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Montpellier relève le défi de l’intelligence artificielle durable
Enquête Montpellier # Industrie # Écosystème et Territoire

Montpellier relève le défi de l’intelligence artificielle durable

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Aligné sur les ambitions industrielles d’Emmanuel Macron, l’écosystème montpelliérain se mobilise pour inventer l’intelligence artificielle de demain, plus durable et conforme aux attentes sociétales. Sa force : la grande proximité entre recherche publique et entreprises.

Gabriel Hautreux et Michel Robert, respectivement responsable du département calcul intensif et directeur du Cines à Montpellier — Photo : CLEMENT MANES

Depuis l’apparition tonitruante de ChatGPT fin 2022, une course planétaire s’est engagée autour de l’intelligence artificielle (IA). Afin de ne pas laisser la France être distancée sur un marché estimé à 33 milliards de dollars en 2028, Emmanuel Macron a lancé, en juin 2023, un appel à manifestation d’intérêt (AMI) baptisé "IA Cluster", visant à faire naître des pôles de recherche, de formation et d’innovation de niveau mondial. À la clef : des dotations de 130, 70, 40 ou 20 millions d’euros pour les consortiums lauréats.

La forte densité de l’écosystème local

À Montpellier, un collectif nommé IA Méditerranée a devancé l’État de quelques mois. Ce cluster informel réunit entreprises et acteurs académiques afin de faciliter le partage de connaissances autour de "l’IA de confiance" (dont les décisions sont explicables). Après les annonces d’Emmanuel Macron, 30 entreprises et 20 organisations se sont associées à IA Méditerranée en vue de former un consortium candidat à l’AMI. Trois mois ont suffi pour rédiger et déposer un dossier, démontrant l’historique de l’écosystème IA à Montpellier.

Rassemblé derrière l’Université de Montpellier (UM), ce consortium profite d’un terreau dense, avec la présence de grands centres de recherche (CNRS, CEA, Cirad, Inria, IRD…) et d’un réseau d’incubation (le BIC de Montpellier) multiprimé sur le plan mondial. "Nous avons écrit le projet en partant de nos forces : un bon tissu de start-up déjà efficientes dans les axes du projet MUSE (le pôle d’excellence de l’UM, bâti autour des thématiques "Nourrir, soigner, protéger", NDLR). Notre ambition est de favoriser la recherche collaborative entre laboratoires et entreprises sur des sujets tels que l’IA de confiance, la santé et la structuration de données pour ce faire. Nous voulons ensuite massifier ces usages de l’IA, à travers des infrastructures, mais aussi la formation et la sensibilisation du public", énumère Anne Laurent, vice-présidente de l’UM en charge du dossier.

L’enjeu des IA sécurisées

Parmi les 1 100 acteurs locaux engagés dans le consortium (personnalités, institutions, PME ou groupes) en mars 2024, on dénombre plus de 60 entreprises, dont des industriels (General Electric, Atos, Guerbet, Horiba Médical…) et des PME (BforeAI, Vogo, Pradeo, Sweep…). L’une des premières a été la deeptech montpelliéraine Numalis (20 salariés), qui industrialise des méthodes mathématiques pour valider les IA. Elle jouit d’un rôle clef dans le groupement car son fondateur, Arnaud Ioualalen, siège en tant qu’éditeur de solutions dans un des groupes de travail de l’Union Européenne sur l’IA. Sous son impulsion, le consortium se positionne comme un "bac à sable réglementaire", visant à expérimenter des outils tout en anticipant leur mise en conformité avec "l’IA Act", la réglementation européenne qui va encadrer le secteur à partir de 2025. "L’idée du consortium est de faire de la précertification. Il apporte aux nouveaux adhérents la connaissance la plus proche de la standardisation que va implémenter l’IA Act. Les entreprises pourront créer des solutions pour la santé et l’écologie respectant la future réglementation. Nous portons un écosystème favorable pour développer des IA certifiées, conformes et sécurisées", résume Arnaud Ioualalen. Cette approche fait écho au projet de la Métropole de Montpellier, elle aussi au premier rang du collectif avec son projet de convention citoyenne autour d’une IA éthique et durable (lire par ailleurs).

Des infrastructures de niveau mondial

Un autre atout du consortium est la présence à Montpellier du Cines (Centre Informatique National de l’Enseignement Supérieur), l’un des trois centres nationaux dédiés au calcul intensif. En mai 2023, ce dernier s’est équipé d’AdAstra, l’un des 10 supercalculateurs les plus puissants au monde, et le plus sobre en matière d’empreinte carbone (l’une des exigences de l’IA Act). Avec une capacité de plus de 74 PFlop/s, soit 20 fois la puissance de calcul jusqu’ici en production au Cines, il peut être proposé à des fins de simulation numérique aux scientifiques et aux industriels. Le centre propose aussi d’héberger les serveurs d’établissements universitaires et scientifiques, et de faire de l’archivage pérenne de données. "Nous avons tout ce qu’il faut pour répondre aux enjeux de la déferlante en cours autour de l’IA. Celle-ci consomme d’énormes capitaux, mais aussi beaucoup de puissance de calcul. C’est donc un enjeu de compétitivité économique que de disposer des infrastructures adaptées. Mais les questions de certification ne peuvent pas toutes être traitées au Cines, d’où l’intérêt de ce consortium, conçu comme un accélérateur de partenariats", analyse Michel Robert, directeur du Cines.

