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La crise fait vaciller les fondations du bâtiment
Enquête Normandie # BTP # Conjoncture

La crise fait vaciller les fondations du bâtiment

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Le secteur de la construction enregistre une forte baisse d’activité depuis plusieurs mois, et la Normandie n’est pas épargnée. Si les professionnels normands s’inquiètent des conséquences de ce ralentissement, ils proposent aussi des solutions pour faire repartir l’activité et endiguer le spectre d’une crise majeure.

Face à la baisse du pouvoir et à la hausse des taux d’intérêt, Paul Lhotellier, président du groupe de construction Lhotellier, veut faire le pari de l’intelligence collective — Photo : Lhotellier

Face à la forte baisse de leur activité, les acteurs de la construction cherchent du soutien et des solutions. Suites de la crise du Covid, inflation, taux d’intérêt trop élevés… Les difficultés se sont accumulées pour les aspirants propriétaires qui ont vu leur pouvoir d’achat reculer, les obligeant à renoncer ou différer leurs projets d’achats immobiliers. Avec un impact direct sur les mises en chantier alerte Olivier Rousseille, président de la Fédération Française du Bâtiment (FFB) Rouen Métropole et Territoires. "La construction neuve de logements est en baisse continue depuis douze mois. On arrive à -15,8 % de constructions neuves commencées, notamment sur les maisons individuelles, et -21,3 % pour les logements autorisés, pour la Normandie." Une baisse d’activité qui se retrouve également en région dans la construction neuve de locaux (agricoles, publics, tertiaires…) avec -11,5 % de locaux autorisés sur douze mois (à fin août 2023, source SDES). Autre source d’inquiétude pour les acteurs du bâtiment, la chute drastique de réservation de logements qui se porte à hauteur de -44,9 % pour l’habitat individuel et -32,4 % pour le collectif. Seules les ventes en bloc arrivent à tirer leur épingle du jeu à +35 % : "Mais c’est un autre signe, car les ventes en bloc se produisent lorsqu’un promoteur ne trouve pas à vendre ses logements et qu’il décide de les vendre en bloc à des bailleurs sociaux", souligne Olivier Rousseille qui précise aussi que le secteur de l’entretien / rénovation se maintient à +3,7 % "C’est ce qui tire l’activité du bâtiment, notamment en Normandie où nos entreprises sont orientées à 70 % vers l’entretien et la rénovation et les 30 % restants sur le neuf. Les TPE et petites entreprises qui sont sur la rénovation se portent bien. Ce sont les PME, ETI et les majors qui sont le plus affectées par la crise. Car, la construction immobilière, c’est du temps long. Il faut trouver le terrain, voir ce que l’on peut construire, déposer des permis. Au total tout cela peut prendre de 24 à 36 mois".

Des défaillances en hausse

La baisse de la demande et des commandes a entraîné une forte hausse des défaillances d’entreprises, selon les chiffres de la Banque de France pour le second trimestre 2023, en cumul sur un an, avec 331 entreprises, soit une augmentation de +31,9 %, impactant 1 378 salariés au total. Un nombre de défaillances amené à grossir, selon Olivier Rousseille : "Ce n’est que le début, car il faut que les entreprises remboursent des PGE (prêts garantis par l’État, NDLR) et l’Urssaf. En fait, c’est en 2024 que la situation va vraiment se dégrader". Pour stopper cette hémorragie, le président de la FFB Normandie entrevoit plusieurs pistes d’amélioration comme le prolongement de dispositifs comme la loi Pinel, ou encore d’apporter plus de fonds pour la rénovation des logements à travers "Ma Prime Rénov", ou d’adapter le calendrier de la loi zéro artificialisation des sols. "Tout ceci est entre les mains de l’État mais pourrait relancer l’activité. Sans des mesures fortes, ce sont 130 000 emplois qui pourraient disparaître d’ici 2025", s’inquiète le patron de l’entreprise de couverture rouennaise Verhaeghe.

