France
Railcoop, Le Train, Kevin Speed, Midnight : ces start-up qui veulent lancer de nouvelles lignes ferroviaires
Enquête France # Transport # Investissement

Railcoop, Le Train, Kevin Speed, Midnight : ces start-up qui veulent lancer de nouvelles lignes ferroviaires

S'abonner

La fin du monopole de la SNCF en 2020 ouvre une nouvelle bataille du rail en France. Plusieurs start-up se positionnent sur le marché émergent du transport ferroviaire de voyageurs. Toutefois, confrontées à de nombreux obstacles, elles peinent à faire partir leurs trains en temps et en heure.

La compagnie Le Train a commandé 10 rames neuves au constructeur espagnol Talgo — Photo : Le Train

Un quart de siècle après d’autres pays européens, comme l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni ou encore la Suède, la France a ouvert son réseau national ferroviaire à la concurrence, mettant fin au monopole vieux de plus de 80 ans de la SNCF. Depuis décembre 2020, toute entreprise ferroviaire, titulaire d’une licence et d’un certificat de sécurité, peut proposer librement des offres voyageurs et marchandises sur l’ensemble du réseau ferré. L’ouverture à la concurrence concerne deux types de marchés distincts. Les premiers sont des marchés conventionnés pour lesquels l’État et les Régions, les autorités organisatrices, vont progressivement ouvrir l’ensemble de leurs réseaux aux appels d’offres. À partir de décembre 2023, les autorités organisatrices auront ainsi l’obligation de lancer des appels d’offres à la fin de leur contrat d’exploitation avec SNCF Voyageurs et ce dans un délai maximum de dix ans. Autre catégorie de marchés, le service librement organisé (ou SLO) comporte les lignes à grande vitesse, ainsi que les lignes grand parcours à vitesse classique traversant plusieurs régions. Depuis décembre 2020, ces lignes sont accessibles en "open access" à d’autres opérateurs que la SNCF. Pour l’instant, seules des sociétés étrangères ont concrétisé cette opportunité : la compagnie italienne Trenitalia opère un Paris-Lyon-Milan, mis en service fin 2021, et son homologue espagnole, La Renfe, devrait lancer d’ici l’été un Madrid-Marseille, ainsi qu’un Barcelone-Lyon.

Toutefois, aux côtés de ces acteurs historiques du rail, une nouvelle génération de start-up ferroviaires tricolores commence à se positionner sur ce marché émergent. Ces acteurs ont l’ambition de faire rouler des trains de voyageurs, non pas pour concurrencer la SNCF sur des lignes rentables, mais plutôt pour compléter les dessertes existantes ou proposer des offres alternatives.

Une coopérative ferroviaire

Créée dès 2019, Railcoop (36 salariés) est la première société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) de France dédiée au transport ferroviaire. Réunissant 14 000 sociétaires, au nombre desquels environ 200 entreprises et associations, ainsi que la CCI de la Creuse, la jeune pousse, basée à Figeac dans le Lot, s’est donné pour mission d’apporter des solutions favorisant le désenclavement des territoires, l’accélération de la transition énergétique dans le domaine du transport et de nouveaux modes de participation citoyenne. Railcoop a notifié à l’Autorité de Régulation des Transports (ART) une dizaine de lignes voyageurs, après avoir inauguré, en novembre 2021, son premier service de fret reliant les territoires du Lot et de l’Aveyron au hub logistique de Toulouse-Saint-Jory. "Le lancement d’une ligne de fret nous permet de rôder nos processus. Concernant les lignes voyageurs, notre ADN, c’est de compléter le maillage ferroviaire existant par des lignes classiques, et non TGV, qui desserviront en direct des villes moyennes, de province à province. Nous ne voulons pas concurrencer la SNCF sur ses lignes existantes, mais plutôt développer un maillage complémentaire", décrypte Alexandra Debaisieux, directrice générale déléguée de Railcoop qu’elle a cofondée avec Nicolas Debaisieux. La SCIC a, par exemple, le projet de relier Toulouse à Caen via Saint-Brieuc ou encore Bâle, en Suisse, au Croisic, sur la côte Atlantique.

