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Didier Herbeaux (ArianeGroup Vernon) : « Ariane 6 va nous apporter plus de souplesse sur le marché du spatial »
Interview Eure # Spatial # Investissement

Didier Herbeaux directeur de l'établissement d'ArianeGroup à Vernon Didier Herbeaux (ArianeGroup Vernon) : « Ariane 6 va nous apporter plus de souplesse sur le marché du spatial »

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Directeur d’établissement d’ArianeGroup à Vernon (Eure), Didier Herbeaux mène de front les développements du moteur Vulcain 2.1 à destination du nouveau lanceur Ariane 6, et son rôle à la tête du Groupement interprofessionnel de la région de Vernon (GIRV) pour animer la zone économique de son territoire.

"Ariane 6 permettra de réduire le coût global de mise en service d’un lancement de 40%", affirme Didier Herbeaux directeur de l'établissement d'ArianeGroup à Vernon — Photo : S.C

Le Journal des Entreprises : Vous venez d’être élu à la tête du Groupement interprofessionnel de la région de Vernon (GIRV). Qu’est-ce qui vous a amené à vous investir ?

Didier Herbeaux : J’ai connu le GIRV il y a maintenant de nombreuses années, via l’établissement de Vernon d’ArianeGroup qui est un membre de droit du conseil d’administration, et je suis entré au conseil d’administration de cette association locale de chefs d'entreprise. Mais je l’ai également connu en tant que maire d’Houlbec Cocherel (de 2008 à 2014, NDLR), car chaque année j’étais invité à une assemblée générale dédiée au monde politique.

Le GIRV est une institution locale fondée en 1944, d’abord destinée au monde industriel. C’est le plus gros groupement professionnel de l’Eure avec 140 membres, qui emploient 9 000 salariés. Au sein de ces entreprises, ArianeGroup est le plus gros employeur du bassin d’emploi de Vernon avec plus de 1 000 personnes. Je m’investis car je veux pérenniser cet héritage du GIRV et contribuer à son essor, mais aussi parce que je crois beaucoup au rôle social de l’entreprise. Au GIRV, nous avons toutes les tailles d’entreprises, du grand groupe à la TPE, et, pour moi, au sein de ce groupement, les plus costauds doivent épauler les plus petits. De plus, moi qui n’ai connu qu’une seule entreprise dans ma carrière (32 ans au sein d’ArianeGroup, NDLR), je suis aussi très intéressé par la vie et le fonctionnement d’autres entreprises.

Quelles sont vos priorités à la tête du GIRV ?

D. H. : J’ai un cheval de bataille, celui de la formation. Avec le GIRV, je veux promouvoir l’alternance comme vecteur de formation. Pour un site comme celui d’ArianeGroup à Vernon, prendre un apprenti ne pose pas de difficultés, ce n’est qui n’est pas le cas d’une TPE. Je veux trouver des moyens de mutualisation. Je veux aussi que l’on s’interroge sur ce que l’on apporte à nos membres, car il faut être efficace. Pour cela, le salon annuel du GIRV est un bon exemple de réalisation qui permet aux entreprises de se rencontrer. Et ce n’est pas uniquement une vitrine, il permet aux entreprises de se présenter à d’éventuels prospects et partenaires. C’est du concret !

Comment se porte la zone économique de Vernon ?

D. H. : Nous avions remis un questionnaire à nos adhérents. Nous avons obtenu les résultats fin septembre. Nous avons constaté un regain d’optimisme, mais depuis ces résultats de nombreuses petites entreprises ont souffert avec le mouvement social des Gilets jaunes. Si deux tiers de nos adhérents ont exprimé cet optimisme, il reste deux secteurs d’activité difficiles, le BTP et la grande distribution, avec un pouvoir d’achat affaibli, notamment en matière de biens de consommation courante. Mais au global, les chefs d’entreprise ont une vision optimiste, notamment dans l’industrie, avec des chiffres d’affaires en hausse, même si les marges se réduisent et peuvent induire un effet négatif sur les capacités d’investissement.

