nous manquait un cadre. Des ingrédients, tels qu’un projet d’entreprise, une culture managériale commune. J’ai décidé de recruter une DRH, pour nous accompagner dans ce projet. Fairuz Hasni a rejoint l’équipe fin 2015. Nous avons élaboré en concertation avec les équipes une « charte des managers ».

Que recouvre cette charte ?

P.L. : C'est l'un des éléments de notre projet d’entreprise, PROS : P pour « pérennité du groupe », en innovant et en progressant ensemble ; R comme « référent dans son métier » ; O comme « organisation interne à consolider » ; et S pour « simplicité dans les relations ».

« Aujourd’hui, 10 % des salariés participent activement aux décisions de l'entreprise. »

On s'est interrogé sur la façon de responsabiliser le plus grand nombre, tout en restant en phase avec la stratégie de développement de l’entreprise. Il nous fallait une démarche managériale, où les managers ne soient plus dans les directives, mais dans le suivi des collaborateurs pour les autonomiser.

Quels changements ont été impulsés dans les façons de travailler ?

P.L. : Nous avons créé des comités métiers, pour abolir la prise de décision descendante dans l’entreprise : des réunions avec des responsables évoquant bonnes pratiques ou problématiques, animées par des personnes issues du métier, avec le concours d’un « sponsor », un directeur qui est là pour débloquer, le cas échéant, des points de tension ou d’incompréhension.

Dans ces comités, la hiérarchie est gommée. Ce mode d’organisation est une révolution pour nous. De fait, aujourd’hui, 10 % des salariés participent activement aux décisions de l'entreprise, ce qui répartit la responsabilité sur un socle plus large, même si les grandes orientations sont prises par la direction.

Cette « libération » concerne-t-elle tous les salariés de l’entreprise ?

P.L. : Si la méthodologie managériale a vocation à infuser tous les sites de l’entreprise, notre siège de Mulhouse a été au cœur d'une autre expérimentation, l’Atelier des possibles.

Peggy Checa (assistante de direction) : En 2015, la direction générale a lancé, auprès des salariés du siège, un appel à projets destiné à favoriser les échanges et la communication entre collaborateurs. Sur les cinq propositions retenues figurait l’idée de créer un lieu de vie pour se côtoyer davantage, partager l’information et mieux travailler ensemble. J’ai fait partie de ce groupe de travail qui a abouti à la création de l’Atelier des possibles, inauguré en janvier 2017.

Comment avez-vous travaillé à sa réalisation ?

Fairuz Hasni (DRH) : Quatre bâtiments distincts séparent les différentes fonctions supports et la R&D au siège. Une organisation qui cloisonne de fait les 120 personnes qui y travaillent. Il nous fallait un bâtiment neutre, qui ne soit pas rattaché à un service en particulier. Nous avons pensé au laboratoire de R&D inauguré fin 2013, qui disposait à l'étage d'une salle de réunion très formelle de 200 m², où se tenaient les comités de direction et d’administration. La direction générale a un peu grimacé quand on a parlé de prendre leur salle mais a donné son accord ! (rires)

« Il y a cinq ans, je n’aurais jamais cru cette libération des énergies possibles. »

P.C. : La direction nous a laissé carte blanche. Nous avons constitué un groupe de travail de 5 personnes représentant les différents services du siège et recueilli les désirs des salariés (un point d’accès Internet sans restriction, une bibliothèque partagée, un tableau d’affichage etc.) pour établir un cahier des charges. Nous avons eu le concours de l’agence de design Encoreunebellejournée pour aménager le lieu. Nous avons budgétisé les travaux, soumis le projet aux autres salariés pour accord, avant d’aller voir la direction. Celle-ci avait un doute, elle craignait que personne n’y aille et que les travaux dépassent l’enveloppe fixée, mais elle nous a laissé faire. Nous avons lancé le chantier en septembre 2016 en tenant à peu près le budget annoncé.

Comment faites-vous vivre ce lieu d’intelligence collective ?

P.C : Nous avons créé un comité d’animations pour programmer des événements, sur la vie des différents services, autour d’une thématique liée à l’entreprise ou la vie des salariés, avec des stammtisch (réunions informelles, NDLR) avec la direction, des mini-formations dispensées par les salariés, ou encore des ateliers bien-être et afterworks. La relation de travail a changé. On arrive à donner un nom à tout le monde. C’est une réussite car même les rares opposants au projet viennent aujourd’hui régulièrement à l’Atelier des possibles.

Comment mesurez-vous l’adhésion des salariés à ce projet ?

F.H. : Une enquête sur la qualité de vie au travail a été élaborée. Elle est envoyée chaque année aux salariés depuis 2016.

Quel premier bilan tirez-vous de cette « libération des énergies », terme que vous affectionnez ?

F.H. : Notre démarche a permis de moderniser notre image, d’insuffler une dynamique qui nous démarque de nos concurrents. C’est un atout pour attirer de nouveaux talents.

P.L. : Le marché est plus porteur, difficile de mesurer en quoi les changements opérés contribuent à notre croissance. Nous avons désormais les meilleures performances de la profession en matière de sécurité, avec moins de 15 accidents par an. Nous envisageons les mutations et changements plus sereinement, comme la mise en place prochaine d'un nouvel ERP. Il y a cinq ans je n’aurais jamais cru cette libération des énergies possibles et cela a tellement de sens pour nous aujourd’hui… Le socle est posé, la libération ne fait que débuter !

Mulhouse # BTP # Management # Ressources humaines