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"Par ruissellement, la directive CSRD va concerner toutes les PME"
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Céline Dargent expert-comptable "Par ruissellement, la directive CSRD va concerner toutes les PME"

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Associée au réseau d’experts-comptables Sadec Akelys (CA : 53 M€ ; 560 salariés), Céline Dargent, dirigeante du bureau de Nancy, anticipe la mise en place de la directive européenne CSRD, visant à encadrer le reporting extra-financier au niveau européen. Au-delà d’une nouvelle obligation, cette directive doit permettre d’avancer vers une économie décarbonée.

Associée chez Sadec Akelys, Céline Dargent dirige le bureau de Nancy — Photo : Guillaume VOS

Quelle est la logique poursuivie par le législateur européen avec la directive CSRD, pour Corporate Sustainability Reporting Directive, qui encadre le reporting extra-financier des entreprises sur tous les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance ?

Pour éviter les conséquences dramatiques montrées par le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) dans ses rapports, l’Europe s’est dotée d’un plan officiel d’action climatique pour 2050, le Green Deal, qui est un plan visant à réorienter les flux de capitaux vers une économie durable. Ce plan prévoit également d’intégrer systématiquement la durabilité dans la gestion des risques et de favoriser la transparence, ainsi qu’une vision à long terme pour atteindre la neutralité carbone. Les piliers du Green Deal, c’est de permettre la croissance des entreprises, de préserver l’environnement, et de développer la finance durable.
De ce plan européen, la France avait décidé de diviser par quatre ses émissions de CO2 d’ici 2050 et de les réduire de 40 % d’ici 2030. En France, nous avons la DPEF, la déclaration des performances extra-financières, qui s’adresse aux sociétés cotées qui font plus de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires ou affichent un total de bilan de 20 millions d’euros et plus de 500 salariés. Mais cette déclaration n’est pas normée : chaque entreprise peut y mettre ce qu’elle veut. La France est le seul pays d’Europe à prévoir cela, mais l’inconvénient, c’est que rien n’est comparable et les entreprises y mettent un peu ce qu’elles veulent. Rien n’impose le périmètre des indicateurs de performance.

La CSRD est-elle donc un cadre plus rigide pour les déclarations de performance extra-financières ?

La CSRD est arrivée pour apporter un cadre bien précis, pour permettre de comparer les entreprises. On aborde alors la notion de performance globale puisque, quand aujourd’hui on ne compare des entreprises que sur leurs performances financières, demain, grâce à la CSRD, il va devenir possible de comparer sur de l’extra-financier la performance des entreprises.

Quelles sont les entreprises concernées par la CSRD ?

Sur les comptabilités 2024, il y aura un rapport à faire en 2025 pour les EIP, les grandes entités d’intérêt public. Ce sont les premières entreprises qui vont passer à la CSRD : sur les critères, c’est 20 millions d’euros de total de bilan ou 40 millions d’euros de chiffre d’affaires et plus de 500 salariés. L’année suivante, sur les comptes 2025 pour publication en 2026, les grandes entreprises seront concernées, et le critère des salariés passe à 250. Ensuite, en 2027, toutes les PME cotées et en 2029, toutes les filiales et succursales exerçant dans l’Union européenne de certains groupes. C’est surtout le cap de 2026 qui va être important. Cela va représenter 50 000 sociétés en Europe, quand aujourd’hui, on est à 11 000 sur les premiers critères.

"Certains de mes clients souhaitent déjà préparer un rapport de durabilité pour continuer à travailler avec leur donneur d’ordres concerné par la CSRD"

Donc, la petite PME est exclue du dispositif ?

Par ruissellement, la petite PME sera concernée. Dans la CSRD, on parle de l’entreprise, de ses impacts, mais pour elle et toute sa chaîne de valeur. Et la notion de chaîne de valeur signifie qu’en amont et en aval, l’entreprise devra intégrer dans son rapport, concrètement, ses déchets chez les clients, où se fournissent les fournisseurs en matière première, qu’est-ce qui se passe avec les communautés affectées. Sur sa chaîne de valeur, l’entreprise a trois ans pour récupérer les informations, il y a donc une progressivité. On se doute bien qu’à la première interrogation des fournisseurs, elle n’aura pas tous les renseignements. Et l’entreprise finira par ne plus travailler avec les fournisseurs qui ne répondraient pas arguant du fait qu’ils sont petits et pas concernés. Parce que de son côté, elle aura l’obligation de renseigner les informations. Donc, ni les TPE ni les PME ne sont concernées, mais par ruissellement, elles vont le devenir. J’ai déjà des clients qui me posent la question, souhaitant préparer un rapport de durabilité même si leur entreprise n’est pas concernée, parce que leur entreprise travaille avec des donneurs d’ordres concernés par la CSRD. Et dans les appels d’offres, on commence à leur demander leur démarche RSE ou encore leur bilan carbone. Au final, toutes les entreprises seront dans le même bateau.

