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Remade : « Une levée de fonds qui nous donne les moyens de conquérir le monde »
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Matthieu Millet président de Remade Remade : « Une levée de fonds qui nous donne les moyens de conquérir le monde »

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Remade vient de lever 125 millions d’euros. Une opération exceptionnelle pour cette entreprise normande de 850 salariés, spécialisée dans le reconditionnement de smartphones. Pour son fondateur Matthieu Millet, elle marque « le top départ de la conquête du marché international ».

— Photo : Remade

Le Journal des Entreprises : Vous venez de réaliser l’une des plus importantes levées de fonds du moment, en effectuant un tour de table de 125 M€ réunissant LGT European Capital, Idinvest Partners et Swen Capital Partners. Comment êtes-vous arrivé à convaincre les investisseurs, cinq ans seulement après la création de Remade ?

Matthieu Millet : Nous avons réussi à démontrer que notre modèle économique, qui consiste à reconstruire un smartphone et à le vendre, s’appuie sur un marché mondial durablement porteur. Notre processus de production est unique en son genre : nous déconstruisons les smartphones pour en isoler l’intégralité des composants techniques, électroniques et esthétiques, afin de reconstruire un smartphone de qualité premium qui répond à une promesse en trois points : technique (fonctionnement parfait), esthétique (qualité premium sans rayure), expérience client (respectueuse du constructeur).

Nous n’utilisons que des pièces d’origine constructeur. Ce process nous permet de créer massivement des emplois (RemadeGroup emploie plus de 850 employés – NDLR), mais aussi de gagner de l’argent (le CA 2017 s’est élevé à 131 M€- NDLR). La forte croissance de Remade s’appuie sur un marché porteur et au fort potentiel : il était temps pour nous de lever des fonds, pour faire grandir la société et dupliquer notre modèle économique sur d’autres territoires.

Nous avons donc travaillé à construire un business plan approfondi et demandé plusieurs audits auprès de cabinets spécialisés : un audit stratégique, des audits financiers, et un audit prévisionnel. Tous ont été unanimes : nos prévisions ont été jugées réalistes, tant au regard de la stratégie du marché, que concernant nos statistiques de production.

D’où viennent les portables que vous reconstruisez et quels sont vos distributeurs ?

M.M : Nous achetons des smartphones en masse auprès d’opérateurs téléphoniques ou d’autres structures qui les collectent auprès des particuliers (renouvellement, dommages…) et ce à travers le monde, essentiellement en Europe et aux États-Unis.

Nous les revendons à travers les réseaux de GSS (Fnac, Darty, Boulanger…) et GSA (Auchan, Carrefour…) dans une démarche pédagogique d’explication du produit, le distributeur étant un gage de confiance pour ce nouveau type de produit. Nous travaillons également à la mise en place de contrats de vente avec les opérateurs à court terme.

Le marché semble en pleine croissance en France et à l’étranger… Quelle concurrence avez-vous en face de vous ?

M.M : Le marché est attractif par sa forte croissance en France et dans le monde, et par l’intérêt de plus en plus marqué des clients. Mais aucun concurrent ne maîtrise aujourd’hui l’intégralité de la chaîne de valeur, comme le fait Remade, en intégrant son industrie dans son activité. Sans sous-traitance et avec un outil performant, grâce notamment à l’investissement R&D, nous reconstruisons un smartphone au-delà du reconditionnement esthétique. Nous proposons donc un produit garantie 1 an, dont l’ensemble qualité produit et démarche industrielle ne trouve pas d’équivalent sur le marché.

Quelle va être votre stratégie de développement à l’international ?

M.M : Remade a déjà une usine à Miami qui va être déménagée pour s’adapter au fort potentiel de ce marché. Une usine est prévue également au Maroc, pour adresser l’ensemble du continent africain, avec notre partenaire sur place. Depuis début 2018, nous commercialisons déjà des produits Remade au Maroc. Nous vendons également en Europe (France, Espagne, Portugal…). Nous partons aussi à la conquête de l’Asie : l’Inde possède un potentiel phénoménal. Enfin, nous sommes en discussion avec la Chine.

