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Fabrice Jeannet, le "mousquetaire" des espaces de coworking
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Fabrice Jeannet, le "mousquetaire" des espaces de coworking

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Fabrice Jeannet, ancien champion d'escrime, est gérant majoritaire du Coolworking, un espace de travail partagé au cœur de Bordeaux. Le multi-champion du monde croise aujourd'hui le fer pour défendre, au sein d'un collectif, les espaces de coworking indépendants.

Fabrice Jeannet a créé son premier espace de coworking à Bordeaux en 2012. Sa petite entreprise n'a pas connu la crise, jusqu'aux confinements. Aux côtés d'autres gérants d'espaces de travail partagés, l'ancien champion olympique d'escrime veut convaincre que les coworking constituent une source d'innovation, de créativité et d'émulation nécessaires à la relance — Photo : Anne Cesbron

Les amoureux des rendez-vous olympiques se souviennent. Athènes 2004, Pékin 2008... La redoutable équipe de France d’escrime décrochait l’or à l’épée. Sur la plus haute marche du podium, quatre "mousquetaires", dont deux frères, écrivaient une page de l’histoire du sport tricolore. Fabrice Jeannet était le cadet. Le voilà aujourd’hui loin des salles d’armes.

À quelques pas de la Place des Quinconces, à Bordeaux, les usagers du Coolworking sont au travail. Les 72 postes de travail sont inoccupés pour la moitié d’entre eux, les confinements et couvre-feux ayant éloigné bon nombre d’abonnés. Retiré des pistes d'escrime, Fabrice Jeannet est le patron des lieux. Et il n’a pas perdu de sa combativité. Depuis la rue de Condé, le champion a troqué cuirasse et épée pour une casquette de porte-parole d’un collectif composé de quatre espaces de coworking indépendants bordelais, monté dans le contexte de crise actuel.

Seul et ensemble

Ici, rien n’indique que l’hôte des lieux a tant de fois soulevé les plus illustres récompenses sportives. Ni photos épinglées aux murs, ni trophées des quatre coins du monde sur les étagères. "Ceux qui savent viennent parfois me questionner, mais ça s’arrête là", confie le quadragénaire. Son expertise de champion s’apprécie au quotidien au Coolworking, dans sa manière de faire cohabiter ceux qui y trouvent un repère pour travailler, lui qui a tant brillé en duel, et tant compté en équipe. "Je chéris mon indépendance, de pouvoir être maître de mes choix. La compétition en individuel, c’est mon moteur au départ… mais le collectif, je veux le défendre aussi", livre Fabrice Jeannet. Seul et ensemble, il sait faire.

Mais les temps sont troublés. La crise sanitaire serait responsable d’une baisse de 30 % des chiffres d’affaires des espaces de coworking en 2020. Les incertitudes actuelles laissent craindre le pire. Un paradoxe, selon le gérant des lieux, à l’heure d’une relance économique appelée des vœux de tous : "La fermeture de nombreuses entreprises va entraîner des reconversions et de nouvelles vocations d’entrepreneurs. Or, le lancement d’une entreprise est un chemin semé d’embûches, un virage crucial que l’espace de coworking permet d’accompagner sereinement."

Les heures de gloire

Né en 1980 en Martinique, le petit Fabrice grandit au sein d’une famille où deux passions s’expriment ; la première en salle d’armes, l’autre dans l’entreprise d’informatique paternelle au Lamentin. À dix ans, féru de programmation, l’enfant manie aussi bien l’épée que le codage ; à 16 ans, il quitte son île pour le pôle espoir Escrime de Reims. Débutent pour celui qui est devenu champion du monde junior ses années parisiennes à l’Insep, l’Institut national du sport.

