Occitanie
L’après-pétrole se prépare en Occitanie
Enquête Occitanie # Industrie

L’après-pétrole se prépare en Occitanie

S'abonner

L’envol des prix à la pompe repose la question des alternatives aux voitures thermiques. L’Occitanie compte un large panel d’industriels, d’entreprises innovantes et de start-up déjà lancés dans la course à la solution la plus performante, entre biogaz, biocarburants et mobilité électrique.

L’héraultais IES Synergy déploie ses bornes électriques de voirie dans plus de 50 pays — Photo : Benjamin Célier

Les ristournes accordées par l’État et le pétrolier TotalEnergies, qui atteignent jusqu’à 32 centimes d’euro par litre en cumulé, ont calmé pour un temps le mécontentement des Français face à l’envol des prix à la pompe. Mais ces remises vont diminuer d’ici le 31 décembre 2022, poussant un nombre croissant d’utilisateurs à se mettre en quête d’une alternative aux voitures thermiques. En Occitanie, le savoir-faire technologique développé par les entreprises locales couvre l’ensemble du spectre : mobilité électrique, hydrogène, biogaz et autres biocarburants. Le Conseil régional joue le rôle d’aiguillon, depuis l’adoption en 2016 d’une stratégie visant le rang de première région à énergie positive d’Europe en 2050. Elle met notamment l’accent sur la mobilité électrique avec une aide à l’achat de véhicules propres, ou encore le soutien au premier projet d’installation à grande échelle, au sein des entreprises et des territoires d’Occitanie, d’une nouvelle technologie de bornes de recharge électrique, dite "V2G" : ce système alimente les véhicules ou bien stocke de l’énergie pour la rendre au réseau électrique en cas de besoin.

Le déploiement massif des points de charge

Globalement, le déploiement des points de recharge électrique évolue vite dans la région. Selon l’Averre Occitanie, antenne du réseau Averre France chargé de mobiliser les acteurs de la mobilité électrique, le territoire régional comptait, en juillet 2022, 6 496 points de recharge ouverts au public (pour 66 960 points sur le plan national). "Toutes les collectivités se saisissent du sujet, d’autant plus que la loi Climat et Résilience de 2021 leur impose de se doter d’un schéma d’installation de bornes en 2023. Les syndicats départementaux d’électricité se sont unis dans l’association Terres d’Énergie d’Occitanie pour leur proposer de faire les études préalables aux schémas", commente Dominique Charzat, président de l’Averre Occitanie.

Du côté des fournisseurs, IES Synergy, fabricant de bornes de recharge, redouble d’ambition sur ce marché : l’entreprise montpelliéraine (160 salariés, CA 2021 : 27 M€) investit 10 millions d’euros en 3 ans pour déployer une nouvelle génération de bornes de charge rapide. Elle vend d’abord en BtoB, pour des usages professionnels. Jusqu’ici, sa technologie délivrait des petites à moyennes puissances, permettant de recharger en 1 ou 2 heures. "Cette nouvelle gamme nous ouvre d’autres marchés, comme celui des aires d’autoroutes. L’objectif est de répondre aux attentes des utilisateurs, qui veulent des chargeurs plus rapides pour se rapprocher du temps d’usage d’un plein d’essence. Cela nécessite une plus grande puissance, ce qu’autorise cette quatrième génération de bornes", raconte Vincent Abadie, directeur du développement d’IES Synergy. En d’autres termes, le déploiement de la nouvelle gamme d’IES Synergy va contribuer à densifier le réseau français. Sur l’objectif, fixé par l’État, de 100 000 points de charge installés à la fin 2021, le compteur affichait 65 000 bornes cet été, dont 10 % installées par IES Synergy. Tablant sur "une croissance à deux chiffres par an", l’entreprise voit loin : elle veut d’abord booster la maturation du marché en France et aux États-Unis, où elle s’appuie sur une agence déjà ouverte, avant de créer une présence commerciale plus forte dans les plus gros pays européens.

