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Asobo, Ubisoft, Shiro : la filière jeu vidéo de Nouvelle-Aquitaine veut grandir 
Enquête Nouvelle-Aquitaine # Industrie

Asobo, Ubisoft, Shiro : la filière jeu vidéo de Nouvelle-Aquitaine veut grandir 

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Cumulant les implantations et les gros contrats, la filière du jeu vidéo pèse aujourd’hui plus de cent millions d’euros de chiffre d’affaires en Nouvelle-Aquitaine. Entraînés par les locomotives locales, les studios ne cessent de s’y développer, favorisés par une volonté politique forte autour des industries de l’image et un écosystème foisonnant.

Ubisoft a ouvert un studio à Bordeaux en 2017. Il compte aujourd'hui plus de 400 employés — Photo : Ubisoft Bordeaux

Plus qu’un symbole, un ancrage définitif. En novembre dernier, le studio de développement de jeux vidéo bordelais du géant Ubisoft (2,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021, 21 000 salariés) a posé la première pierre de ses futurs nouveaux locaux bordelais qui accueilleront fin 2024 l’ensemble de ses équipes, soit 420 personnes à date. "Bordeaux possédait des atouts, en plus de sa forte attractivité : son historique dans le secteur du jeu vidéo, des écoles intéressantes, un secteur numérique développé", explique le directeur du studio, Julien Mayeux, au moment de revenir sur son installation en 2017. Cet essor a favorisé la création "d’équipes techniques transverses" dans "un marché plus favorable que dans certaines autres localités -où Ubisoft est présent- qui étaient en tension" explique Maëlle Blandin, responsable RH. Il a permis au studio de diriger pour la première fois le développement d’un jeu, celui d’Assassin’s Creed Mirage, prévu pour 2023. Une étape charnière pour ancrer sa présence, qui permet au groupe d’investir sur le long terme. "Nous remarquons que Bordeaux attire beaucoup et commence à se concentrer. Il y avait des craintes que l’on cannibalise une partie de la main-d’œuvre, je pense que ça ne s’est pas fait et qu’au contraire, nous avons nourri cet écosystème en formant des talents", assure-t-il.

Une politique d’aides cruciale

L’arrivée d’Ubisoft a posé un jalon dans une industrie qui prend son envol en Nouvelle-Aquitaine, troisième région de France (10,5 %) derrière l’Île-de-France (43,4 %) et Auvergne-Rhône-Alpes (12,8 %) en pourcentage d’entreprises installées. L’écosystème régional repose aujourd’hui sur 14 écoles (1 400 élèves), une centaine d’entreprises et environ 1 000 ETP pour plus de cent millions d’euros de chiffre d’affaires. La Région, qui a inscrit la filière comme prioritaire depuis 2018, subventionne le développement de projets via une aide plafonnée à 150 000 euros. En 2021, elle en a financé neuf pour un total de 541 550 euros.

Ce soutien financier et institutionnel (41 % des entreprises ont recours aux aides régionales selon le Syndicat National du Jeu Vidéo) se construit sur le long terme, notamment à travers SO Games, cluster de la filière, né en 2021 du regroupement des associations Bordeaux Games et Angoulême Jeux Vidéo. "Nous sommes la région la mieux armée en termes d’aides", précise le fondateur de la seconde, à la tête du studio angoumoisin Headbang Club (Double Kick Heroes), David Elahee. "C’est la continuité d’une politique régionale forte et d’une ambition des élus de tous bords pour pousser le secteur de l’image", assure-t-il. "Si Bordeaux est le poumon économique du jeu vidéo dans la région, Angoulême a drainé la bande dessinée, l’animation et pousse aujourd’hui vers le jeu vidéo. Chacun garde son ADN", assure de son côté Stéphane Bonazza, président de SO Games, pour expliquer les rôles respectifs de Bordeaux et Angoulême, les deux poumons régionaux du secteur.

Le précurseur Kalisto

L’histoire locale du jeu vidéo a braqué les projecteurs sur Bordeaux dès les années 90 avec l’expansion puis la chute du développeur et éditeur Kalisto, précipitée par l’éclatement de la bulle internet. L’ancien fleuron a fait des petits et créé beaucoup d’expertise. "Avec la présence des écoles, beaucoup de développeurs se concentrent ici. Il y a une créativité énorme, des gens très qualifiés, dans une région ayant une longue tradition d’exportation", ajoute David Elahee.

Le pôle de développement économique Magelis d’Angoulême, créé en 1997 et porté par des collectivités publiques (Conseil départemental, Région, Ville, Communauté d’agglomération), fait figure de place forte. "Notre objectif est de faire en sorte que la BD, l’animation et le jeu vidéo se parlent. Nous comptons une vingtaine d’entreprises dans le jeu vidéo, une présence que nous souhaitons renforcer. Le développement des studios bordelais pourrait amener la création d’un studio secondaire ici", espère Frédéric Cros, directeur de la structure.

"En termes de technologies, les logiciels temps réel des développeurs de jeu vidéo intéressent de plus en plus l’animation, les rapprochements deviennent possibles, ce qui donne une raison supplémentaire aux studios de venir à Angoulême", termine-t-il.