Sur quelles données le rapport à produire porte-t-il ?

Il y a trois piliers dans la CSRD : l’environnement, le social et la gouvernance. Dans chaque pilier, il y a des pavés dans lesquels l’entreprise devra mettre des indicateurs de performance et des éléments sur l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, les ressources aquatiques et marines, l’économie circulaire, la pollution, de l’air, des sols, des eaux ou encore la biodiversité.
Dans le social, l’égalité de traitement, l’égalité des chances, les conditions de travail et le respect des droits humains et dans la gouvernance, des indicateurs sur le rôle de la gouvernance, la composition des organes d’administration, leurs compétences en matière de durabilité et comment ils accèdent à l’expertise. Une partie porte sur le contrôle interne et la gestion des risques par rapport au reporting de durabilité, l’éthique des affaires ainsi que la gestion et la qualité des relations avec les parties prenantes, les clients, les fournisseurs les communautés affectées.
Tous ces critères seront analysés sur un principe de double matérialité, où il faudra identifier les impacts de l’entreprise et quels sont les risques et les opportunités. Ce travail va surtout permettre à l’entreprise de se poser et de réfléchir à son impact sur l’environnement, à la façon dont elle gère ses ressources humaines.

"Aujourd’hui, que ce soit pour Bpifrance ou les banques, les critères extra-financiers sont déjà intégrés pour accorder des financements."

Cette nouvelle directive est-elle une nouvelle contrainte ou un outil de performance ?

La mise en place de cette nouvelle directive va demander une énergie assez importante, au niveau humain et financier. Mais au-delà, cette directive va devenir un outil de pilotage stratégique. Tout comme la mise en place d’une démarche RSE peut être vue comme une contrainte, et qui, au final, quand elle est mise en place, devient une vraie stratégie qui permet de faire des économies, de fidéliser les salariés, de dépenser moins dans l’énergie. Même dans la gouvernance, c’est une stratégie qui permet de gagner en performance. Les entreprises ne le voient pas comme cela dans un premier temps, mais dans tous les cas, les études, menées notamment par l’AFNOR, montrent que les entreprises qui s’engagent dans une démarche RSE gagnent en performance.

Un dirigeant peut-il encore estimer que la RSE ne le concerne pas ?

Un dirigeant qui se dit ça, va droit dans le mur. C’est là où nous, dans notre rôle d’expert-comptable et de commissaire aux comptes, nous sommes là pour être les éclaireurs de nos clients. Si l’activité est impactée par le changement climatique ou au contraire, si l’activité est polluante, le dirigeant aura de plus en plus de mal à accéder à des financements. Parce qu’aujourd’hui, que ce soit pour Bpifrance ou les banques, les critères extra-financiers sont déjà intégrés pour accorder des financements. Auparavant, ils regardaient l’EBE, le résultat… : on restait sur la performance financière. Maintenant, les critères RSE sont intégrés dans leurs décisions.

La CSRD peut-elle aider à avancer vers une économie décarbonée ?

C’est un objectif, c’est ce que souhaite le législateur. C’est pour cela que la directive est mise en place. Pour pouvoir mesurer ces indicateurs, il va falloir faire un bilan carbone, puis une comptabilité carbone. On ne va plus seulement mesurer les flux financiers, mais aussi les flux d’émission de l’entreprise. C’est à partir de tout cela qu’il deviendra possible de construire une stratégie climat pour entamer une décarbonation. Comme cela permet de mettre en avant les entreprises performantes, cela va aussi permettre d’amplifier la finance verte, durable et neutre en carbone. Le législateur souhaite que certaines activités ne soient plus financées. Et c’est déjà le cas : tout ce qui consomme de l’énergie fossile, ce sont des activités blacklistées par Bpifrance, par exemple.

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