Le fret aérien a des cartes à jouer en Bretagne
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Le fret aérien a des cartes à jouer en Bretagne

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Le fret aérien est en plein développement en Bretagne. Il intéresse les deux grands aéroports, Brest et Rennes, à la recherche de chiffre d’affaires comme les plus petites plateformes, en quête de légitimité économique face à un rapport de la Cour des comptes qui remet en question leur pertinence.

2 000 cochons sont partis de Brest en avion pour la Chine. — Photo : © Isabelle Jaffré

À l’heure où le paysage aéroportuaire breton est épinglé par la Cour des comptes pour son trop grand nombre de petites plateformes (lire par ailleurs), le fret apparaît comme une solution pour apporter du trafic et un peu de chiffre d’affaires complémentaires grâce au fret postal, aux petits colis et à des opérations spécifiques.

Aujourd’hui, l’aéroport de Rennes est le seul à assurer cette activité fret de façon régulière. Elle est historiquement présente depuis 1993 sur le tarmac rennais, avec le transport postal d’abord puis le fret dit « express » (transport de colis). Une activité qui représente aujourd’hui 20 % du chiffre d’affaires de l’aéroport de Rennes. Soit « une partie non négligeable du fonds de commerce », commente Gilles Tellier, le président de la Société d’exploitation des aéroports de Rennes et Dinard (151 salariés, 21 M€ de CA en 2018).

Des opérateurs clés dans le traitement des marchandises

Grâce à sa situation géographique, qui permet d’aller vers la Bretagne occidentale, la Normandie ou les Pays de Loire, le deuxième aéroport breton se positionne comme une plateforme centrale dans le Grand Ouest en matière de fret, avec 7 725 tonnes de marchandises transportées en 2019. Cela en fait la neuvième plateforme régionale de fret français. L’aéroport accueille des opérateurs majeurs comme UPS, FedEX et Chronopost. « UPS a une activité bien établie depuis 11 ans avec un avion à forte capacité de tonnage qui décolle de Rennes toutes les nuits pour aller vers Roissy, puis Cologne, en Allemagne, souligne Gilles Tellier. FedEX fait la même chose avec des avions plus petits, qui viennent d’Espagne. » Pour expédier et recevoir les colis, l’infrastructure de Rennes dispose d’une zone de traitement sécurisée et équipée pour traiter plusieurs vols palettisés ou containérisés en même temps. « Il y a un savoir-faire, notamment dans le dédouanement, qui est acquis et qui permet une complémentarité des équipes. » Les entreprises régionales, par conséquent, se saisissent de ce service. C’est le cas notamment pour l’automobile, avec PSA, située à proximité immédiate de la plateforme, des acteurs de l’électronique et du numérique (Safran, Thales, Delta Dore…) ou encore de ceux des télécoms comme Orange. « Pour aller d’un point A à un point B, l’aérien redevient pertinent, car il permet des économies en termes de stockage et des gains de rapidité », assure le patron de l’aéroport rennais.

L'aéroport de Rennes — Photo : CC BY SA 3.0 Strot - source Wikimedia

Dans le schéma de développement que va connaître l’aéroport de Rennes (un chantier de 9,6 millions d’euros), Gilles Tellier parie sur « une tendance haussière (du fret) dans les années à venir ». « C’est une activité qui fonctionne bien car elle est liée à l’immédiateté que requiert ce type de service. Compte tenu des tendances en matière de consommation, ce sont des choses qui iront en grandissant. Je le vois avec les groupes de textile qui renouvellent leurs collections toutes les six semaines et qui préfèrent l’avion au transport maritime. On voit de plus en plus ce type de marchandises passer dans nos avions. »

À Brest, le choix des opérations spécifiques

Un Antonov 124 s'était posé en mai 2019 à Brest pour le compte de Kohler-SDMO — Photo : © Isabelle Jaffré

Mais ce type d’activité n’est pas à la portée de tous les équipements bretons. Le fret postal a disparu il y a deux ans de l’aéroport de Brest, du fait de la baisse de volume du courrier. L’activité colis perdure mais avec du « fret camionné ». « C’est considéré comme du courrier ou colis « avion », en direction le plus souvent de l’aéroport de Roissy, mais qui part en camion. Tous les aéroports font cela et le comptent dans leurs chiffres fret », explique Meradiec Le Mouillour, directeur général d’ABO (Aéroports Bretagne Ouest, 154 salariés, 22 M€ de CA en 2018), la société qui gère notamment les équipements de Brest et Quimper. À Brest, ce sont 4 500 tonnes de petits colis qui ont donc été acheminés en 2019. L’aéroport essaie aussi de convaincre Air France de rouvrir ses soutes aux colis. « Encore faut-il avoir les avions qui le permettent », note le DG.

