Hypromat, Rector-Lesage, Solvay : « Nous avons opté pour un dirigeant extérieur à la famille »
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Hypromat, Rector-Lesage, Solvay : « Nous avons opté pour un dirigeant extérieur à la famille »

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La France cherche à favoriser l'essor des ETI. Ces entreprises à capitaux souvent familiaux, nombreuses dans le Grand Est, sont confrontées à un certain nombre de défis. A commencer par la question de la gouvernance: doivent-elles confier leur direction à un dirigeant externe à la famille ? C'est le choix qu'ont fait les alsaciens Hypromat et Rector-Lesage et le belge Solvay. Lors d’une table ronde organisée par l’Institut français des administrateurs (IFA), le cabinet EY et la CCI Alsace Eurométropole, toutes trois ont débattu de l’impact de ce choix dans leur gouvernance.

Faire coïncider en bonne intelligence le cercle familial et celui de l'entreprise est un exercice délicat, solutionné par les entreprises familiales Rector-Lesage (Rémi Lesage), Hypromat (Yves Brouchet) et Solvay (Hervé Coppens) par le recrutement d'un dirigeant opérationnel externe à la famille — Photo : © Adelise Foucault

Depuis quand avez-vous confié les rênes de votre entreprise à un dirigeant extérieur à la famille ?

Hervé Coppens, administrateur indépendant membre du conseil d’administration de Solvay (géant belge de la chimie, 25 000 salariés ; CA : 12 Md€) et membre du conseil des actionnaires familiaux : Depuis 1998, Solvay, entreprise créée en 1863, a à sa tête un président du comité exécutif non-familial, mais interne au groupe. Le premier dirigeant non-familial et externe à Solvay est arrivé en 2012. Il s’agit de Jean-Pierre Clamadieu, remplacé depuis mars par Ilham Kadri. Elle aussi a été recrutée en externe.

Rémi Lesage, président de Lesage industrie du béton, à Mulhouse (1 000 personnes ; CA 2017 : 210 M€) : Je représente la quatrième génération à la tête de l’entreprise que je préside. En 1993, pour la première fois, nous avons choisi un directeur général externe à la famille, mais issu de l’entreprise. Puis en 2009, il a fallu trouver un nouveau DG. Je souhaitais trouver un successeur en interne, mais je n’avais pas de candidats. Après un premier recrutement raté, j’ai cumulé présidence et direction générale, autour d’un comité de direction musclé, composé d’anciens de l’entreprise, dont mon frère, le temps de trouver un nouveau profil via un cabinet de chasseurs de têtes strasbourgeois. C’est ainsi qu’est arrivé en 2010 Pierre Laplante, actuel DG de l’entreprise.

Yves Brouchet, directeur général du groupe Hypromat (CA groupe 2017 : 45 M€, environ 250 personnes) à Hœrdt et président d’Hypromat France : Je ne fais pas partie de la famille actionnaire d’Hypromat, plus connu sous le nom de ses stations de lavage Éléphant Bleu. Le groupe est né en 1963 en Suisse, puis a changé d’actionnaires plusieurs fois. Il est depuis 1997 la propriété de Jacques Boissonnas, arrière-petit-fils de Conrad Schlumberger, famille bien connue dans la région. J’ai pris la direction générale de l’entreprise en 2001.

Quelles aptitudes requièrent, selon vous, ce poste de DG « tiers » au sein d’une entreprise familiale ?

R.L. : La conjonction des compétences techniques, d’un savoir-être et l’acceptation de ce qu’est une entreprise familiale, de ses valeurs et de la place de la famille. Pierre Laplante avait tous les prérequis professionnels, et son père avait une entreprise de construction de maisons individuelles dans les forêts au Canada. Il n’avait évolué qu’au sein de grands groupes, mais, en même temps, il avait travaillé avec son père gamin et avait donc une connaissance de l’entreprise familiale.

Y.B. : Il est important de garantir une transparence dans le partage de vue, la formalisation et donc la vision. Mais on doit aller au-delà, c’est pour moi un principe personnel. Bien que l’actionnaire ne soit pas en position d’opérationnel, il n’y a pas d’endroits dans le groupe ou de sujets auquel il n’ait pas accès et les équipes le savent. Cela me sert aussi. La confiance se construit par la transparence.