L’or est décroché à Athènes en 2004, mais le rêve olympique n’est pas une fin en soi. "Nous devions investir un double projet, sportif et professionnel, pour préparer l’après. Je n’avais pas la vocation pour entraîner, ou pour être prof", se souvient-il. L’étudiant d’alors opte pour un DUT Génie informatique et une licence professionnelle. Il signera son premier CDI avec la société d’informatique Consort NT, à Neuilly-sur-Seine, à la veille d’un départ pour les Jeux de 2008, "pour avoir l’esprit libre".

À 28 ans, l’or une nouvelle fois autour du cou, son frère aîné Jérôme à ses côtés sur la même plus haute marche, Fabrice Jeannet se lance dans une nouvelle aventure, celle du poker en ligne. Le duo fraternel a de l’allure, le groupe Barrière confie aux deux combattants l’animation d’une équipe de joueurs pro. La partie s’arrête un an plus tard pour la team BarrierePoker. "Notre contrat n’a pas été reconduit. Je quittais alors un milieu aussi passionnant qu’effrayant", reconnaît-il.

Un concept génial

La suite s’écrit à Bordeaux, en famille. Nous sommes en 2012, le trentenaire est conquis par la qualité de vie girondine et la proximité de l’océan. Lui qui mène une mission pour une société parisienne d’informatique, dont l’agence la plus proche est située à Toulouse, se cherche un bureau. "C’est à ce moment-là que j’ai découvert le concept de coworking. Je l’ai trouvé génial. À cette époque, il était très lié au secteur numérique. Il y régnait un esprit de pionnier". Mais faute de rentabilité, le lieu baisse le rideau. Aux côtés de deux amis, Cédric Pillac et Jean-Baptiste Dusseaut, Fabrice Jeannet décide alors de se lancer : le Coolworking ouvre ses portes le 19 novembre 2012, proposant 32 postes sur 160 mètres carrés. Il faudra 15 mois à l’entreprise pour atteindre l’équilibre et 24 pour dégager le premier salaire du gérant des lieux…

Entre-temps, le marché du coworking est devenu un phénomène mondial, notamment poussé par les entreprises en quête de bureaux pour leurs salariés. Coolworking grandit, recrute un salarié, affiche un chiffre d’affaires de 206 000 euros en 2017 et de 220 000 en 2019. "Partout, la demande dépassait l’offre, le nombre de lieux doublait chaque année en France. Les gros acteurs sont apparus, le marché en est même devenu agressif, les plus petits n’ont pas tenu le cap", expose le gérant. Mais Coolworking fait le plein et prévoit même l’ouverture d’un deuxième site bordelais. Le lieu est identifié. Et puis la France entre en confinement...

Épée de Damoclès

Rue de Condé, les défections s’enchaînent. L’été et la rentrée s’effectuent en demi-teinte. Le deuxième confinement s’annonce fatal. Les gérants des espaces de coworking bordelais s’organisent. "Ce contexte de crise nous a fait nous rencontrer. On ne se connaissait pas et nous avons découvert que nous avions les mêmes problématiques", décrit Fabrice Jeannet. L’idée d’un collectif naît autour d’un même constat : "la crise montre les effets néfastes du télétravail à domicile en termes de pathologies liées à une ergonomie défaillante, au risque d’isolement, de démotivation, quand le coworking permet de travailler dans des conditions optimales, à la fois matérielles et sociales", plaide le gérant.

Janvier 2021, les Bordelais du collectif signent une même tribune qu’ils adressent aux élus et acteurs économiques locaux. Peu ou pas de réponses ne leur sont revenues depuis. "Nous pensons que le mouvement s’organisera davantage au national, à la manière d’un partage de bonnes pratiques… Une idée du collectif qui me plaît bien. D’ici là, nous devons défendre nos valeurs de créativité, de partage, de cool attitude", sourit le dirigeant. Reste que les échéances de relance demeurent floues. Une épée de Damoclès qui menace tous azimuts, reconnaît Fabrice Jeannet. "On ne sait même pas si les prochains Jeux olympiques se tiendront cet été", ironise le champion.

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