La mobilité des salariés, un nouvel enjeu dans les territoires ruraux
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La mobilité des salariés, un nouvel enjeu dans les territoires ruraux

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Dans les territoires ruraux où la voiture est le moyen de déplacement quasi exclusif, la mobilité des salariés devient un enjeu central. Ce sujet se trouve à la croisée des préoccupations écologiques, de la crise énergétique et, par répercussion, un élément majeur pour le recrutement. Dans les Pays de la Loire, entreprises et collectivités multiplient les initiatives pour accompagner au changement de pratiques.

L’application Karos est l’une des quatre retenues, et subventionnée, par le Conseil régional des Pays-de-la-Loire dans son dispositif d’incitation au covoiturage — Photo : Alexis Sciard / IP3

Dans les territoires ruraux des Pays de la Loire, les salariés utilisent en grande majorité leur voiture pour aller travailler. Sur la zone d’activité Actival à Beaufort-en-Anjou, une commune de 7 000 habitants, 93 % des salariés se rendent ainsi au travail en utilisant, seuls, leur voiture (d’après un sondage Mobil’Ethic). Cette réalité se révèle aujourd’hui un souci pour les employeurs. Ils rencontrent des difficultés de recrutement, liées à la distance, et amplifiées par la hausse du coût des carburants.

La hausse des coûts de carburant complexifie le recrutement

La mobilité est un sujet "qui nous pose problème", confie Marie Lallemand, responsable de compte au sein de l’agence Randstad Inhouse. À Brûlon, une commune de l’ouest de la Sarthe de 1 500 habitants, l’agence d’intérim gère 150 intérimaires pour le fabricant de menuiseries FPEE (700 salariés). "Lorsqu’on téléphone à des personnes disponibles pour venir assister à une session de recrutement, il y en a toujours plusieurs qui ne peuvent pas se déplacer parce qu’elles n’ont pas de moyen de transport. Certaines n’ont pas le permis, d’autres pas de voiture, et il n’existe pas de transports en commun. Et, depuis la hausse du coût des carburants, s’ils habitent à plus de 20 kilomètres, les candidats refusent la mission". Le vrai enjeu aujourd’hui, "c’est le pouvoir d’achat avec la flambée du prix de l’essence. Pour certains collaborateurs, les trajets coûtent trop cher, ils ne veulent plus venir et ils cherchent un travail plus près de chez eux", confirme Joachim Renaudin, chargé des relations avec les entreprises pour la plateforme de covoiturage Karos. Particulièrement sensibles à ce phénomène, les usines à la campagne, comme l’expose Antoine Valprémit, vice-président de Mayenne Communauté : "Sur notre territoire, un emploi privé sur deux est dans l’industrie, souvent avec des horaires décalés et des revenus peu élevés. 85 % des gens se déplacent en voiture". Dans le monde rural, la flambée des prix à la pompe génère un souci supplémentaire en compliquant encore un peu plus les recrutements. "Hier, les entreprises ne s’inquiétaient pas de la mobilité. C’était en dehors du travail. Aujourd’hui, les entreprises qui veulent recruter sont obligées de s’intéresser à cette problématique", résume Anne-Sophie Saget, chargée du développement local à la communauté de communes de Loué-Brûlon-Noyen.

Le vélo encouragé

Alors, entreprises et collectivités se retroussent les manches, pour proposer aux salariés des solutions de transport alternatives. Certaines encouragent le vélo. C’est le cas de l’entreprise mayennaise de services numériques Luminess (2 000 salariés) : "30 personnes viennent travailler à vélo sur notre site de Rennes, 20 à Mayenne, 15 à Lens et 10 à Paris. On a créé un groupe de vélo tafeurs, qui a passé un accord avec l’entreprise. Les vélo tafeurs touchent une indemnité kilométrique, de 50 € à 100 € selon les kilomètres parcourus. Ce groupe grossit de jour en jour", explique Judith Mehl, directrice de l’engagement de Luminess.

Judith Mehl, directrice de la communication et de l’engagement chez Luminess — Photo : Luminess

Avec la loi d’orientation Mobilités (LOM), les communautés de communes ont pu se doter de la compétence "mobilité", ce qui donne naissance à de nouvelles initiatives. "Depuis cet été, on développe la location longue durée de vélos à assistance électrique pour les particuliers, avec dix vélos", expose ainsi Anne-Sophie Saget. Depuis le 15 septembre, la communauté de communes sarthoise s’est également engagée dans Mobil’Ethic. Créé par la société francilienne Incub’Ethic (40 salariés, 5 M€ de CA en 2021), ce programme d’accompagnement au changement de pratiques s’adresse aux entreprises de la zone d’activité de Brûlon, soit environ 1 600 salariés. Trois leviers sont utilisés : un animateur est présent sur la zone ; une application est mise à disposition pour les trajets domicile-travail, en particulier pour le covoiturage. Enfin, vélos ou voitures électriques sont proposés aux salariés à un tarif subventionné. Dans le Maine-et-Loire, les collectivités de Baugé et de Beaufort-en-Vallée viennent aussi de démarrer le dispositif Mobil’Ethic.

Les responsables de Randstad Inhouse et FPEE à Brûlon lors du lancement du programme Mobil’Ethic en septembre — Photo : Randstad

Le déploiement du covoiturage

Mayenne Communauté mise également sur cette solution qui a déjà fait ses preuves : le covoiturage. La communauté de communes a démarré un programme pour favoriser ce dispositif, en partenariat avec Klaxit, une plateforme spécialisée dans le covoiturage domicile / travail. "La Région Pays de la Loire finance le conducteur de 2 à 5 € par trajet, et nous prenons en charge les 50 centimes du passager", décrit Antoine Valprémit. "Nous payons la plateforme Klaxit et les animations dans les entreprises. On débourse 40 000 €. C’est peu comparé à des investissements que nous réalisons pour des infrastructures". Pour faire connaître le dispositif, des animations de sensibilisation se sont déroulées dans trois grosses entreprises du territoire : Luminess, GSK et Seb.

