Pé. Bé. O. Trois syllabes qui font référence à la litharge et à l’oxyde de plomb (formule chimique PbO) anciennement utilisés dans la fabrication de la peinture, dont l’entreprise, créée en 1919 à Saint-Marcel, près de Marseille, a tiré son nom, bien connu de générations et de générations de scolaires. La société Pébéo, dirigée depuis 1922 par la famille Chaveau, n’a cessé de grandir, tirée par l’innovation et l’international. Elle vient une nouvelle fois d’innover en mettant sur le marché fin mars 2024, une gamme écoconçue (contenu et contenant) de 48 couleurs en acrylique. "Nous sommes la première marque d’envergure mondiale à proposer une telle démarche ", confie Antoine Chaveau, quatrième génération à la tête de l’entreprise, qui compte aujourd’hui près de 450 salariés, répartis entre Gémenos dans les Bouches-du-Rhône, la Tunisie et la Chine.
Une gamme de peinture écoconçue
"Dans un univers où l’innovation est de plus en plus difficile, nous lançons une gamme qui illustre parfaitement notre démarche RSE (Responsabilité sociétale des entreprises), dont l’ambition est de faire significativement évoluer notre empreinte carbone. Les centrales d’achat poussent de plus en plus les fabricants dans cette direction et notre gamme a rencontré un bon accueil ", indique le dirigeant. Le liant utilisé pour ces peintures réduit de 6 à 7 fois les émissions de CO2, le tube réduit de 60 % l’utilisation de matière plastique et 97 % des matières premières utilisées sont produites en Europe. "Cela doit se faire tout en répondant aux premières exigences du consommateur : la qualité et le prix ", ajoute Antoine Chaveau. Un mélange subtil que Pébéo s’évertue de réaliser depuis plus d’un siècle. Depuis l’arrivée dans l’entreprise, en 1922, de Claudius Chaveau, ingénieur chimiste, originaire de Lyon, où il avait fait ses armes dans l’industrie de soierie familiale, puis dans les laboratoires des frères Lumière.
Du chantier naval au monde de l'art
Claudius Chaveau devient ainsi directeur général de l’entreprise avant de racheter les parts des autres actionnaires et de la métamorphoser. À cette époque, La Pébéo fabriquait des pigments en poudre pour le chantier naval de Marseille qui repeignait les coques des navires. "Mon arrière-grand-père a souhaité commercialiser les produits de l’entreprise auprès d’autres professionnels, puis la crise de 1929 est survenue, faisant s’envoler le cours du plomb", rappelle Antoine Chaveau. La production traditionnelle est alors remplacée par celle de pigments de jaunes et d’orangé de chrome et, en 1934, La Pébéo propose une première innovation qui va révolutionner le monde de l’art. Alors que pendant des siècles, artistes et artisans préparaient eux-mêmes leurs couleurs à partir de pigments vendus par des fabricants de peinture, en 1934, l’entreprise lance les premières couleurs "prêtes à l’emploi", en tubes. Une série de quinze couleurs exclusives qui vont séduire les artistes et qui vont permettre à Pébéo de faire son entrée dans le monde de l’art.
Peinture en temps de guerre
Quelques années plus tard, en pleine guerre, l’industrie de la peinture souffre d’une pénurie de matières premières. "Une solution a alors été trouvée et nous avons commencé à fabriquer des pastilles de couleur. Ce procédé par voie sèche est plus économe en matière première", poursuit le dirigeant. Ces pastilles, proposées sous forme de palettes miniatures en carton vont marquer une génération entière et préfigurent la révolution suivante.
Entrée sur le marché scolaire et des loisirs créatifs
Au début des années 1950, Claudius Chaveau rencontre en effet Célestin Freinet, l’initiateur de l’école moderne, dont la pédagogie est basée sur l’éveil de l’enfant. Ensemble, ils élaborent un nouveau type de gouache, la gouache liquide, plus pratique à utiliser et totalement adaptée aux cours de peinture. La Pébéo lance alors sa gamme scolaire, à nouveau riche en pigments, en godets et en tubes. En 1952, La Pébéo fait l’acquisition de la fabrique d’Armand Drouant, spécialisée dans les couleurs à l’huile, puis, en 1953, Robert Chaveau, fils du fondateur entre à son tour dans l’entreprise. Il va conduire de nouvelles innovations qui vont installer l’entreprise sur son troisième marché, celui des loisirs créatifs.
