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Vincent Laudat (CCI Rouen Métropole) : « La métropole doit conserver ses ateliers et ses métiers »
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Vincent Laudat président de la CCI Rouen Métropole Vincent Laudat (CCI Rouen Métropole) : « La métropole doit conserver ses ateliers et ses métiers »

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Président de la CCI Rouen Métropole, Vincent Laudat s’inquiète de l’impact du canal Seine Nord Europe sur l’économie portuaire locale et demande des compensations à l’État. Il souhaite également que les besoins des chefs d’entreprise soient pris en compte lors des prochaines élections municipales et travaille aux dédommagements des entreprises et commerçants impactés par l’incendie de Lubrizol.

"Nous allons présenter aux candidats aux municipales un livre blanc sur les grandes orientations nécessaires au territoire", annonce Vincent Laudat, président de la CCI Rouen Métropole — Photo : Sébastien Colle

Le canal Seine Nord Europe, qui doit relier les 107 kilomètres séparant Compiègne (Oise) et Aubencheul-au-Bac (Nord), est considéré comme stratégique par le gouvernement. Pourtant c’est un projet que vous redoutez. Quels sont les enjeux pour notre territoire ?

Vincent Laudat : On cherche à régler un problème européen sans forcément régler un problème français, et c’est une concurrence importante par rapport à l’Axe Seine, certains peuvent la qualifier de déloyale car les investissements réalisés sur les ports de Rotterdam, Amsterdam et Anvers, sont colossaux en terme de capacité, plus de deux fois ce que nous avons mis, nous, sur l’Axe Seine ces dernières années. On se bat tous les jours avec les acteurs économiques du territoire pour l’activité des ports de Rouen et du Havre. Ce que nous voulons, ce sont des compensations sur l’Axe Seine en matière de réindustrialisation. Rouen est un port céréalier très important, il y a un cours du blé sur la place de Rouen et des capacités de stockage très importantes. Mais, il y a tout à parier que les Hauts de France ne prendront plus la peine de venir jusqu’à Rouen pour livrer leur blé et leurs céréales, car sur le parcours du canal Seine Nord Europe des zones de stockage feront l’interface entre la voie fluviale et les autres modes de transport.

L’idée était de permettre à Dunkerque de se renforcer… Vous n’y croyez pas ?

V. L. : Quid de la concurrence entre Dunkerque et les ports du Nord ? On veut bien habiller le projet avec une étiquette française et nous serions très heureux que ce soit comme ça mais force est de constater que Dunkerque est bien loin de ces ports du Nord de l’Europe en terme de capacité. Il faut qu’il y ait un marché, être compétitif pour faire venir un porte-conteneurs ou un cargo céréalier… Lors de ces grandes planifications, on avait, jusqu’ici, toujours compensé le manque à gagner comme avec la fin du textile dans les années 80, par deux implantations d’entreprises très importantes que sont Renault Sandouville et Cléon. Face aux difficultés que rencontre notre territoire, avec Vallourec, Kleenex, ou encore UPM chapelle d’Arblay, qui ont arrêté leurs activités industrielles, nous voulons trouver des relais de croissance, et au moins bénéficier d’une compensation par rapport aux flux de cette nouvelle concurrence qui sera déloyale. L’industrie reste très importante sur l’Axe Seine, avec 200 000 emplois et 17 % des actifs. L’enjeu est de conserver la compétitivité de notre territoire. Et si le gouvernement estime que nous ne sommes pas compétitifs pour être l’hinterland (zone d'attraction économique, NDLR) de Paris, il faut nous le dire ! Et nous donner les moyens de l’être !

Vous souhaitez interpeller les candidats aux municipales sur les enjeux économiques du territoire. Comment allez-vous procéder ?

V. L. : La chambre de commerce veut que les chefs d’entreprise et commerçants puissent faire remonter leur opinion par rapport aux programmes économiques des candidats. Pour cela, nous avons mis en ligne un questionnaire et des réunions sont organisées dans nos différents territoires, Dieppe, Rouen, Elbeuf, Yvetot, et Neufchatel. Une synthèse de ces travaux sera réalisée sous le nom « Ambition 2030 » et sera présentée à tous les candidats. On va travailler avec les branches, les syndicats patronaux, les unions commerciales, les différents acteurs qui vont donner leur avis, et nous recevrons tous les candidats aux élections. Les grandes lignes seront annoncées au moment des vœux en janvier.

