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« Le BTP retrouvera son niveau d’avant crise, mais il doit s’adapter et être plus réactif »
Interview Moselle # BTP

Philippe Semin président du groupe Semin « Le BTP retrouvera son niveau d’avant crise, mais il doit s’adapter et être plus réactif »

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Philippe Semin est le président du groupe familial éponyme (CA : 127 millions d’euros ; effectif : 600), dont le siège se situe à Kédange-sur-Canner, en Moselle. Fabricant d’enduits pour les marchés du BTP, le dirigeant a fait le choix de la diversification et du développement de l’export. Un choix qui s’avère payant avec une croissance annuelle moyenne de 10 %.

Philippe Semin a reçu le prix de l’entrepreneur de l’année pour la région Est en 2017 — Photo : SEMIN

Le Journal des Entreprises : Votre groupe Semin, dont le siège est en Moselle, est spécialisé dans la fabrication d’enduits pour le secteur du BTP. Une reprise semble se dessiner après la crise subie durant plusieurs années, pensez-vous que ce secteur pourra rattraper les pertes accumulées ?

Philippe Semin : « Je suis d’un naturel optimiste, donc oui, je crois que le secteur du BTP retrouvera ses niveaux d’avant-crise. Nous sommes certes descendus très bas en termes d’activités et de chiffres d’affaires, mais nous sentons une reprise depuis deux-trois mois au sein de notre groupe. Nous observons que nos clients ont plus de travail, ce qui a un impact également sur nos ventes. Lorsque nous intervenons sur les bâtiments c’est lorsque le gros œuvre est achevé, le projet a alors débuté depuis six mois voire un an, donc la reprise a débuté il y a quelques mois. »

Comment expliquez-vous que la crise dans le BTP ait été si dure ?

P.S. : « Plusieurs éléments peuvent expliquer cette crise. Tout d’abord, la volonté d’encadrer les loyers sur Paris, c’était la seule chose à ne pas faire. Cela a été un véritable frein pour le BTP et cela n’a pas aidé à relancer le bâtiment. Autre cause de la crise, la construction des logements neufs, qui était annoncée avec un objectif de 500.000 logements par le précédent gouvernement, mais au final, seuls 300.000 logements ont été construits. »

Qu’est-ce qui relance actuellement le BTP selon vous ?

P.S. : « Sur la fin du dernier quinquennat, des choses ont été mises en place et ont permis de faire bouger les choses. Le Prêt à taux zéro (PTZ) notamment a relancé la construction, les taux bas de manière générale et leur accès plus facile auprès des banques. Je crois que le secteur du BTP, pour ne pas retomber dans une crise comme celle que nous avons vécue, doit évoluer et ne plus fonctionner comme auparavant. Les entreprises du bâtiment doivent être plus réactives. Si une entreprise prend du retard, c’est tout le projet qui est retardé, et toutes les autres sociétés engagées qui sont impactées. Au sein de notre groupe, nous commençons actuellement à nous remettre en question en ce qui concerne notre logistique. Le délai pour livrer doit être de plus en plus court, nous devons aller vers un fonctionnement du type Amazon. Les entreprises du bâtiment doivent réagir plus rapidement. Même dans notre travail de R&D, nos produits sont conçus pour qu’ils soient mis en application plus facilement et plus rapidement, et qu’ils sèchent plus vite pour que l’on puisse aller au plus tôt sur le chantier. »

Vous réalisez une croissance moyenne annuelle de l’ordre de 10 %, comment êtes-vous passés à travers la crise ?

P.S. : « Nous réalisons 40 % de notre chiffre d’affaires à l’export (30 % si l’on parle seulement de la société Semin qui possède trois sites de production en France), nous sommes présents dans 53 pays, je pense que c’est cela qui nous a permis d’être épargnés. Notre croissance à l’international dans les pays proches (Allemagne, Espagne et Portugal) est actuellement de 15 à 20 %, contre 5 à 10 % sur le marché français. Nous possédons au total neuf sites avec nos différentes filiales à l’étranger, en Russie, en République Tchèque, ou encore en Pologne, dont cinq qui fabriquent des colles et des enduits. Nous avons commencé à développer l’export il y a environ vingt ans, puis nous avons poursuivi cette croissance en rachetant des entreprises fabricantes, ce qui nous a également permis de diversifier nos produits. Nous avons fait construire une usine en Russie en 2012, au sud de Moscou, qui fabrique des colles et des enduits. Elle réalise deux à trois millions d’euros de chiffre d’affaires, mais devrait monter en puissance et a la capacité d’atteindre 10 à 15 millions d’euros de chiffre d’affaires. Cela a représenté un investissement d’environ trois millions d’euros. Trois ans ont été nécessaires pour la faire sortir de terre, entre le choix du terrain et les démarches administratives. Pour créer nos filiales à l’étranger nous réalisons également des croissances externes, l’usine est déjà opérationnelle, et apporte souvent son chiffre d’affaires, son marché et ses clients. Cela se fait par opportunités. »

Vous avez notamment racheté votre fournisseur de trappes de visite ?