En 1960 est en effet lancée une gamme de peinture pour tissus, si performante qu’elle rencontre du succès jusque dans les îles du Pacifique où les vahinés l’utilisent pour orner leurs paréos. Puis la société s’intéresse à la céramique et aux vitraux.
L’extension à l’international
C’est en 1970 que La Pébéo devient Pébéo et passe le cap de la centaine de salariés. En 1977, sort la première peinture acrylique fabriquée dans l’Hexagone, en préambule de l’internationalisation de l’entreprise qui va se développer au cours des années 1980, notamment avec l’arrivée d’Eric Chaveau (fils de Robert). Rapidement, 40 % de l’activité est réalisée hors des frontières nationales et des filiales commerciales sont ainsi créées au Danemark, en Italie et aux États-Unis.
Aujourd’hui, la part export s’élève à 75 % de ses 45 millions d’euros de chiffre d’affaires et Pébéo distribue ses produits dans 120 pays. L’internationalisation de l’entreprise, son besoin de se développer passe en 1995 par son déménagement sur un site plus grand, de 5 000 m², à Gémenos, où elle est toujours installée. Depuis, la société a déployé deux autres sites, en Tunisie (où sont réalisés le conditionnement et l’assemblage des produits fabriqués à Gémenos), où travaillent 50 salariés, puis en Chine (150 salariés), près de Shanghai où elle réalise, dans les années 2000 une usine sur le même modèle que celle de Gémenos.
Labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant
"En 2007, l’État a reconnu la qualité de nos produits et nous avons été labellisés Entreprise du Patrimoine Vivant. Depuis 2020, nous sommes également certifiés Iso 9001, une démarche qui a largement contribué à structurer encore plus l’entreprise", ajoute Antoine Chaveau, qui souligne enfin que dans les années 2010, Pébéo s’est tournée vers les artistes contemporains et a multiplié les actions de mécénat, invitant des peintres internationaux en résidence. "Mon père a contribué à créer en 2003 l’association "Mécènes du Sud", dont l’objectif est d’apporter une aide alternative aux projets artistiques", précise le dirigeant.
Après plus de cent ans d’existence, alors qu’une nouvelle génération de la famille Chaveau s’apprête à prendre les commandes, l’entreprise, est toujours positionnée sur ses trois marchés, issus de son histoire et de l’innovation permanente : Beaux Arts (45 %), loisirs créatifs (40 %) et scolaires (15 %). "Durant la pandémie, les loisirs créatifs ont connu une forte croissance. Aujourd’hui, la tendance est à l’upcycling et nous avons les outils qui permettent aux consommateurs de redonner une seconde vie à leurs biens", indique Antoine Chaveau.
Ambitions sur le web
Le confinement a par ailleurs transformé les relations entre l’entreprise et le numérique. "C’est désormais un de nos axes majeurs de développement. Nos ventes en ligne représentent près de 10 % de notre chiffre d’affaires, ce chiffre doit être doublé. Nous devons, par les canaux digitaux, convaincre les consommateurs à revenir à leurs activités créatrices. Notre plus grande concurrence ne vient pas d’autres acteurs mondiaux du monde de la peinture, mais des loisirs digitaux… ", précise-t-il encore. La passivité face à Netflix contre l’énergie créatrice face à un support vierge !
Le challenge est de taille, mais Pébéo ambitionne de le relever. "Nous sommes des fabricants de couleurs et notre mission est réellement de rendre les pratiques artistiques accessibles au plus grand nombre et ainsi favoriser la créativité de tous", conclut Antoine Chaveau, qui porte aujourd’hui l’aventure familiale et sa passion pour la couleur.