Antoine Valprémit (à gauche), lors de l’animation de sensibilisation chez Luminess (avec le président de l’agglomération Jean-Pierre Le Scornet, au centre) — Photo : Mayenne communauté

Certaines entreprises n’attendent pas les initiatives des pouvoirs publics pour tenter de régler la question de la mobilité de leurs équipes. À Mayenne, le fabricant de camping-cars Rapido s’est engagé avec Klaxit avant l’été, en prenant à sa charge les 50 centimes des passagers. Le gestionnaire de centres de marques Advantail s’est lui engagé, en mai, avec un autre spécialiste du covoiturage, Blablacar Daily. Une centaine de salariés utilisent cette solution pour rejoindre quotidiennement l’un des sept centres du groupe, dont celui de La Séguinière Outlet (Maine-et-Loire).

"Faire 30 kilomètres le matin pour venir à l’usine et 30 le soir pour rentrer chez soi, quand le litre d’essence coûte 2 euros, cela devient compliqué pour de nombreux salariés"

Implantée à Segré en Anjou Bleu, une commune nouvelle regroupant 17 000 habitants, l’entreprise de maroquinerie Longchamp a, elle, opté pour la plateforme de covoiturage Karos. "Faire 30 kilomètres le matin pour venir à l’usine et 30 le soir pour rentrer chez soi, quand le litre d’essence coûte 2 euros, cela devient compliqué pour de nombreux salariés", explique Joachim Renaudin, de Karos. Finalement, chez Longchamp, 202 utilisateurs sont inscrits sur l’application, ce qui représente 27 % de l’effectif du fabricant de l’industriel. Dans la région, Karos travaille aussi avec les Brioches Pasquier aux Cerqueux, le volailler LDC à Sablé-sur-Sarthe, le Puy du Fou et Sodebo en Vendée. "Le covoiturage est aussi un argument supplémentaire à mettre en avant par ces entreprises pour recruter plus facilement", constate Joachim Renaudin.

Pour la planète, comme pour le portefeuille, certaines sociétés agissent aussi sans schéma cadré, mais poussent à une prise de conscience collective. C’est le cas du groupe mayennais de BTP Lucas (100 M€ de CA, 900 salariés). "On n’oblige plus les gens à venir à l’entreprise avant de se rendre sur un chantier", expose son dirigeant Bruno Lucas, par ailleurs président du Medef Mayenne. "L’idée est qu’une seule personne prenne le véhicule, puis passe chercher les autres sur le trajet. L’entreprise incite ses collaborateurs à partager leur véhicule. On a de plus en plus de véhicules non utilisés sur le parc : cela veut dire qu’on parvient à regrouper des collaborateurs, qu’on est plus rigoureux. Pour faire évoluer les pratiques, le regard des autres compte. Le contexte général rend plus facile l’acceptabilité des efforts", estime-t-il. Le dirigeant mayennais rappelle aussi que les chefs d’entreprise disposent de nouveaux outils pour aider financièrement leurs collaborateurs, comme la Prime de partage de la valeur (qui a succédé à la prime Macron, NDLR). "Elle est facile d’utilisation et l’employeur peut verser jusqu’à 6 000 euros par an pour le salarié", en étant exonérée des cotisations salariales et des contributions sociales.

Démarrages réussis

Si les initiatives se multiplient, la révolution est longue à se mettre en marche. "On commence à monter marche par marche, mais on ne voit pas encore une vraie volonté d’accélérer", constate Verena Luccisano, animatrice Mobil’Ethic. Pourtant, l’intention est bien là. Mobil’Ethic a ainsi réalisé une étude à Château-Gontier, en Mayenne. Sur près de 500 sondés, 100 % des répondants se disent intéressés par un mode de transport alternatif. Mais l’intention n’est pas l’action. "Le nerf de la guerre, c’est l’accompagnement au changement de pratiques. Il ne suffit pas de mettre des vélos électriques ou un parc de voitures à disposition". D’où l’intérêt des actions de sensibilisations financées par les collectivités et des coups de pouces financiers.

"Le nerf de la guerre, c’est l’accompagnement au changement de pratiques. Il ne suffit pas de mettre des vélos électriques ou un parc de voitures à disposition", constate Verena Luccisano, animatrice Mobil’Ethic — Photo : Rémi Hagel

Les premiers retours des expérimentations sont toutefois positifs. À Brûlon, les vélos ont d’abord intéressé les jeunes, pour leurs jobs d’été. Le coût est un argument. Les gens n’ont pas toujours les moyens d’acheter un deux-roues motorisé. La location leur permet d’y accéder. Et encore, "certains n’avaient même pas de quoi payer à l’avance la location de trois mois, de 105 €", décrit Anne-Sophie Saget, de la communauté de communes. À Mayenne, "en moins d’un mois, on a déjà 968 inscrits et plus de mille trajets de covoiturage", apprécie Antoine Valprémit. Dans ce projet, "notre objectif large de la transition environnementale s’est trouvé percuté par la crise énergétique".

Dans un an, ces premières expérimentations s’arrêteront. Et après ? "Nous n’avons pas vocation à financer les trajets des habitants dans la durée", commente Antoine Valprémit. "L’objectif est que le covoiturage devienne un réflexe. Même en payant les 50 centimes, cela restera moins cher pour les voyageurs que s’ils prenaient leur voiture seul".

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