Les festivals, un moteur de développement en région ?
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Les festivals, un moteur de développement en région ?

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Toujours plus nombreux, les festivals estivaux sont un outil de promotion des territoires et de développement économique… à condition d’être à la portée d’un maximum d’entreprises locales, pas toujours en position de se saisir de marchés de plus en plus conséquents. Enquête dans les Hauts-de-France, où se tiennent, chaque été, de grands événements, comme Main Square (Arras) et Nuits Secrètes (Aulnoye-Aymeries), rejoints récemment par de nouveaux rendez-vous, à l'image du Touquet Music Beach Festival et de La Bonne Aventure (Dunkerque).

— Photo : Sarah Bastin

Avec les beaux jours fleurissent les festivals. La belle saison donne le départ du marathon pour les férus de ces grandes messes musicales, proposant têtes d’affiche et découvertes. Avec la promesse d’une expérience et d’une atmosphère uniques. Des enjeux culturels derrière lesquels se cachent des questions financières. Selon le « Barofest », édité par le Centre d’information et de ressources pour les musiques actuelles (Irma), les ventes de billets pour les festivals représentaient en France, en 2015, 155 M€, soit 30 % de la billetterie pour les musiques actuelles.

« Le marché s’est complètement retourné. Avant, on faisait des concerts pour vendre des disques, maintenant, on fait des disques pour vendre des concerts », résume Alexis Devillers, le dirigeant d’Alive Groupe, prestataire dans l’évènementiel (Tourcoing, CA 2017 : 22 M€, 170 salariés). Mais la concurrence est rude, plus de 70 % de ces évènements (1887 recensés en France en 2015, de toutes les tailles) ayant lieu en été. « La saison des festivals, c’est 8 vendredis, 8 samedis, et ce pour toute l’Europe », souligne la productrice France Leduc, basée à Tourcoing, créatrice du Main Square à Arras et plus récemment, du Touquet Music Beach Festival, lancé en 2017. « La demande est surdimensionnée par rapport à l’offre artistique, il y a de plus en plus de bagarre entre les organisations… Et les tarifs augmentent. »

Une concurrence internationale

Difficile, dans ces conditions, pour des acteurs de taille modeste, souvent associatifs, d’exister face à de très grosses machines. Et en premier lieu, au groupe américain Live Nation, qui produit le Main Square depuis 2011, parmi d’autres grands festivals français. Aux côtés de cette locomotive, avec 125 000 spectateurs à Arras en 2017, d’autres évènements se font une place dans la région, qui abrite, selon l’Irma, une centaine de festivals chaque année. Mais leur équilibre est parfois précaire.

« Dans le Nord et le Pas-de-Calais, il n’y a pas tant d’acteurs que ça. Il y a encore de la place pour tout le monde », assure Olivier Connan, le créateur des Nuits Secrètes, le festival qui, chaque fin juillet, réussit à rendre branchée Aulnoye-Aymeries, y attirant 20 000 personnes par soir. « Nous avons chacun notre positionnement, et c’est toujours un défi de prévenir les attentes du public en termes de têtes d’affiche, tout en gardant notre ADN. À Aulnoye, nous cultivons l’exclusivité et la rareté, mais ça a un coût, dans une économie musicale qui brasse toujours plus de chiffre d’affaires… On n’est pas chez Oui-oui, il faut savoir attirer les groupes. Nous restons un petit festival, avec un budget d’1,60 M€, quand Dour, en Belgique, tourne à 13 M€, et le Main Square, autour de 7 M€. On n’est pas là pour dégager des bénéfices, mais avec la baisse des subventions, il a fallu se réinventer. En 17 ans, on est donc passé du tout gratuit au tout payant, en 2016, pour essayer de stabiliser le modèle financier. »

Même phénomène au Touquet, où les Nuits Touquettoises, transformées en un Touquet Music Beach Festival, plus ambitieux et plus sécurisé, est devenu payant, et a attiré 11 000 spectateurs sur deux jours en 2017. Dernier né dans la région, La Bonne Aventure à Dunkerque, produit par l’équipe des Nuits Secrètes, conserve une partie de son programme en accès libre, sur la plage. Le festival a attiré 26 000 spectateurs pour sa première édition.