Adapter les entreprises aux nouveaux enjeux

Du côté des entreprises signataires, les motivations pour adhérer au consortium varient. "Certaines viennent car elles ont un historique dans l’IA, tandis que d’autres veulent faire connaître leur métier et repérer les compétences utiles quand les premiers projets sortiront", commente Anne Laurent. Parmi ces partenaires, l’énergéticien General Electric (GE, 250 salariés à Montpellier) perçoit l’IA comme une technologie permettant de gagner en performance. "Elle nous aide à être plus prédictifs dans la maintenance de nos infrastructures", note Chloé Ravel, architecte fonctionnelle de la filiale GE Grid Solutions. Le groupe vient de lancer un projet d’analyse de données pour identifier les facteurs environnementaux impactant ses installations. Il collabore aussi avec des écoles locales, comme Polytech Montpellier, pour "développer les compétences des jeunes sur les technologies de demain".

Amplifier la formation en IA

Le consortium montpelliérain candidate pour une dotation de 40 millions d’euros, même si l’assiette globale de son projet avoisine les 160 millions d’euros : le solde sera abondé par les entreprises partenaires, les collectivités et même les fonds attribués par d’autres dispositifs. Si le consortium obtient une dotation, il prévoit d’abord "de doubler ou tripler" l’offre de formation en IA proposée à Montpellier (qui a produit 120 thèses et embarque 230 chercheurs à ce jour). De même, il est prévu de créer des chaires académiques, pilotées par 2 ou 3 chercheurs en lien avec des entreprises, qui pourront cofinancer un budget moyen estimé à 500 000 euros. Parmi les thématiques prévues : les données complexes, les IA frugales (respectueuses des données personnelles), les IA hybrides (combinant logique et apprentissage automatique), etc. "Globalement, la dotation permettrait d’augmenter la surface de collaboration avec les entreprises", insiste Anne Laurent. Ainsi, le Cines est déjà en contact avec le fabricant de puces américain AMD pour créer un laboratoire commun "employant quelques ingénieurs", dans la foulée de l’AMI en cas de feu vert, "ou bien un peu plus tard si la réponse est négative", selon Michel Robert.

Des projets bientôt disponibles

Mais qu’il soit lauréat ou pas* de l’AMI "IA Cluster", le groupement prévoit de perdurer et peaufine déjà ses premiers projets. La Halle de l’IA sera par exemple un lieu de rencontre et d’échange entre experts de l’IA sur la base de programmations thématiques (santé avec le CHU de Montpellier, bâtiment avec la FFB Hérault, etc.). De même, le dispositif "AICET", lancé par l’UM et les deeptechs Numalis et Bionomeex, sera le premier test standardisé pour mesurer les connaissances sur l’IA : une fois disponible sur une plateforme en ligne, il permettra d’attribuer un "score AICET" qui sera utile aux institutions et aux entreprises dans leur stratégie d’embauche ou de formation continue.

Comptant parmi les pionniers de l’IA en France en tant que cofondateur en 1990 de la mythique société Business Objects, le Montpelliérain Jean-Michel Cambot a déjà collaboré avec des laboratoires locaux dans les 2 start-up qu’il a rejointes ensuite (TellMePlus et Lytn). "L’imbrication entre recherche publique et entreprises est un facteur d’attractivité pour Montpellier. En ce sens, le consortium est une bonne idée car il mutualise les ressources. Néanmoins, je serais plus mesuré sur l’argument de la souveraineté industrielle. L’intention était la même dans les années 2010 pour le cloud souverain, qui s’est soldé par un échec. On bute souvent sur les questions de financement. L’État va débloquer 130 ou 70 millions d’euros par projet mais songez qu’OpenAI veut créer ses propres puces pour ChatGPT en levant mille milliards de dollars", pointe-t-il. Pour sa part, Michel Robert partage les mêmes craintes, ou en partie seulement : "Le financement de l’AMI semble un peu faible mais c’est un point de départ. Le consortium permettra peut-être de faire naître des licornes, qui à leur tour déclencheront une nouvelle dynamique d’ampleur".

* Attendus pour le début d’année 2024, les résultats de l’AMI "IA Cluster" n’étaient toujours pas connus au moment où nous mettions sous presse.

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