Numérique : Fin d'une ère pour Rennes ou simple « bug » de 2013 ?
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Numérique : Fin d'une ère pour Rennes ou simple « bug » de 2013 ?

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Alcatel-Lucent, Renesas... Le numérique rennais trinque. Crise profonde ou « bug » sur fond de mondialisation ? Alors que les Champs Blancs s'affichent en pôle d'avenir, la filière s'interroge.
— Photo : Le Journal des Entreprises

Rennes, fleuron du numérique en France. Une image bientôt du passé ? À en croire certains, la métropole rennaise vit sur ses acquis et pâtit d'une image trop liée aux télécoms, infrastructures et réseaux. Alors que l'avenir est dans les applications, services web... Un scénario catastrophe prédirait même un séisme pire que PSA. La fin de la poule aux oeufs d'or ? Une chose est sûre : il se passe quelque chose à Rennes. La filière, que la métropole vend à tout bout de champ, bouge. À commencer par les Champs Blancs. « Cette zone, dans la continuité de la ZAC Atalante, est très identifiée ESN (entreprises de service du numérique, ex-SSII). L'avenir de Rennes se joue sur divers secteurs et les Champs Blancs en font partie. Ils commencent à avoir une identité. Chaque zone en a besoin », note Stéphane Dauphin, du cabinet immobilier DTZ.




Des grands noms attendus

Sur place, les inaugurations et poses de premières pierres se multiplient. « Depuis 2008, nous avons signé 100.000 m² de bureaux à Cesson... Il faut favoriser cet avancement numérique », martèle son maire Michel Bihan qui porte en grande partie la nouvelle zone d'entreprises Via Silva Ouest. « En 2040, 25.000 emplois nouveaux... L'IRT B-Com doit en générer 3.000 ces trois prochaines années. » Mais attention : c'est un site « plus compliqué » à commercialiser car les surfaces sont imposantes. « On y attend vraiment des grands groupes. » Pour l'instant, de grands groupes, Rennes n'a attiré que des Rennais déjà implantés sur l'Atalante voisine qu'il faudra requalifier un jour. De ce point de vue aussi, la critique monte. « Il faut bien se rendre compte que les Champs Blancs n'attirent pas, pour l'instant, de nouvelles entreprises du numérique, précise Xavier Michard, président du Syntec numérique et directeur de SII Ouest. Toutes étaient déjà là avant, simplement 200 m plus loin. Ce sont des déménagements : TVN, Capgemini, Proservia... À part B-Com, seule nouveauté. Il va falloir des implantations de structures de gros groupes plutôt que la création de petites entreprises si on veut créer des emplois. Ces restructurations n'en créent pas. » Proservia s'en défend. Basée à Rennes depuis dix ans, la filiale de Manpower a triplé de bureaux. Elle a quitté Atalante-Champeaux avec ses 150 salariés. Objectif : doubler leur nombre à trois ans dans le bâtiment de Technicolor. « Nous avons choisi de ne pas faire d'offshore, avec un ancrage à l'Ouest », précise Séphane Clémen. Un choix d'autant plus stratégique pour son DG que « les Champs Blancs, c'est LE pôle numérique, la petite Sillicon Valley du coin. »




Rennes vit sur ses acquis

Hugues Meili, le dirigeant de Niji, va plus loin dans la critique : « Que reste-t-il des promesses de Vivendi de créer des emplois par centaines avec SFR ? Le tissu du numérique à Rennes n'a rien de numérique ! On vit sur un acquis, selon lui. Le numérique, c'est le logiciel, le web, les usages, la monétisation, etc. L'ancrage historique de Rennes dans les télécoms et son lien viscéral avec Orange ne facilite par la diversification. Il manque un peu le dernier étage de la fusée. » « Rennes s'est trop reposé sur les télécoms », ajoute même Jean-Yves Foret, pourtant patron d'une filiale d'Orange, IT&L@bs qui prend justement ce virage.




Nantes : concurrente sévère

Implanté aussi à Nantes et Lille, Hugues Meili compare : « Nantes a réussi à prendre le leadership sur l'informatique attirant des émanations de grands comptes nationaux. Ce qui tire Lille, ce sont les multiples enseignes de la galaxie Mulliez : des commerçants qui ne peuvent échapper au m-commerce et qui entraînent avec eux la mutation permanente de l'internet. » Xavier Michard le répète : « Les ESN apportent de la valeur à un territoire car elles aident les sociétés à monter des projets. »




Un savoir-faire qui s'exporte

Les Beaumanoir, Le Duff et autres ne suffiront pas. D'après Hugues Meili, « la transformation numérique de nos entreprises bretonnes ne suffirait même pas à faire vivre un dixième des entreprises numériques rennaises ! » À son grand dam, Niji a d'ailleurs peu de clients en Bretagne. Idem chez IT&L@bs : « Nos 500 salariés rennais ne travaillent pas que pour des projets locaux. » Hugues Meili soulève un autre point critique de la ville académique par excellence : « Il y a une relation historique entre le monde politique et le monde académique qui n'incite pas le tissu du numérique à perdre de son hypertechnicité. Attention, les réseaux et télécoms sont importants, tempère-t-il. On ne peut que se réjouir d'en avoir la maîtrise, mais cela ne suffit pas. La transformation du monde économique par internet nécessite des compétences en marketing, design, commerce que Rennes n'a pas... » Régulièrement consulté par les élus, Hugues Meili leur répète qu'il faut bâtir « une vraie stratégie du numérique » avec « un sherpa ». Un enjeu de la campagne municipale. « L'avenir des télécoms est un sujet à questionner. Il faut partager le constat de nos forces et faiblesses. »




Le « paradoxe rennais »

Du côté politique, on en a conscience. Ce n'est pas la fin d'une ère pour Gwenaële Hamon. « Le numérique vit des mutations. Au-delà des infrastructures, Rennes a une ouverture de marché importante sur la palette des usages en santé, loisirs... Sur Rennes, les compétences sont là et compétitives. » L'élue de Rennes Métropole, qui parle de « paradoxe rennais », mise beaucoup sur les quartiers numériques. Comme Yann-Yves Le Goffic, de Rennes Atalante, elle veut en faire une vitrine internationale. Pour lui, « à Rennes, le numérique est une évidence ! » Pour elle, « un quartier numérique est déjà une réponse ». « Nous travaillons sur des parcours d'entreprises, une pépinière... » Quelques start-up rennaises éclaircissent l'horizon, même si bien souvent sous perfusion d'argent public. Et quand elles décollent, elles sont happées : Archividéo rachetée par Dassault, FlexyCore tombée dans le giron de Google. L'inverse est vrai : Samsic vient d'acquérir l'expert parisien d'outils RH Cleversys et projette à Rennes 50 emplois, voire 200. Yann-Yves Le Goffic rassure : « Les compétences ne partent pas ; chaque difficulté a regénéré de l'essaimage et des emplois. » Combien d'ex-Orange n'ont-ils pas créé leur boîte ?

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