De son côté, la start-up Ampère (25 salariés), fondée en 2020 à Montpellier, fait le pari de déployer massivement sa technologie de recharge électrique en partant de ce constat : 90 % des points de charge se trouvent dans des bâtiments. Or, sur les 450 000 copropriétés recensées France, 250 000 en sont encore dépourvues. Pour les convaincre d’investir, Ampère a conçu un système modulaire répondant "au juste nécessaire", selon le PDG Philippe Dupuy. Il se compose d’une architecture de distribution de type "bus", pilotée par une box, avec une seule ligne de puissance fixée au niveau de chaque place de parking. "La spécificité de ce système est qu’un seul bus suffit, quelle que soit la configuration du bâtiment, pour alimenter 100 places de parking. Notre box permet une gestion intelligente de ce qui existe déjà, tant en puissance qu’en capacité de raccordement. C’en est fini des forêts de câbles que tirent les autres opérateurs", sourit Philippe Dupuy. Le système d’Ampère intègre aussi un connecteur, pour recharger chaque véhicule, jouissant d’une double sécurité : l’utilisateur est protégé à la fois "contre le risque de choc électrique et les surtempératures", selon le PDG. Les syndics de copropriété ayant l’obligation légale de mettre ces sujets à l’ordre du jour d’ici la fin 2022, Ampère anticipe une forte croissance : elle compte réaliser 6,6 millions d’euros dès 2023, et imagine bondir à 100 millions en 2028. D’ici là, la start-up espère lever plus de 10 millions d’euros en 3 ans pour agrandir son usine.

Les vertus spécifiques des biocarburants

Autre vecteur des ambitions régionales : les biocarburants. En 2020, l’Agence Régionale Énergie Climat (AREC), émanation de la Région Occitanie, est entrée au capital de la société Seven Occitanie (30 salariés, CA 2021 : 10 M€). Fondée en 2017 à Montpellier, l’entreprise est un constructeur et un exploitant de stations au BioGNV (Gaz Naturel Véhicule). Avec un prix inférieur de 30 % au diesel, ses clients sont en majorité les transporteurs, mais aussi les collectivités territoriales pour leurs flottes de véhicules et de bus. "Le BioGNV est la solution la plus vertueuse pour décarboner la mobilité. La production de ce biogaz favorise l’installation de systèmes de traitement des déchets, et offre des revenus complémentaires au secteur agricole. De plus, alors que les Zones à Faible Émissions se multiplient, il permet aux transporteurs de continuer à rentrer dans les agglomérations", argumente Jean-Michel Richeton, président de Seven. Le modèle économique imaginé en Occitanie est dupliqué hors région : des partenariats sont noués avec d’autres fonds régionaux, comme la SEM Énergie Hauts-de-France en 2022, afin d’étendre son réseau. Ainsi, Seven compte à ce jour une douzaine de stations en Occitanie, et une dizaine en développement dans les Hauts-de-France, en Région Sud-Paca, en Auvergne-Rhône-Alpes et en Nouvelle-Aquitaine, couvertes par autant de filiales. L’objectif est que chacune d’elles gère une vingtaine de stations.

Dans le Tarn, Marc Lambec, fondateur d’ARM Engineering (appartenant à un groupe composé de 3 sociétés fortes de 16 collaborateurs, CA 2021 : 4 M€) développe depuis 2005 des solutions innovantes pour le secteur automobile. D’abord dans la conversion des moteurs thermiques au superéthanol E85, puis dans le développement d’un biocarburant de seconde génération, basé sur la conversion du méthane en liquide. Ce procédé n’existant pas en France, la PME tarnaise a sourcé ce savoir-faire dans l’industrie plastique. Elle est la seule au monde à posséder ce carburant vert pour le secteur automobile dont elle a déposé le nom : le G-H3. Produit à partir de biomasse non alimentaire au Danemark, il est compatible avec les moteurs thermiques des véhicules lourds et légers. "Nous discutons avec des acteurs majeurs, des fabricants de bioénergies, biogaz ou bioliquide, et les acteurs publics pour proposer des fabrications territoriales de ce biocarburant, explique Marc Lambec. Mais pour des PME comme la nôtre, sans l’appui de lobbies puissants, la réglementation européenne reste un frein énorme." ARM Engineering pourrait donc commercialiser le G-H3 dans un premier temps hors des frontières de l’UE. "Nous avons un contrat d’échanges avec la chambre de commerce de Perth (Australie) qui nous permettra peut-être de nous implanter là-bas, indique le dirigeant. Nous avons aussi des contacts au Brésil, avec des sociétés privées qui ont une culture du biocarburant importante."