P.S. : « Il s’agit des trappes pour accéder aux combles ou qui se situent sous les baignoires. Nous avons mis l’accent sur la présentation de ce produit, nous les avons disposés dans des sortes de boîtes à pizza. Cela a attiré les clients et nous avons ouvert un marché. Nous avons racheté l’entreprise RUG en 2012, basée à Francfort qui était notre fournisseur et qui avait des difficultés, nous avons repris uniquement son activité trappes de visite. Devenue Rug-Semin, l’usine est présente en République Tchèque, et fabrique les trappes de visite pour toute l’Europe, emploie 80 personnes et réalise pas loin de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires. C’est une niche, aujourd’hui nous sommes leader européen sur ce produit, qui réalise une vingtaine de pourcents de croissance par an au sein du groupe. »

Vous avez également démarré la fabrication d’ossatures métalliques, un métier qui n’était pas le vôtre...

P.S. : « Tout comme les trappes de visite, nous les commercialisions en négoce, en les faisant venir d’Espagne. Un jour, un nouvel acheteur de notre client Leroy Merlin m’annonce qu’il envisage d’arrêter de se fournir en ossatures métalliques par notre biais, car nous les fabriquions pas, et estimait donc que nous ne possédions pas de légitimité, contrairement aux enduits. J’ai donc décidé à mon retour au siège du groupe, que nous allions produire des ossatures métalliques, ce qui n’était pas du tout notre métier, mais il fallait agir. Nous avons installé l’usine Semin Profils au nord de Paris, à Amblainville, où nous possédions déjà un site de production. Nous fabriquons actuellement 30.000 tonnes d’ossatures métalliques par an. »

Vous avez repris l’entreprise familiale en 1982. Comment s’est passé son développement jusqu’à aujourd’hui ?

P.S. : « L’entreprise Semin a été créée en 1838, et fabriquait alors du plâtre. Dans les années 1980, mon père et mon oncle souhaitaient arrêter la fabrication de plâtre pour se concentrer sur les colles et les enduits pour les joints de plaques de plâtre, qu’ils vendaient dans la région, sur cinq-six départements, aux négociants matériaux. C’est à ce moment-là que j’ai repris l’entreprise, nous étions alors en mono-produit. Le chiffre d’affaires était de l’ordre d’un million d’euros, pour une dizaine de salariés, avec un seul commercial. Aujourd’hui notre spécialité reste les enduits pour les joints de plaques de plâtre. Nous sommes un des leaders européens sur ce produit-là. Cela représente à peu près 50 % de notre production, soit environ 4.000 tonnes fabriquées par mois, et nous possédons une vingtaine de joints de plaque de plâtre en référence. »

Vous possédez votre propre centre de recherche et développement ?

P.S. : « Ils sont une équipe d’une dizaine de personnes dédiées à la R&D, mais en ajoutant certains salariés du contrôle qualité qui réalisent également des travaux de R&D, ils sont environ 25 au total à développer nos produits. Chaque année nous sortons une vingtaine de nouveaux produits. Cela représente un budget en recherche et développement de 2,5 millions d’euros par an. Les enduits et colles représentent 50 % de notre chiffre d’affaires, les ossatures métalliques 30 % et les accessoires comme les bandes à joint ou les trappes de visite par exemple, atteignent 20 %. »

Vous avez pour objectif d’atteindre un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros à horizon 2021, comment allez-vous y parvenir ?

P.S. : « En développant encore l’export, qui devrait représenter à terme plus de 50 % du chiffre d’affaires. Nous restons à l’écoute d’opportunités de croissances externes, ou de développements sur de nouveaux marchés. C’est cette stratégie qui nous permet d’avoir une croissance de l’ordre de 10 % par an. Nous allons réaliser en 2017 un chiffre d’affaires de 140 millions d’euros, contre 127 millions d’euros pour l’exercice 2016. Nous possédons un effectif de 600 personnes, dont 300 en France. Nous allons également continuer à innover. A mon arrivée au sein de l’entreprise, nous nous adressions soit aux grosses sociétés, soit aux négociants en matériaux, et l’on ne s’est adressé pendant une dizaine d’années qu’au marché professionnel. Il y a une quinzaine d’années, j’ai eu l’idée de vendre nos produits aux particuliers, à travers les Grandes surfaces de bricolage, et nous avons tapé aux portes de Leroy Merlin, Brico Dépôt, Castorama, etc. Nous avons démarré dans quelques magasins, et puis ce que j’avais considéré comme un plus pour notre activité, a pris énormément d’importance, puisque maintenant cela représente 45 % de notre chiffre d’affaires sur le marché français. Nous y vendons les enduits pour plaques de plâtre, mais également les enduits pour peintres, de rebouchage, de lissage, et tout ce qui est accessoires pour plaques de plâtre. Les négociants en matériaux représentent 40 % de nos clients, et nous vendons aussi nos produits en direct à certaines entreprises, industriels fabricants de peinture, sur un volume de 5 %. Nous commençons également à développer les Grandes surfaces de bricolage à l’international, en Allemagne et en Belgique notamment. »

Vous êtes la cinquième génération à la tête du groupe familial, pensez-vous déjà à la transmission ?

P.S. : « Ma fille Caroline a étudié dans la même école de commerce que moi, l’ISTEC à Paris, et a intégré l’entreprise l’année dernière. Elle a réalisé un an de prospection en tant que commerciale à Paris, et vient de prendre son poste à Kédange-sur-Canner. Elle va commencer à faire le tour des services, et j’aimerais lever un peu le pied dans cinq ans. »

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