Mais ce n’est pas sur ces deux activités que Brest compte développer le fret. « Notre stratégie porte sur les opérations exceptionnelles », indique Meriadec Le Mouillour. Un choix fait pour se démarquer et profiter de l’atout principal de l’aéroport : la piste de 3 100 mètres de long, capable d’accueillir tous les avions, même les plus gros. C’est d’ailleurs un imposant Antonov 124, l’un des avions-cargos les plus gros du monde qui s’est posé sur la piste le 29 mai 2019. Affrété par le groupe de transport Heppner, il a acheminé des groupes électrogènes de l’entreprise brestoise Kohler-SDMO vers un pays de l’Afrique de l’Ouest. Quatre vols ont acheminé les 10 groupes pour un discret client. « Nous avions une contrainte de temps qui fait que nous avons dû délaisser le transport par bateau », explique Dominique Le Gall, le commercial de Kohler en charge de l’affaire.

Animaux vivants et produits frais

D’autres vols exceptionnels ont eu lieu les 10 et 11 mars 2020. Cette fois, pas de groupe électrogène, mais 2 000 cochons reproducteurs destinés à la Chine. Axiom (60 salariés, 30 M€ de CA), entreprise de génétique porcine basée dans l’Indre, dont les structures de quarantaine sont basées dans le Morbihan, a choisi l’aéroport de Brest alors qu’elle utilisait auparavant celui de Vatry (Marne). Organisée par Celtic Freight Consulting, basée à Ploemeur, l’opération était une première mais est amenée à se répéter. L’aéroport a aussi reçu il y a quelques années un sous-marin qui venait faire des essais. « Brest a un vrai potentiel », explique Laurent Poussart, dirigeant de Celtic Freight mais aussi consultant de l’aéroport sur cette question du fret. « Il y a une histoire ici. Alexis Gourvennec qui a lancé Brittany Ferries pour vendre les légumes en Angleterre, voulait faire la même chose avec l’avion ! »

2 000 cochons sont partis de Brest en avion pour la Chine. — Photo : © Isabelle Jaffré

Sur le fret, Brest monte en puissance : aucun vol n’avait eu lieu en 2017, quatre ont eu lieu en 2018 à Brest, huit en 2019. « En 2020, nous devrions atteindre 10 à 15 vols », estime Laurent Poussart, qui voit l’activité de fret exceptionnel devenir régulière avec un à deux vols par mois. « Brest a la bonne taille, des infrastructures pour les contrôles sanitaires, un loader (chargeur spécifique), les compétences, une position géographique intéressante, etc. », liste le consultant. Sans oublier un tissu économique fort dans l’agroalimentaire, qui permettrait aussi de développer du transport de produits frais, par exemple.

Quelle place pour les petits aéroports ?

Une activité qui a existé à Saint-Brieuc. Pendant quelques années, chaque samedi, l’aéroport de Saint-Brieuc s’était aussi intéressé aux produits frais. « Un avion faisait transiter deux à trois tonnes de produits de type viennoiseries vers les îles Jersey et Guernesey, mais cela est aujourd’hui stoppé », raconte Éric Le Guyot, responsable d’exploitation de l’aéroport de Saint-Brieuc Armor. « Sur la partie fret, l’aéroport de Saint-Brieuc concentre uniquement des activités de transfert d’animaux vivants, essentiellement des poussins d’un jour pour la filière de l’accouvage de volaille, poursuit-il. La proximité du tarmac briochin avec les couvoirs costarmoricains est appréciée par les opérateurs. Une vingtaine d’ATR 72 décolle chaque année vers le Maghreb ou des pays difficilement accessibles par la route, comme la Scandinavie. » Le site a la capacité de monter en puissance, mais le tissu industriel des Côtes-d’Armor n’est pas en adéquation avec cette spécificité.

Celtic Freight Consulting a organisé des vols de cochons de Brest vers la Chine pour l'entreprise de génétique porcine Axiom — Photo : © Isabelle Jaffré

À l’aéroport de Lorient Bretagne Sud, le fret est également un sujet qui intéresse. « Nous pourrions imaginer créer des flux sur d’autres aéroports plus petits », avance Pierre Montel, président de la CCI du Morbihan, gestionnaire de l’équipement. En effet, pour l’aéroport de Lorient, le contexte n’est pas simple. Avec 102 000 passagers sur les liaisons vers Paris et Lyon, il se classe à un niveau proche de celui de Dinard mais derrière les poids lourds que sont Rennes et Brest. Il fait partie des aéroports dans le viseur de la Cour des comptes, comme ceux de Saint-Brieuc, Lannion, Quimper, etc. Mais un autre enjeu se profile également. Le 31 décembre 2021 prendra fin la concession de 50 ans accordée par l’État à la CCI du Morbihan pour cet équipement. La suite ? Pierre Montel réaffirme son attachement et sa conviction que « cette plateforme a un avenir en Bretagne. » Des projets retiennent particulièrement l’attention du concessionnaire. Il s’agit du transport de poisson vivant haut de gamme. Au sein du port de pêche de Lorient et à Quiberon, des professionnels planchent sur ces nouvelles opportunités de marché. Le contexte du coronavirus et de l’arrêt de certaines productions en Chine donne également des idées à Pierre Montel. « Le fret aérien peut permettre d’apporter des réponses à des besoins ponctuels d’approvisionnement d’industriels. Il peut aussi être un maillon important d’une chaîne de relocalisation de productions. À nous de faire connaître notre outil aux industriels locaux. »

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