Le mix énergétique de la mobilité verte

Basée à Vendargues (Hérault) près de Montpellier, Biomotors (70 salariés) a été la première entreprise française à se lancer, en 2011, dans la fabrication de boîtiers convertissant le moteur des véhicules de 15 chevaux fiscaux et plus au bioéthanol. Face à la hausse continue du prix de l’essence, cet agrocarburant s’affiche comme le moins cher du marché, à 0,80 euro le litre. Si l’équation financière séduit aujourd’hui les utilisateurs en masse (Biomotors reçoit jusqu’à 30 demandes de devis par minute), le chemin a été long pour évangéliser le marché. "Nous avons collaboré avec les pouvoirs publics, les pétroliers et les constructeurs automobiles pour aboutir à l’adoption d’un arrêté, en 2017, qui a fixé un cahier des charges pour ces boîtiers, imposé leur homologation, généralisé l’habilitation des installateurs… Tout cela a rassuré les utilisateurs", raconte Alexis Landrieu, directeur général de Biomotors. Le soutien des pétroliers, qui ont trouvé là un moyen d’écouler le bioéthanol, a permis de passer de 200 à 3 000 le nombre de stations, à ce jour, proposant ce produit. Sur ces bases, Biomotors met le turbo dans sa croissance : l’entreprise va quadrupler son activité en 2022, bondissant de 5 à 20 millions d’euros de chiffre d’affaires. Elle investit 1,5 million pour étendre son usine (un deuxième bâtiment est attendu en 2023) et un autre million d’euros pour faire évoluer sa technologie : "Les constructeurs suivent les nouvelles réglementations, notamment dans les moteurs hybrides rechargeables, et nous nous adaptons en conséquence", note Alexis Landrieu.

Face au foisonnement des solutions conçues par ces entreprises, et leurs concurrentes de France et d’ailleurs, quel sera le mix énergétique de la mobilité propre ? La réponse varie selon les interlocuteurs, mais l’UE a fait avancer ce débat en fixant à 2035 l’interdiction de vendre des voitures thermiques. Questionné sur l’inéluctable prééminence de la mobilité électrique, Dominique Charzat répond : "Tout dépendra de notre capacité à maîtriser la façon dont on recharge les véhicules. L’électricité est consommée en majorité par les ménages chez eux en soirée. Or, le solaire photovoltaïque permet de produire en journée, quand la consommation est moindre, ce qui facilitera le déploiement des bornes. L’intérêt économique sera important pour les flottes d’entreprise si on peut les recharger en journée. De plus, l’énergie étant produite localement, ce sera la moins chère". A contrario, les autres acteurs estiment que rien n’est joué, et que la répartition des énergies se fera selon les usages. L’analyse la plus commune est que, la France étant encore loin d’être couverte de bornes, la mobilité électrique sera limitée aux véhicules légers, sur de petites distances. Doutant même que l’échéance de 2035 soit respectée, Alexis Landrieu rajoute : "On restera sur les moteurs thermiques pour les usages qui continueront à s’imposer à nous : il faudra alors adapter ces motorisations pour qu’elles utilisent du biogaz, de l’éthanol, ou du GPL, en faisant appel au couplage hybride".

Pour les longues distances et les mobilités lourdes, le BioGNV, l’ED 95 (le bioéthanol pour poids lourds) et l’hydrogène semblent donc devoir s’imposer. Mais l’échéance de 2035 pèse sur les PME du secteur comme une épée de Damoclès, ce que regrette Jean-Michel Richeton : "Si l’énergie produite pour la mobilité électrique provient de centrales à charbon ou si elle est importée de Chine, ce sera une catastrophe pour l’environnement. Je persiste à dire que le BioGNV est le meilleur choix, car le réseau de gaz est déjà extrêmement développé dans les villes et les territoires". Pour autant, sa société Seven Occitanie anticipe bien un futur où ces énergies trouveront une vraie complémentarité : elle commence déjà à bâtir des stations multi-énergie, distribuant du BioGNV mais aussi de l’hydrogène et de l’électricité par bornes.

Occitanie # Industrie # Production et distribution d'énergie # Transport