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À Béthune, l’heure du grand réveil de l’industrie ?
Enquête Pas-de-Calais # Industrie # Implantation

À Béthune, l’heure du grand réveil de l’industrie ?

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Bastion industriel historique des Hauts-de-France, Béthune et sa communauté de communes connaissent ces dernières années un regain d’activité, avec des annonces d’implantations et d’investissements qui s’accélèrent. À quoi est dû ce réveil, et comment préfigure-t-il l’avenir du territoire ?

La marque de pneus rechapés Léonard est produite à Béthune, sur la friche laissée par l’ancienne usine Bridgestone — Photo : Jeanne Magnien

Que se passe-t-il à Béthune ? Après des années d’un développement industriel plutôt discret, le territoire de la CABALR, la Communauté d’Agglomération Béthune Bruay Artois Lys Romane, semble soudain attirer l’attention d’investisseurs de toutes origines, dans de nouveaux secteurs d’activité. Depuis la gigafactory d’ACC (2 milliards d’euros d’investissement au total), jusqu’à la relocalisation du filateur de lin Safilin (5 millions d’euros injectés dans l’opération), en passant par la filiale de Mobivia Blackstar (8 millions d’euros investis), le recycleur allemand Green Dot (30 millions d’euros d’investissements annoncés), ou encore le fabricant belge de filtres à charbon Desotec (70 millions d’euros prévus), implantations et annonces se succèdent dans ce territoire du Pas-de-Calais (lire ci-contre). Elles dessinent un territoire en passe de réussir sa transition industrielle… une fois encore.

"Troisième reconversion industrielle"

"Les transitions, on connaît dans le secteur. On nous a annoncés plusieurs fois la fin du monde, d’abord avec la disparition des mines, dans les années 1970. Puis, avec les vagues de fermetures dans l’automobile et la plasturgie, dans les années 1990. Maintenant, c’est la fin du moteur thermique. Ce sera notre troisième reconversion industrielle, on peut dire qu’on est un territoire résilient ! Le premier jour, on pleure, et puis on rebondit", s’amuse Steve Bossart, vice-président chargé du développement économique de l’agglomération Béthune-Bruay.

Une vie après Bridgestone

Le dernier coup dur en date remonte en effet à la fin 2020, avec l’annonce du départ de Bridgestone, qui emploie alors encore 863 personnes sur son site béthunois. En quelques mois, le fabricant japonais de pneus ferme son usine, implantée en 1961, pour se concentrer sur une production présentant davantage de valeur ajoutée, dédiée aux SUV et aux véhicules électriques.

Début 2021, Béthune perd donc son site emblématique, qui à son apogée a employé plus de 1 100 personnes, sur 32 hectares. Une secousse mais aussi, un déclic, pour un territoire qui a su retourner le stigmate, analyse Steve Bossart. "Nous avons été très bien accompagnés après le départ de Bridgestone, grâce au plan de relance. EY notamment, a sondé 130 entreprises sur les 145 plus grandes du territoire. 80 % d’entre elles avaient des projets de développement ou de recrutements. C’est une photographie que nous n’avions pas en tête, et qui a été déterminante dans notre stratégie pour la suite, au service du tissu économique du territoire, dans un souci de diversification", détaille l’élu.

Une spécialisation inédite sur l’économie circulaire

Trois ans après, Béthune pourrait apparaître comme l’exemple type d’un territoire qui, loin d’être dévasté par le départ d’un industriel historique, en tire parti pour se réinventer. "Le départ de Bridgestone a clairement laissé une place très intéressante. Des locaux dans un état correct, une friche relativement facile à réhabiliter… c’est un appel d’air pour un territoire qui était déjà en train de se réinventer. La dynamique industrielle était lancée avant cette fermeture, le frémissement remonte à 2017 ou 2018. Mais l’espace disponible lui a donné un point de fixation. Comme on le répète souvent, l’offre crée la demande. Sans foncier disponible, on ne fait pas venir les entreprises," pointe Yann Pitollet, le directeur de Nord France Invest, l’agence de promotion économique des Hauts-de-France.

Avec ceci de particulier que cette relance industrielle s’accompagne d’une spécialisation inédite. Béthune émerge comme un nouveau pôle régional, centré sur l’économie circulaire. "Une spécialisation, c’est très compliqué à mettre en place. Il faut que tous les ingrédients soient réunis pour que la dynamique prenne. Il y a peu de territoires spécialisés dans la région : Dunkerque est en train de s’installer sur le sujet des batteries, à Boulogne ce sont les produits de la mer, et autour de Lille, la santé et la tech, mais c’est tout. Ce n’est pas si fréquent de réussir à imposer un marqueur fort sur un territoire, surtout en si peu de temps", note Yann Pitollet.