Alexandra Debaisieux-cofondatrice et directrice générale déléguée de Railcoop — Photo : Bernard Le Saout

Des liaisons interrégionales à grande vitesse

La compagnie Le Train (20 salariés) est née en 2020 de la rencontre de Tony Bonifaci, chef d’entreprise déçu par la desserte insuffisante d’Angoulême par la SNCF et d’Alain Gétraud, ancien cadre de la SNCF. Implanté à l’Isle d’Espagnac, en Charente, Le Train, qui a fait entrer à son capital le Crédit Mutuel Arkéa et le Crédit Agricole Charente Périgord, a pour objectif de proposer des liaisons inter et intrarégionales à grande vitesse, sans passer par Paris, en commençant par l’ouest de la France. L’entreprise charentaise a l’intention de relier Bordeaux à Nantes en trois heures environ, Bordeaux et Rennes ou encore Bordeaux à Angoulême avec des prolongements vers La Rochelle et Arcachon. "L’idée, c’est de proposer une arrivée à destination avant 9 heures le matin et des trajets le soir, sur toutes les lignes, pour pouvoir passer la journée sur place, qu’il s’agisse de voyages de loisirs ou de voyages professionnels. Dans nos trains, il n’y aura pas de classe mais des ambiances adaptées au contexte de voyages : silencieuses pour le travail, familiales…", indique la direction de la communication de la société. Quant aux tarifs, ils se veulent "lisibles, justes et accessibles."

Des trains de nuit revisités

Midnight Trains, créé en 2021 par Adrien Aumont (précédemment créateur de la plateforme de financement participatif KissKissBankBank) et Romain Payet, se propose de "réinventer le train de nuit", en se fondant sur un concept d’hôtel sur rail, pour concurrencer, non pas la SNCF, mais l’avion. "Midnight, c’est un train, un hôtel, un restaurant et une app qui connecte l’Europe et nous permet de voyager à volonté", décrit Adrien Aumont. La jeune pousse compte relier, depuis Paris, une dizaine de villes européennes, sur des distances de 800 à 1 500 km, à des prix attractifs. La mise en service de la première ligne est attendue en 2024, sans que l’opérateur fournisse plus de précisions, si ce n’est qu’il a mobilisé les financements nécessaires.

Des lignes rapides et bon marché

"La grande vitesse pour tous, tous les jours", tel est le slogan de Kevin Speed, dernier en date à se positionner sur le marché. Derrière le nom anglais se cache une compagnie bien française créée en février 2022, à Paris, par Laurent Fourtune, ancien directeur opérationnel d’Eurotunnel et ancien directeur du développement à la RATP. Kevin Speed veut développer des solutions de mobilité rapides et bon marché. Comment ? En opérant des trains à grande vitesse pour desservir des métropoles depuis des villes moyennes. Les destinations ne sont pas précisées, pour l’instant. La jeune pousse vise des rotations rapides et fréquentes (jusqu’à 12 par jour), avec des arrêts en gare très réduits. Elle revendique également une très haute densité à bord, sur le modèle des low cost aériens, pour faire baisser les tarifs d’environ 30 % et pouvoir offrir des billets à partir de 3 euros pour un trajet de 100 km, en heures creuses. En diminuant les prix, Kevin Speed espère doubler le nombre de passagers transportés et ainsi économiser 140 000 tonnes de CO2 par an, par report modal de la voiture. Pas question, en revanche de faire du low cost sur le plan social. Il est prévu que les salariés soient actionnaires de l’entreprise.

Enfin, il faut citer le cas atypique du Grand Tour, dont l’actionnaire de référence est le Puy du Fou. Associé à cinq investisseurs régionaux (Unexo, Ouest Croissance, Bpifrance, Océan Participations et Volney Développement), le Vendéen relance le concept de l’Orient Express avec un train Belle Époque qui doit embarquer 30 voyageurs par semaine pour un parcours de 4 000 km (soit 6 jours et 5 nuits) à la découverte des hauts lieux de la culture française. Le départ du premier train sera sifflé à l’été 2023.

Un marché pas pensé pour les acteurs français

Si les projets foisonnent, les trains restent cependant à quai pour l’instant. Railcoop, qui espérait initialement relancer la ligne Bordeaux Lyon, en décembre 2022, a reporté à juin 2023 la mise en circulation de cette transversale abandonnée en 2014 par la SNCF. Comme les autres start-up ferroviaires, elle essuie, en effet, les plâtres sur un marché complètement nouveau. "L’ouverture du marché ferroviaire a été pensée uniquement sous l’angle de la mise en concurrence de la SNCF avec des opérateurs étrangers. Elle n’a pas été envisagée du point de vue de nouvelles start-up du ferroviaire. Sur le marché des SLO (service librement organisé, NDLR), nous ne bénéficions d’aucune subvention et prenons tous les risques à notre compte. Il est difficile de convaincre les investisseurs sur un marché aussi nouveau où il n’existe pas de références", analyse la dirigeante de Railcoop Alexandra Debaisieux. "Les discussions avec les investisseurs prennent beaucoup de temps. Financiers et industriels n’avaient absolument pas anticipé l’arrivée de nouveaux acteurs français sur le réseau national", déplore-t-on également chez Le Train.

