« Le prélèvement à la source suscite beaucoup de questions en entreprise »
Interview # Fiscalité

Charles André avocat associé chez EY Société d’avocats au bureau de Nantes « Le prélèvement à la source suscite beaucoup de questions en entreprise »

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À partir du 1er janvier prochain, le prélèvement de l'impôt sur le revenu à la source entrera en vigueur et concernera tous les contribuables. Les employeurs sont directement concernés par cette réforme. Il convient de s’y préparer dès à présent pour éviter les mauvaises surprises et les incompréhensions, explique Charles André, avocat chez EY. Avec ses équipes, il sensibilise ses clients dans toute la France pour les aider à mieux comprendre la réforme et à adopter une organisation efficace. Dans cet entretien au Journal des Entreprises, il revient sur l’esprit du prélèvement à la source, les écueils à éviter et les réponses à apporter aux salariés comme aux personnels concernés par sa mise en œuvre.

Charles André, associé chez EY, souligne l'importance d'une réelle concertation en interne pour faciliter la mise en oeuvre du prélèvement à la Source — Photo : Xavier Debontride - Le JDE

Le Journal des Entreprises : Depuis quelques semaines, vous sillonnez la France avec vos équipes pour présenter la réforme du prélèvement à la source. Dans quel état d’esprit sont les chefs d’entreprise que vous rencontrez ?

Charles André : Ils sont de plus en plus concernés. Chez EY, nous nous intéressons à ce sujet depuis plus d’un an, en lien avec l’administration fiscale. La réforme est désormais confirmée. Tout est enclenché pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2019. Mais les entreprises ne s’y intéressent vraiment que depuis le début de l’année, à moins d’un an de l’échéance. En mai, les contribuables vont connaître leur taux d’imposition pour le prélèvement à la source. Ce sera la première concrétisation individualisée de cette réforme.

Beaucoup craignent l’instauration d’une "usine à gaz". Comment s’y préparer dès maintenant ?

C. A. : Ce sujet est pluridisciplinaire, il touche à la fois à des questions liées à la paie et à la fiscalité. Nous l’envisageons ainsi, avec, en plus, de l’accompagnement au changement. C’est un vaste chantier qui concerne tous les Français, personne n’y échappera. Ce changement majeur impacte le net à payer du bulletin de paie, qui va dans certains cas diminuer fortement. Il faut donc préparer les acteurs au sein de l’entreprise : la paye, les ressources humaines, le département fiscalité, etc.

Sans oublier les salariés…

C. A. : En effet, car ils vont forcément poser des questions à leur employeur, à la personne en charge de la paye, qui va être le coupable naturel en cas de problème ou d’incompréhension. Pourquoi mon net à payer a autant baissé ? Pourquoi ce taux m’est-il appliqué, alors que je ne vous ai rien dit, etc. ? On rappelle, pour résumer, qu’il faut s’attendre à au moins une question par salarié. Je laisse vos lecteurs calculer en fonction de leur effectif ! Il faut donc s’y préparer, dès à présent et surtout à partir de septembre-octobre. Les services RH n’ont pas que ce chantier à piloter, ce ne sont pas des fiscalistes, il faudra donc accompagner ces collaborateurs. La prise de conscience est acquise, et les demandes précises de formation se font sentir.

Quel est, d’abord, l’objectif de cette réforme ?

C. A. : La première finalité macroéconomique, c’est que la France rejoint sur ce point le reste du monde. À part elle, tous les autres pays, sauf Singapour et la Suisse, ont opté pour un système de prélèvement de l’impôt à la source, avec un salaire versé net après impôt. L’intérêt, pour l’administration fiscale, c’est de collecter plus rapidement l’impôt, et surtout de mieux coller à la situation réelle des salariés, notamment ceux pour qui les revenus baissent d’une année sur l’autre. On parle ainsi de contemporanéité de l’impôt : les impôts sont payés sur les revenus du moment, et non pas sur ceux de l’année antérieure.

Concrètement, comment cela fonctionne ?

C. A. : C’est finalement assez basique : il y a une base et un taux ! La base, c’est l’employeur qui en est responsable, via le salaire net imposable. Le taux, c’est l’administration fiscale qui le détermine. Il y a donc deux changements majeurs à intégrer : du côté des contribuables, il y a aura toujours une déclaration d’impôt annuelle à remplir, mais l’impôt sera peut-être plus indolore, il sera payé tout de suite et on pourra dépenser ce qui reste. Jusqu’à présent, il fallait épargner en prévision du paiement de l’impôt. Les étrangers qui viennent travailler en France sont d’ailleurs toujours très surpris de ce décalage. Dans le nouveau système, la déclaration d’impôt sera suivie d’un avis d’imposition qui ne fera que régulariser un delta, en plus ou en moins, par rapport à ce qui aura été perçu au cours de l’année, un peu à la manière d’une facture d’électricité mensualisée. Pour les contribuables, la déclaration sera ainsi peut-être suivie de bonnes nouvelles, notamment si on attend une restitution d’impôts grâce à des dons, des emplois à domicile, etc.

« Le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, il faut s’y préparer dès à présent et surtout à partir de septembre-octobre »

Et pour l’employeur, quels seront les changements les plus importants ?