30 millions d’euros injectés pour réhabiliter l’ancienne friche

Symbole de cette orientation, la présence de cinq entreprises industrielles sur une friche où autrefois, Bridgestone était seule maîtresse à bord. SIG, filiale du logisticien nordiste Log’s (3 300 salariés, 248 M€ de CA), a repris le site et a divisé ses 160 000 m² de bâti, loués à des acteurs de l’économie circulaire. Une enveloppe d’environ 30 millions d’euros est consacrée à sa réhabilitation, qui progresse peu à peu. Un port devrait y être aménagé courant 2025, pour renforcer son attractivité auprès des industriels, déjà nombreux à y étudier une éventuelle implantation dans une région où le foncier se fait rare. 33 % du site sont encore disponibles.

Pour l’heure, s’y sont implantés Blackstar, filiale de Mobivia qui produit des pneus rechapés. Bringback, filiale de NeoEco qui régénère des batteries de véhicules thermiques. Le grenoblois Mecaware, qui lance Separ8, une filière de recyclage des batteries de véhicules électriques, ou encore le parisien Ennea Green, qui a créé là une unité de reconditionnement de machines professionnelles.

"Nous avons de nouveaux arrivants, mais nos acteurs historiques ont aussi des projets. On peut penser à Atlantic, le fabricant de chaudières et de pompes à chaleur, qui vient d’investir dans un centre de R & D"

L’entreprise se lance sur une activité multiproduits et multimarques, en rénovant distributeurs automatiques, matériel de propreté ou de manutention. Vont suivre, du matériel de restauration, médical ou encore, de lavage. "Nous avions plusieurs critères pour notre première implantation : pas de bâtiment neuf, pour être en cohérence avec notre projet. Être situé sur un axe intéressant entre la France, la Belgique et les Pays-Bas, et dans un bassin d’emploi avec une forte culture industrielle. Le site de Béthune cochait toutes les cases, avec en plus, la possibilité de nous étendre : nous nous sommes installés sur 2 200 m², et pouvons aller jusqu’à 5 000 m²," pose Gilles Fontaine, cofondateur d’Ennea Green. L’entreprise, qui a investi 500 000 euros sur le site, a recruté 17 personnes à Béthune, dont 4 anciens de Bridgestone. L’entreprise devrait dupliquer son installation ailleurs d’ici la fin de l’année. "Notre modèle nous impose d’être à proximité de nos clients, pour ne pas alourdir le coût ni le bilan carbone de nos produits. Le plan à terme est donc d’avoir 3 à 4 sites industriels en France. Nous prospectons actuellement en Auvergne-Rhône-Alpes. Nous y rencontrons un accueil favorable et dynamique, comparable à celui reçu à Béthune. Mais les sites qu’on nous présente pour l’instant ne correspondent pas à nos critères, ce sont des bâtiments neufs ou récents, qui n’ont pas la même attractivité pour nous que la friche Bridgestone. Et nous sommes fiers de nous lancer sur un territoire qui a eu une histoire compliquée, de contribuer à son nouveau départ. Ça a du sens pour nous," poursuit le dirigeant.

Quelle place pour les autres ?

Cette spécialisation dans l’économie circulaire répond à une volonté politique forte, et s’est traduite encore récemment par la confirmation de l’implantation d’une usine de charbon vert à Isbergues, créée par le néerlandais N + P Recycling. Mais elle ne masque, pas pour autant, une dynamique qui touche l’ensemble des acteurs industriels de la zone.

"Nous avons de nouveaux arrivants, mais nos acteurs historiques ont des projets de développement également. On peut penser à Atlantic par exemple, le fabricant de chaudières et de pompes à chaleur, qui vient d’investir 30 millions d’euros dans un centre de R & D et bientôt, dans un centre de formation," souligne Steve Bossart. Ou encore, le centre de recherche Critt M2A, qui s’impose plus que jamais comme un outil de pointe au service des industries automobiles, fabricants de batteries en tête, avec notamment, un partenariat avec ACC, implanté en voisin à Douvrin et Billy-Berclau.

De même, le fabricant de stores sur mesure Avosdim (75 salariés, CA : NC), qui n’en finit pas de s’étendre, sur désormais trois sites à Béthune. Originaire du cru, Adrien Lombart n’aurait pas imaginé créer son entreprise ailleurs. Mais doit bien constater, que le climat a changé en l’espace de 15 ans. "Quand j’ai créé en 2008, j’ai été très seul. Il n’y avait aucun suivi, aucun contact avec l’agglomération, ne serait-ce que sur les questions d’immobilier… Peut-être que c’est l’entreprise qui en grandissant, intéresse davantage, mais on a désormais de vrais interlocuteurs, qui parlent le même langage que nous et qui cherchent véritablement à voir prospérer les entreprises, quelles qu’elles soient."

De son côté, le dirigeant ne compte pas déménager, même si l’immobilier se tend sur la zone. "Nous intégrons progressivement la production de l’ensemble de nos composants, pour devenir pleinement fabricants et plus seulement assembleurs. Cela demande de la place, et ce n’est pas évident à trouver pour nous qui voulons rester dans un périmètre bien précis, à Béthune même. Mais il y a tout ce qu’il nous faut ici, en particulier des partenaires industriels de confiance, à proximité. Et pour nous qui visons l’international, être à un carrefour européen, c’est très précieux", se félicite Adrien Lombart. On n’a pas fini d’entendre parler de Béthune…

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