Quels sont les grands axes qui se détachent ?

V. L. : Les infrastructures, l’attractivité, la mobilité, l’innovation, la formation, sont les grandes familles qui émergent, également la fiscalité des entreprises qui est un élément important. À iso périmètre et iso activité, une entreprise en France voit son résultat dégradé d’une douzaine de pour cent par rapport à l’Italie, l’Allemagne, ou encore l’Espagne, étant donné la charge fiscale que porte en plus une entreprise sur le territoire français par rapport au reste de l’Europe. Sans parler de ceux qui font du dumping fiscal comme l’Irlande. Ça reste donc un handicap non négligeable.

"Pour redresser la ville, il faut travailler de manière collective"

Quels sont les points sur lesquels vous souhaitez insister auprès des candidats ?

V. L. : On ne peut pas avoir que de la restauration, du tourisme et du tertiaire dans une ville, on doit aussi avoir des ateliers et des métiers, c’est très important. La partie foncière des entreprises est aussi importante, à un coût raisonnable, mais la cotisation foncière des entreprises (CFE) s’est envolée ces dernières années. Autre point d’importance, la mobilité, avec une partie ferroviaire qui reste très problématique par rapport à notre accès à Paris, même si une partie du problème va être réglée avec l’investissement de la Région dans les nouvelles rames. L’autre point, c’est de redonner une dimension régionale à notre aéroport, car il y a un marché ! La mobilité est importante pour les cadres et les chefs d’entreprise, ce sont des enjeux cruciaux. Une métropole doit avoir une activité sur les fleuves, dans les airs, sur la route et le ferroviaire, on doit avoir toutes ces cartes-là pour être une métropole !

Quels enseignements doit-on tirer de l’incendie de Lubrizol ?

V. L. : Dans le retour sur cet événement, il faudra s’interroger sur le fonctionnement de la cellule de crise, également s’interroger pourquoi, alors qu’on a 80 sites Seveso, on n’a pas la mousse pour éteindre un site Seveso dans son intégralité ? Nous gérons l’aéroport de Rouen, et l’aéroport à des agents moussants de la même catégorie que nous avons mis à disposition des pompiers et qui ont consommé tout notre stock ! Et nous ne sommes pas les seuls ! Malgré cela, ils ont été rapidement à court de réserves. Le dimensionnement d’intervention était trop juste. Que se passera-t-il si un jour Port-Jérôme prend feu ?

Où en est-on des dédommagements aux entreprises ?

V. L. : Le fonds Lubrizol 2 à destination des commerçants et des entreprises, a un objectif de dédommagement forfaitaire qui concerne les dix jours entre le 26 septembre et le 5 octobre, jours les plus forts de la crise. Si vous avez perdu plus de 50 % de votre chiffre d’affaires, c’est 800 € par jour et si c’est sur toute la durée, c’est multiplié par dix, 8 000 € étant le dédommagement maximum. Ça va résoudre une partie des problèmes pour les commerçants de centre-ville qui ont des petites équipes, ça ne va pas résoudre tous les problèmes… On a des entreprises de taille plus importante qui iront sur des dépôts de plaintes et voudront faire marcher l’assurance de Lubrizol et de Normandie Logistique. Car il faut toujours rappeler la répartition sur les 9 000 fûts qui ont brûlé, c’est 55 % chez Lubrizol et 45 % chez Normandie logistique. Une répartition qui sera certainement une clé de répartition des responsabilités le moment venu, lorsque les assureurs se mettront autour de la table.

Comment faire repartir la métropole ?

V. L. : Nous avons vu trois éléments en réunion avec le président de la métropole : une séquence extraordinaire pour Noël, avec illuminations et festivités, pour que les Rouennais oublient cet incendie, car il y a déjà eu les Gilets jaunes, les travaux cœur de métropole, et au final une séquence difficile pour nos commerçants. Deuxième point, faire travailler des sociétés spécialisées dans le référencement Internet pour que les images de Rouen sous le nuage de fumée disparaissent des premières pages quand on tape Rouen. Enfin, - la partie relance de notre image- travailler l’attractivité de façon massive, tous acteurs confondus pour le redressement de la ville. Je vois chez les salariés de Lubrizol une volonté, ils sont très soudés, et veulent repartir plus forts de cet accident. Collectivement, on doit avoir la même envie, pour relancer notre dynamique.

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