Des coûts trop élevés

Le projet Gaïa, porté par Odyssée Immobilier et imaginé par l’Atelier des Deux Anges, à Rouen a reçu le grand prix régional des Pyramides d’Argent de la FPI Normandie — Photo : DR

Face à la baisse du pouvoir d’achat et à la hausse des taux d’intérêt qui grèvent le budget des ménages et les empêchent d’accéder à la propriété, Paul Lhotellier, président du groupe de construction Lhotellier (1 700 salariés ; 310 M€ de CA), basé à Blangy-sur-Bresle, veut faire le pari de l’intelligence collective : "Il faut trouver l’intelligence et les moyens pour faire des constructions économiques. La baisse du pouvoir d’achat doit nous inciter à trouver des solutions pour construire à moins de 1 000 euros du m2, notamment en zone rurale. On sait le faire, mais ce sont les normes qui nous freinent avec des projets qui sont longs, âpres et chers, et du coup ils n’aboutissent pas. On a besoin de concret sur les coûts, il faut les faire baisser !" Si le patron de Lhotellier dénonce le renchérissement des coûts de la construction, il pointe notamment l’augmentation des contraintes qui pèsent sur les entrepreneurs : contraintes administratives toujours plus nombreuses, réglementation thermique, zones à faibles émissions (ZFE) contraignantes pour les flottes de véhicules et les déplacements, responsabilité élargie du producteur (REP) pour la gestion des produits et matériaux de construction, ou encore usages des matériaux. "Tout cela abouti à un renchérissement général. On essaie de réagir pour contrer les effets néfastes sur notre activité. Nous avons fait des pas énormes vers la transition énergétique en matière de recyclage, de bâtiments plus efficaces en bilan carbone. Malgré nos efforts et la mise en place de process assez dispendieux (Lhotellier dispose d’une usine de valorisation des sols pollués et d’une usine de préfabrication, NDLR), nous sommes aussi confrontés à la réalité de la problématique du renchérissement des coûts. Face à cette réalité, nous sommes aujourd’hui plus dans une phase de repli que de développement".

Le prêt à taux zéro prolongé jusqu’en 2027

Demande répétée de la part des acteurs de la construction de logements neufs, la prolongation et la revalorisation du Prêt à taux zéro (PTZ) a finalement été entendue par Bercy. Ainsi, le prêt à taux zéro va être prolongé jusqu’en 2027, alors qu’il devait s’arrêter en fin d’année, a affirmé Bruno Le Maire le 18 octobre dernier. Le dispositif de soutien aux primo-accédants va en outre être revu pour 2024. Bercy a présenté la nouvelle grille de barèmes de revenus pris en compte, selon les zones ABC de l’immobilier (tendues ou détendues). Des mesures qui consistent à rehausser les plafonds de revenus des deux premières tranches les plus subventionnelles afin d’en faire bénéficier davantage de ménages ; mieux aider les emprunteurs les plus modestes, en augmentant à 50 % la quotité de leur projet finançable par le PTZ (contre 40 % actuellement) ; doubler l’aide de l’État pour les locataires de logement social souhaitant acheter leur logement ("PTZ vente HLM") qui bénéficient aujourd’hui d’un PTZ à hauteur de 10 % (20 % en 2024) ; créer une quatrième tranche de revenus (entre 37 000 et 49 000€ par an) pour des ménages qui ne sont actuellement pas éligibles au PTZ avec une quotité d’opération finançable de 20 %, soit en moyenne 5 000 euros d’aide de l’État. Les ajustements envisagés du PTZ permettront d’élargir le nombre de Français potentiellement éligibles à 29 millions, contre 23 aujourd’hui (73 % de la population éligible contre 60 % auparavant), assure le gouvernement. Mais au final, ils devraient être 40 000 accédants à la propriété. L’État prévoit un budget de 800 millions d’euros annuels pour le PTZ. Une mesure d’ajustement accueillie avec satisfaction par la Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB), mais qui souhaite une réflexion plus globale sur l’accès au logement : "La CAPEB salue la rectification du gouvernement sur le PTZ, par rapport à son projet initial, qui permettra à davantage de ménages de bénéficier du dispositif dans les zones tendues. Cependant, il nous semble impératif de lancer une réflexion sur l’accès au logement des Français en zones périurbaines, sans que cela génère du mitage de territoire, et de maintenir accessible le PTZ dans l’ancien". Cette aide de l’État doit permettre d’amener le taux d’intérêt moyen d’une opération de 4,4 % à 3 %. Bercy annonce en outre que les banques devraient ajouter un coup de pouce supplémentaire, à commencer par le Crédit Agricole, qui réalise déjà la moitié des PTZ. Sur un PTZ de 50 % de l’emprunt, le complément bancaire pourrait être de 20 %, ne laissant plus que 30 % de prêt classique.

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