C. A. : C’est clairement une responsabilisation plus grande dans la détermination de la rémunération nette imposable. L’entreprise va être un peu coincée entre l’administration fiscale, qui veillera à éviter les sous-prélèvements sur la base de déclarations insuffisantes, et son salarié, qui pourra le cas échéant lui reprocher de surestimer son net imposable. Jusqu’à un passé récent, on avait chaque mois un net fiscal sur la fiche de paie, qui pouvait être corrigé d’un mois sur l’autre en cas de besoin. Demain, tous les process d’informatisation des données et notamment la DSN rendent cette possibilité beaucoup plus compliquée. Il ne faut plus se tromper. Les amendes de l’administration fiscale en cas d’erreur seront plus importantes. C’est particulièrement sensible sur les cas complexes, par exemple ceux liés à la mobilité internationale. Mais une fois que l’employeur aura stabilisé le net fiscal, ce sera mécanique, avec l’application du taux transmis par l’administration fiscale. Sur la modification éventuelle de ce dernier, ce seront ensuite l’administration fiscale et le contribuable qui parleront ensemble.

Comment circuleront les flux financiers entre entreprises et administration ?

C. A. : L’administration fiscale se veut rassurante, en indiquant que ces échanges seront réalisés en flux DSN (déclaration sociale nominative), comme les charges sociales. Il n’y aura qu’une ligne supplémentaire correspondant au prélèvement à la source. La France, toutefois, reste la France : il aurait été sans doute souhaitable de profiter de cette réforme pour simplifier au préalable l’ensemble du système et notamment notre fameux quotient familial, qui est unique au monde et va continuer de s’appliquer en complexifiant le dispositif. La réforme ne change donc rien au calcul de l’impôt sur le revenu, qui reste fondé sur la notion de foyer fiscal, alors que dans tous les pays du monde, tout est généralement individualisé.

Compte tenu de ces enjeux, quelle pédagogie le chef d’entreprise doit-il développer auprès de ses collaborateurs ?

C. A. : Tous les acteurs de la réforme doivent être formés, ils doivent monter en compétences sur les aspects techniques du prélèvement à la source afin de pouvoir répondre aux premières questions des salariés. L’un des grands enjeux, c’est effectivement la communication, sans attendre le 1er janvier 2019.

À propos de pédagogie, on entend parfois parler d’« année blanche » en 2018. De quoi s’agit-il ?

C. A. : Cette expression est un peu malheureuse, car elle pourrait laisser à penser que personne ne paiera d’impôt cette année, ce qui est faux. Il est préférable de parler d’année de transition, comme vient de le préciser l’administration fiscale. Conceptuellement, la France renonce à une année de revenus en 2018, puisqu’elle ne peut pas, en 2019, taxer à la fois les revenus de 2018 comme d’habitude, et ceux de 2019 avec le prélèvement à la source. En trésorerie, en revanche, cela ne change rien pour le contribuable, qui continue en 2018 de payer l’impôt sur ses revenus de l’année précédente. Au 1er janvier, nous paierons de l’impôt sur 2019. On aura donc « sauté » 2018 ! C’est à la fin de la vie de chaque contribuable qu’il y a effectivement une année d’impôt en moins. Donc conceptuellement, à la fin de l’humanité, la France aura effectivement perdu une année de ressource fiscale !

Quelles sont les prochaines étapes d’ici au 1er janvier ?

C. A. : En septembre, le taux qui figure sur l’avis d’imposition des contribuables sera automatiquement transmis à l’employeur par l’administration fiscale, sauf si le contribuable a souhaité qu’il soit modifié. Cette information permettra à l’employeur de réaliser des simulations sur les bulletins de paie de fin d’année. Beaucoup d’éditeurs de paie s’y préparent également et vont proposer cette option, qui est effectivement intéressante pour sensibiliser les salariés de manière concrète aux effets du prélèvement à la source.

Est-il possible d’anticiper l’ampleur de la variation qui sera appliquée sur les salaires avec le prélèvement à la source ?

C. A. : Oui, en simulant le net à payer de janvier 2019 grâce au taux communiqué dès ce mois de mai 2018 par l’administration fiscale. On sait déjà que 90 % des contribuables auront un taux de prélèvement à la source compris entre 0 et 11 %. 55 % d’entre eux (plus d’un sur deux) qui ne sont pas assujettis à l’impôt sur le revenu, auront un taux de prélèvement à la source de 0. Et pour 80 % des contribuables, il sera inférieur à 5 %. Tout le monde est concerné, mais tout le monde ne sera pas impacté de la même manière. Enfin, je rappelle que selon un sondage Odoxa de 2016, 65 % des Français sont favorables au prélèvement à la source.

Cette réforme peut-elle avoir un impact sur le dialogue social dans l’entreprise ?

C. A. : C’est probable. Les difficultés de paye sont toujours très mal ressenties par les salariés, on l’a bien vu au début de l’année. S’il y a déjà des tensions avec la paye, et si en plus le nouveau système ne fonctionne pas correctement, cela va accentuer les difficultés. Toutefois, sur un plan légal, il n’est pas obligatoire d’associer les représentants du personnel au processus, même s’il est fortement conseillé de les informer de la réforme et de les faire participer à la divulgation des différents messages.

Vous êtes également chez EY spécialiste de la mobilité internationale. La France peut-elle utilement s’inspirer de certaines pratiques chez nos voisins européens en matière de fiscalité ?

C. A. : Je l’ai déjà évoqué rapidement : les autres pays ont souvent des barèmes plus simples à appliquer. En France, nous avons le quotient familial avec un mécanisme complexe de plafonnement, de nombreux crédits d’impôts, les fameuses niches fiscales, etc. Dans ce contexte français, il est difficile d’expliquer le taux, et encore plus, à partir de ce seul élément, d’en déduire les revenus imposables. Seul avantage, peut-être : c’est la garantie d’une certaine confidentialité !

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