H.C : L’écoute aussi… Quand Jean-Pierre Clamadieu est arrivé, nous étions en pleine réorientation stratégique du groupe (Solvay s’est séparé de son pôle pharmaceutique en 2010, NDLR), il nous a demandé ce que nous, actionnaires, étions prêts à consentir pour développer l’entreprise. Nous avons formalisé ce qu’une croissance signifiait pour nous : le maintien du contrôle actionnarial par la famille et les secteurs d’activité vers lesquels nous ne souhaitions pas aller. Nous avons abouti au triptyque : durabilité, dividendes et dettes, pour gouverner les choix de développement. Les actionnaires ont aussi accepté d'augmenter le capital de Solvay. Cela a défini le budget que Jean-Pierre avait à sa disposition. Cela s’est fait de manière très adroite : il n’est pas venu avec un projet ficelé. Il a vraiment écouté ce que les actionnaires souhaitaient.

Quelle est la position du directeur général, entre un board et parfois des salariés familiaux ?

R.L. : Une position inconfortable… La règle cependant chez nous, c’est qu’un actionnaire salarié, sauf le président, ne peut pas être membre du conseil d’administration. Les fonctions de président et directeur général ont été scindées depuis très longtemps, entre mon grand-père et mon père, puis mon père avec mon oncle. Mon oncle, DG, était l’homme du compte de résultat, et mon père l’homme du bilan. Les rôles étaient déjà très bien délimités. Puis à partir des années 1990, la direction générale a été assurée par un non-actionnaire. Pour les équipes et les clients, chez nous, il n’y a qu’un seul pilote : le directeur général. La non-ingérence du président dans l’opérationnel est la norme, même si sa porte est ouverte.

Y.B. : Quand j’ai été recruté à la direction générale d’Hypromat, en 2001, trois autres personnes s’étaient succédé à ce poste en moins de quatre ans… Évidemment, ça m’a fait poser des questions. Au-delà de la performance de l’entreprise, j’avais donc un challenge personnel à relever. J’ai vite posé le diagnostic : il y avait confusion entre le rôle du directeur général et du président et actionnaire. On est une PME. Quand quelqu’un vient au siège et rencontre le président, cela ne passe pas inaperçu. Le président n’avait pas de volonté d’ingérence mais le simple fait d’être présent et de recevoir les gens générait des déséquilibres. Je lui ai fait prendre conscience de cela. Nous avons travaillé sur la gouvernance : le rôle du conseil d’administration et du management n’était pas clairement défini.

Combien d’actionnaires familiaux sont présents au capital ? Et à des postes opérationnels dans l’entreprise ?

H.C. : Nous avons 2 600 actionnaires familiaux. Il y a cinq familles fondatrices. Nous ne sommes pas liés par un quelconque pacte. Nous sommes plus une grande famille économique qu’une famille liée par les liens du sang. Au moment de l’arrivée de Jean-Pierre Clamadieu, nous avons créé un « family board », un conseil des actionnaires familiaux, qui regroupe tous les administrateurs familiaux de Solvay et ceux d’une holding de contrôle qui avait été établie en son temps. Sur les 25 000 salariés, seuls deux d’entre eux font partie des actionnaires familiaux de Solvay.

R.L. : Nous sommes 120 actionnaires familiaux. Nous nous définissons avant tout comme des industriels. Il est important de connaître les équipes, le marché. On trouve important qu’il y ait des membres de la famille, pas forcément au poste de directeur général, mais à des postes à responsabilité, pour assurer le lien entre l’actionnariat et le président, mais aussi pour assumer les erreurs collectivement. Nous avons cependant fixé une règle aux recrutements familiaux : le recrutement passe par un comité de nomination constitué de deux administrateurs familiaux et deux administrateurs indépendants, et l’on demande une première expérience professionnelle hors de l’entreprise. Mon fils a intégré l’entreprise en mai, un autre membre de la famille est aussi salarié.

Y.B : Le groupe compte aujourd’hui cinq actionnaires. On arrive sur la deuxième génération. Les enfants sont entrés au conseil d’administration, ils sont préparés pour la succession.

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