En expansion permanente, Magelis réfléchit à la création d’un nouveau bâtiment "totem" pour héberger des studios locaux. "Nous avons besoin de rapprocher les studios pour qu’ils collaborent dans un espace mutualisé qui leur donne plus de puissance. Il n’existe pas de lieu emblématique, de "maison du jeu vidéo" en France. Nous avons l’un des tissus les plus dynamiques, créer un lieu qui reflète ce dynamisme fait sens", ajoute David Elahee.

Les succès d’Asobo

Au-delà d’Ubisoft, les entreprises endogènes se renforcent aussi. Le studio bordelais Asobo (23,7 M€ de CA en 2021, 270 salariés) est l’une des émanations modernes du terreau fertile de Kalisto. Vingt ans après sa création, il enchaîne succès et récompenses, adossé à Microsoft (Flight Simulator) ou à l’éditeur Focus pour sa propre licence (A Plague Tale). En janvier 2021, le fonds d’investissement Sagard NewGen est entré à son capital (pour près de 20 millions d’euros, selon le journal Les Échos). "Le studio a beaucoup grandi et les 12 fondateurs n’étaient plus capables de le porter seuls", affirme Gregory Carreau, responsable business d’Asobo. "C’était aussi un moyen de nous protéger de l’appétit de grands acteurs qui auraient pu perturber nos plans. Nous n’avons rien contre l’idée de faire partie d’un groupe mais c’est encore trop tôt. En tout cas, nous souhaitons pouvoir choisir". Asobo a profité de l’opération pour intéresser 80 salariés à son capital, via des actions gratuites de préférence et un système de rétrocession de la plus-value. Il a recruté 70 personnes depuis janvier et devrait atteindre 29 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022. "Nous grandissons doucement et rejouons notre vie à chaque projet. L’industrie est dynamique, mais reste fragile", assure Gregory Carreau.

Locomotives locales

Si la croissance des locomotives attire, les studios de près de 300 personnes sont loin d’être la norme (ils comptent 11,3 ETP en moyenne en France). Evil Empire, fondé début 2019 par des anciens de Motion Twin, le studio à l’origine du jeu à succès Dead Cells (plus de six millions d’exemplaires vendus), est plus représentatif. En charge des ajouts de contenu du jeu depuis sa sortie, il développe deux jeux encore secrets, prévus pour 2024. Son cofondateur, Steve Filby, dresse un regard amusé sur la croissance locale. "Au début, nous étions de sales gosses. Aujourd’hui, on est des sales ados. Ce n’est pas beaucoup mieux, mais on commence à avoir un début de maturité dans le secteur, rien qu’en termes de professionnalisation. Les gens qui viennent ici savent qu’ils ont le choix entre plusieurs entreprises en fonction de leur projet de vie". Essaimage direct de Motion Twin, cet "empire du mal" (traduction d'Evil Empire, NDLR) s’est servi du succès de Dead Cells comme d’un tremplin pour embaucher ses propres équipes. "Ça a été une passerelle", confirme le dirigeant. Divisé en trois équipes pour une soixantaine de personnes, Evil Empire ne se cache pas d’avoir profité des locomotives locales pour grandir. "On récupère beaucoup de gens d’Ubisoft, d’Asobo… Nous profitons du fait qu’ils prennent des juniors qui ressortent formés, en essayant de nous positionner avec notre propre culture d’entreprise", termine Steve Filby.

Nourrir l’écosystème

Une soixantaine de personnes, c’est aussi l’effectif du studio Shiro, né en 2012 grâce à d’anciens salariés de Motion Twin. En octobre dernier, il a levé près de 50 millions d’euros auprès de la société d’investissement Cathay Capital. "Nous allons lancer deux nouveaux jeux en 2024 et continuer à développer les jeux existants (le dernier "Dune : Spice Wars", a été lancé en avril). Nous sommes devenus éditeurs il y a un an via Shiro Unlimited. Nous avons annoncé deux jeux pour 2023, le troisième est déjà signé et un quatrième est en cours de discussion ", révèle l’un des fondateurs du studio, Nicolas Cannasse. "À terme, nous souhaitons que cette activité représente une part équivalente à notre activité de développeur". Pour Stéphane Bonazza, business developer chez Shiro, l’industrie locale se renforce surtout grâce aux succès de ces jeux. "Leur nombre est incroyable. Ils consolident les entreprises, ce sont les projets qui dirigent la croissance".

Un effet rebond

À Bordeaux, la compétition pour recruter reste rude, les places chères et les profils expérimentés disputés. "Pour faire venir quelqu’un qui n’habite pas dans la région, c’est un énorme problème. C’est aussi difficile de trouver des locaux. Nos 400 m2 dans le centre de Bordeaux sont un atout pour recruter", assure Fabrice Granger, directeur du studio Big Bad Wolf (The Council, Vampire : Swansong), racheté par l’éditeur Nacon en 2018. "Quand Ubisoft est arrivé, nous avons perdu 25 à 30 % des gens. Heureusement, il y a eu un effet de rebond. Ça a créé un écosystème qui fait qu’il est maintenant plus facile de trouver des gens localement. Ceux qui veulent s’installer ont à peu près la même vision. Cela peut participer à la cohérence des choix de design artistique car ils partagent les mêmes appréciations de leur environnement". Cette source de talents devrait continuer de croître : en France, deuxième pays le plus attractif du secteur derrière les États-Unis, on comptait 700 studios de développement en 2021 contre 500 en 2019. Le marché mondial, lui, pèse plus de 300 milliards de dollars en 2022, selon une étude d’Accenture. Largement de quoi renouveler les envies régionales.

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