Lancer ou prolonger la saison

Pas forcément immédiatement rentables, les festivals régionaux sont de plus en plus perçus comme un facteur d’attractivité pour un territoire, dans un contexte où la musique live n’a jamais autant attiré. L’idéal pour prolonger la saison, comme au Touquet, fin août, ou la lancer, comme à Dunkerque, fin juin, où la Bonne Aventure a avant tout été conçue comme un outil au service du territoire. « C’est en 2015 qu’est née l’idée de créer un festival, à l’issue des Etats généraux de l’emploi », retrace Jonathan Lheureux, chef de projet en charge du festival à la Communauté Urbaine de Dunkerque. « Il répond à une volonté de renforcer l’attractivité du territoire, avec un enjeu à la fois culturel, de renouvellement d’image de la station balnéaire, et de développement économique. » Encore balbutiante, la construction de cette politique passe notamment par une coopération avec l’incubateur dunkerquois La Turbine, pour aider les entreprises du territoire à monter en compétences pour répondre aux appels d’offres ouverts en local.

Pour quelles retombées ?

Quels que soient les investissements consentis, de plusieurs millions d’euros pour le Main Square, à 1,4 M€ pour la Bonne Aventure, ou 1 M€ pour le Touquet Music Beach Festival, la question des retombées sur le territoire reste en effet prégnante. Généralement co-financés par les collectivités, la Région et des acteurs privés, les festivals sont censés engendrer un surplus d’activité pour les restaurateurs, hôteliers et commerçants locaux. À condition que les festivités s’inscrivent dans une certaine durée, et ne se réduisent pas à un « parcage » des spectateurs sur un site isolé fonctionnant en vase clos, de la restauration au camping. « Un festival est réussi quand il est en osmose avec son territoire, quand la ville le fait sien », tranche France Leduc.

Au Touquet, le festival fait la part belle aux sports nautiques, et les différents clubs de la ville y sont associés pour organiser, en journée, initiations et compétitions. Mais difficile d’avoir des chiffres sur les retombées, réelles ou estimées, de ces évènements. « Aux Nuits Secrètes, on est dans un rapport de 2,5 € de retombées sur le territoire pour 1 € investi, et on fait travailler 1 000 personnes pendant le festival », assure Olivier Connan. La Belle Aventure, à Dunkerque, est encore trop jeune pour permettre des études d’impact, mais le ressenti des commerçants, dont certains étaient réticents au départ, est « très positif » garantit Jonathan Lheureux. Du côté du Main Square, la seule étude publiée, en 2015, calculait des retombées d’1 M€ sur le territoire. « On essaie au maximum d’impliquer les entreprises locales, mais il faut aussi être réaliste. Un festival, c’est une très grosse machine, avec des impératifs techniques et de sécurité de plus en plus élevés. On atteint vite une limite où il faut avoir recours à des entreprises d’une certaine envergure », indique France Leduc. Des marchés sur lesquels les petites entreprises régionales peuvent avoir des difficultés à se placer.

« Il y a des petits festivals, presque amateurs, où les organisateurs gèrent tout eux-mêmes, et d’autres, comme le Main Square, qui fait surtout travailler des entreprises étrangères. Dans la région, le marché n’est donc pas énorme. Même si nous détenons 75 % du marché des festivals de plus de 1 000 spectateurs, sur les 18 M€ de CA de notre segment Events, les concerts et festivals dans la région pèsent 400 000 €. Pour nos filiales d’Angers et de Nancy, où il y a beaucoup plus de festivals, c’est en revanche 50 % du chiffre d’affaires », pointe Alexis Devillers. « C’est sûr que nous laissons peu de place à d’autres acteurs, mais il y en a peu en région capables d’assurer de gros évènements. On est d’ailleurs en train de se renforcer sur ce marché dans la région, qui nous offre un relais de croissance pendant l’été, saison creuse pour l’institutionnel. »

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