« Remade souhaite capter 7 à 10 % du marché mondial d’ici deux à trois ans. »

Notre chiffre d’affaires à l’international reste encore faible mais tend à fortement évoluer, puisque Remade souhaite capter 7 à 10 % du marché mondial d’ici deux à trois ans. La récente levée de fonds va permettre de structurer ce projet de croissance internationale et de financer l’implantation de la marque, en propre ou avec des partenaires déjà implantés, avec ou sans usine. Les conditions dépendent des territoires et de l’analyse du marché que nous réalisons pour chaque développement.

Quel va être le rôle du site de Poilley, dans la Manche, dans ce développement ?

M.M : Notre stratégie sur le site de Poilley est très claire : nous produisons pour toute l’Europe. Tout ce que l’on a déjà mis en place, les bâtiments comme l’embauche de personnels, reflète les prémices de ce marché qui commence tout juste à se structurer. Tous les emplois que nous avons créés, et qui peuvent paraître déjà importants, ne sont rien, comparé à la capacité de ce marché ! Nous travaillons dans un domaine qui nécessite beaucoup de main-d’œuvre. Même si nous pouvons automatiser certaines tâches et abaisser ainsi les coûts de production, il reste beaucoup de tâches qui ne peuvent être effectuées que manuellement.

Nous allons donc continuer à recruter et à former de nouveaux collaborateurs, en renforçant notamment notre service rétro-ingénierie qui étudie le fonctionnement interne des appareils, et les services méthodes. Tous les ingénieurs intéressés par notre entreprise sont invités à postuler ! Le site normand emploie déjà plus de 430 salariés et va recruter plus de 200 collaborateurs en 2018.

En 2017, vous aviez racheté Save (500 salariés, 70 points de vente), le spécialiste de la réparation express des objets connectés. Comment ce rachat se positionne-t-il dans le développement de Remade ?

M.M : Nous avons franchisé 50 % du réseau à ce jour. Les principales pannes rencontrées par les clients de Save concernent les écrans cassés, et c’est l'un des cœurs du métier de Remade. Il y a là une vraie complémentarité entre les deux activités : nous allons faire jouer les synergies entre nos services supports pour massifier les volumes et abaisser les coûts de production. Nous préparons actuellement une nouvelle stratégie visant à présenter un nouveau service réparation, qui passera des 20 minutes actuelles à 5 minutes.

Vous souhaitez transformer en campus à l’américaine l’écoparc de Tirepied, situé à côté du siège social de Remade ?

M.M : Cela s’appelle l’anticipation ! Toute la stratégie réside dans l’habilité à prévoir un, deux, voire trois coups d’avance. À nous de savoir si les mètres carrés seront suffisants pour les années à venir et s’ils vont répondre à notre process d’industrialisation. Manifestement, la réponse était non.

« Toute la stratégie réside dans l’habilité à prévoir un, deux, voire trois coups d’avance. »

La reconstruction d’un smartphone nécessite plusieurs traitements très différents qui ne peuvent co-exister dans un même bâtiment. Le travail sur la partie électronique et l’écran doivent se dérouler en salle blanche, où il n’y a pas une seule poussière ; ce qui n’est pas le cas pour les process sur les coques arrière qu’il faut sabler. L’éco-parc, installé sur 35 hectares, et constitué de 25 bâtiments, va nous permettre de regrouper l’activité sur un seul site, tout en ayant des unités de production séparées les unes des autres. Le complexe devrait être opérationnel d’ici trois à cinq ans.

Comment la montée en puissance de l’entreprise est-elle vécue par vos salariés ?

M.M : L’ADN de l’entreprise, c’est la confiance réciproque. Nous nous sommes battus, ensemble, avec tous les collaborateurs pour atteindre cet objectif. Mais ce n’est que le premier palier. Maintenant, c’est le vrai top départ. On passe aux choses sérieuses !

Remade symbolise la véritable « success story made in Normandie ». Quel conseil donneriez-vous à un chef d’entreprise qui souhaite se lancer ?

M.M : Étant moi-même Normand, je ne regrette pas d’avoir implanté mon entreprise en Normandie, car le territoire regorge d’une main-d’œuvre exceptionnelle. Avant de se lancer, il faut d’abord se poser les bonnes questions, s’entourer d’une belle équipe, essayer d’anticiper et avoir une bonne vision des barrières à l’entrée. Ce qui compte, c’est la hauteur de la barrière. Certains la voient à un mètre, d’autres à deux ou trois… Une fois que l’on connaît sa propre barrière, on appréhende mieux l’obstacle quand il apparaît. Après, il suffit de se lancer.

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