Des financements compliqués

Dans ces conditions, la recherche de financements s’apparente à un parcours d’obstacles. Railcoop, qui a levé 11 millions d’euros, doit encore trouver 36 millions d’euros pour faire rouler ses trains de voyageurs. "Le point positif, c’est que nous avons obtenu la licence et le certificat de sécurité nous permettant de rouler. Mais les banques exigent encore et toujours que nous renforcions nos fonds propres et se montrent réticentes à prêter", regrette la dirigeante. Le modèle économique des nouveaux acteurs du rail repose, en effet, sur la vente des titres de transport et de services additionnels à bord (restauration…). Ces recettes doivent permettre de financer les salaires, les frais de fonctionnement, les redevances à SNCF Réseau…, mais aussi l’achat et l’entretien du matériel roulant.

Des wagons et des sillons

Ce dernier constitue un autre point d’achoppement. En effet, les commandes de matériel roulant se préparent habituellement des années à l’avance avec les grands constructeurs ferroviaires. Quand les opérateurs ont peu de moyens, ils doivent faire autrement en s’orientant vers le marché de l’occasion. Mais celui reste difficile d’accès, la plupart du matériel étant détenu par la SNCF. Par ailleurs, il n’existe pas de dispositif pour louer du matériel de transport de passagers. Les nouvelles compagnies doivent composer avec ces difficultés. Kevin Speed qui envisageait de louer des rames à l’étranger a dû y renoncer, les différents modèles n’étant pas interopérables. La start-up a donc dû se résoudre à acheter ses trains. Mais, Laurent Fourtune réclame à SNCF Réseau des garanties d’accès aux lignes sur trente ans pour donner de la visibilité à ses investisseurs et permettre d’amortir le matériel roulant. Le Train combine achat de rames neuves et d’occasion. "Depuis 2020, nous travaillons sur un scénario de matériel roulant d’occasion pour aller plus vite dans le calendrier. Mais les négociations prennent plus de temps que prévu. Parallèlement à ces discussions, nous avons signé une commande de dix rames neuves auprès du constructeur espagnol Talgo. Elles seront livrées en 2025 pour un montant de plus de 300 millions d’euros", indique la porte-parole de la compagnie charentaise. Railcoop a, pour sa part, fait le choix d’acquérir du matériel d’occasion homologué pour rouler sur le réseau national auprès de la région Auvergne-Rhône-Alpes. "Nous avons acté début 2023 de lancer un premier service incomplet avec des rames rénovées a minima dans les ateliers ACC M, basés à Clermont-Ferrand, dans l’attente du bouclage du tour de table", expose Alexandra Debaisieux.

Autre sujet épineux, l’acquisition des sillons ou créneaux de circulation. Sur les grandes lignes, ils sont rares et donc chers. Sur les autres lignes, c’est l’instruction des dossiers qui est longue et complexe.

Projet de train Belle époque porté par le Puy du Fou — Photo : Puy du Fou

Un choc d’offre

Malgré les nombreux freins à lever, les jeunes opérateurs se montrent confiants dans leur modèle économique. "Nous sommes très conservateurs dans nos hypothèses. Sur l’axe Bordeaux Lyon, nous estimons que nous serons à l’équilibre économique avec 1,4 million de voyageurs sur l’année. Ce qui représente seulement 1 % des flux sur l’axe. On peut espérer que nous dépasserons cet objectif", indique Alexandra Debaisieux. Ambitions encore plus marquées pour Le Train qui prévoit 50 trains quotidiens, 5 millions de voyageurs annuels et la rentabilité au terme de trois ans d’exploitation. Au moment du lancement, ses effectifs devraient atteindre 150 salariés, répartis entre les sites d’Angoulême et de Bordeaux, en incluant les conducteurs de train, formés par ses soins. "Nous avons l’intention de créer un choc d’offre pour développer le potentiel de voyageurs, à l’image de ce qu''a fait le secteur de l’aérien. En proposant de nouvelles opportunités de déplacement, nous attirerons de nouveaux clients", explique ainsi la porte-parole de Le Train. Les nouveaux aventuriers du rail croient également aux arguments d’un mode de transport décarboné et durable en ces temps de transition énergétique à marche forcée.

France # Transport # Services # Investissement # RSE