Carrossier et constructeur de véhicules utilitaires installé à Nancy, Didier Muller connaît chaque fin d’année un pic d’activité. "Tous mes clients veulent leur véhicule pour la fin de l’exercice comptable. Concrètement, je pourrais multiplier les effectifs dédiés à la production par trois", détaille le dirigeant nancéien, qui réalise environ 1,4 million d’euros de chiffre d’affaires avec 12 salariés, dont 7 dédiés à la production.
Une situation qui amène le dirigeant à évoquer le sujet au sein de l’ATP Rives de Meurthe, un des réseaux territoriaux d’entreprises couvrant la métropole du Grand Nancy, qui rassemble 71 entreprises adhérentes pour plus de 2 500 emplois. "L’idée a intéressé, d’autant que pendant le Covid, certaines entreprises ont été contraintes de mettre leurs salariés au chômage technique quand ailleurs, dans certaines structures, il y avait besoin de bras", rappelle Thierry Decker, président de l’ATP Rives de Meurthe et proviseur adjoint du lycée Loritz.
L’intérêt marqué par les entrepreneurs de l’ATP va se concrétiser grâce au travail mené par Mélanie Collin, chargée de projets à la Maison de l’emploi du Grand Nancy : une plateforme dédiée au prêt de main-d’œuvre est développée par le cabinet de recrutement Tomorrow Jobs. Son lancement, organisé le 7 novembre 2023, a attiré plus de 80 dirigeants d’entreprises. Concrètement, après la création d’un compte, les entreprises "prêteuse" peuvent faire état des salariés disponibles, quand les entreprises "emprunteuses" peuvent y décrire leurs besoins. En coulisse, pas d’algorithme, mais le travail de Mélanie Collin, qui qualifie précisément les demandes, vérifie leur bien-fondé et procède à la mise en relation.
Des cas d’usage multiples
"Le cadre légal existe bien, il s’agit du prêt de main-d’œuvre tel qu’il est prévu par la loi Cherpion de 2011, favorisé par les ordonnances Macron de 2018. Une des premières conditions est évidemment d’obtenir l’accord écrit du salarié", précise Valérie Creusot-Rivière, présidente du cabinet d’expertise comptable Yzico et vice-présidente de l’ordre des experts-comptables du Grand Est. Ensuite, une convention doit préciser le cadre du prêt et un avenant au contrat de travail doit permettre aux salariés d’aller travailler de manière temporaire pour une autre entreprise.
"La plateforme va simplifier les démarches, car même si le cadre légal existe, c’est tout de même assez lourd pour un dirigeant de PME", souligne Didier Muller. Pallier des difficultés de recrutement, éviter le chômage partiel en cas de baisse d’activité ou encore faire appel à des compétences spécifiques temporairement, les cas d’usage du prêt de salariés peuvent être multiples. Et pourraient déboucher sur des dérives ? "Évidemment, c’est un risque de se faire débaucher des salariés", confirme Didier Muller. "Mais je suis suffisamment confiant dans la qualité de vie au travail au sein de mon entreprise pour utiliser le prêt de salariés sans arrière-pensée."
Cheville ouvrière du fonctionnement de la plateforme, Mélanie Collin assure que son rôle consistera notamment à éviter les dérives : "Une entreprise qui n’utilisera pas la plateforme à bon escient sera exclue du système", assure la chargée de projet de la Maison de l’Emploi. Imaginée à l’échelle du quartier de Nancy couvert par l’ATP Rives de Meurthe, déjà étendue à l’ensemble de la Métropole, la plateforme Héracle a vocation à s’ouvrir rapidement au "sud de la Meurthe-et-Moselle", assure Thierry Decker. "Car le prêt de salariés répond à un réel besoin des dirigeants, souvent confrontés à des difficultés de recrutement, mais aussi à des pics d’activité temporaires ".