Vous parlez du bon fonctionnement de l’économie locale en matière industrielle, mais qu’en est-il d’ArianeGroup ?

D. H. : ArianeGroup est détenu à parts égales par Safran et Airbus et dispose de deux piliers économiques avec Ariane et la Défense stratégique. La société a décidé d’utiliser ces savoir-faire pour promouvoir d’autres secteurs de services et d’équipements. Ainsi à Mailly-le-Camp (Aube), le groupe a déployé le dispositif Sequoia destiné à la destruction de toutes les munitions de la Première Guerre mondiale qui contiennent potentiellement beaucoup d’éléments chimiques nocifs. Les poudres et éléments chimiques font partie de nos compétences et le groupe a la volonté de les mettre en œuvre dans de nouveaux domaines d’activité, pour des raisons de business et afin de maintenir nos compétences.

Où en sont les développements du moteur du futur lanceur Ariane 6, spécialité du site de Vernon ?

Photo : S.C

D. H. : Effectivement, au sein d’ArianeGroup le site de Vernon est dédié à la motorisation d’Ariane sous l’aspect propulsion liquide. Nous allons de la conception à la mise à disposition de la fonction propulsive à Kourou, en Guyane. Le site de Vernon a toujours fonctionné comme une business unit autonome. Nous développons des programmes de R&D qui ne se font pas en fonction d’un moteur précis, mais en fonction de données. Ces dernières années, le procédé phare qui a été exploré pour la réalisation de nos moteurs, c’est la fabrication additive, l’impression 3D métallique.

Aujourd’hui, nous produisons à Vernon le moteur Vulcain 2 qui constitue l’étage principal d’Ariane 5 et le moteur de l’étage supérieur HM7, deux moteurs cryotechniques qui fonctionnent à l’oxygène et à l’hydrogène liquide. Pour Ariane 6, nous développons le moteur Vulcain 2.1, une évolution du Vulcain 2 qui apporte une simplification et un certain nombre de technologies destinées à réduire les coûts de production. À l’étage supérieur de ce nouveau lanceur, on trouve le nouveau moteur Vinci entièrement développé à Vernon.

Que va apporter ce nouveau moteur au lanceur Ariane 6 ?

D. H. : Le moteur Vinci va permettre à notre lanceur de passer une étape. Sa grande caractéristique et qu’il pousse beaucoup plus fort que le HM7 et surtout, c’est un moteur réallumable. Avec Ariane 5, il n’y a qu’un type de mission possible, le lancement de deux gros satellites en orbite géostationnaire. Notre problème est d’avoir été attaqué sur le marché des satellites de taille moyenne et aujourd’hui il y a des missions qu’on ne peut pas mener avec Ariane 5. Le projet Ariane 6, c’est la possibilité de répondre à de multiples demandes et de mettre en place des constellations de petits satellites, ce qui va nous apporter une grande polyvalence.

« Avec Ariane 6, nous avons beaucoup travaillé sur nos process industriels, car nous voulons produire en deux fois moins de temps. »

Ariane 6 vient pour répondre à deux exigences du marché. D’abord la réduction des prix, puis la multiplicité des demandes. Au total, Ariane 6 permet de réduire le coût global de mise en service d’un lancement de 40 %. Pour arriver à ce résultat, nous avons beaucoup travaillé sur nos process industriels, notamment sur les questions de gain de temps et sur la durée du cycle, car nous voulons produire en deux fois moins de temps. Aujourd’hui, nous produisons entre 5 et 10 moteurs par an par famille de moteur (Vulcain, HM7, NDLR) avec un coût de 10 millions d’euros pour un moteur Vulcain. Demain, avec le Vulcain 2.1 et un premier vol annoncé d’Ariane 6 en 2020, ce sera 6 millions.

À quelle concurrence êtes-vous confronté ?

D. H. : Nous avons deux types de concurrence. Celle du marché commercial avec des sociétés comme Space X. Et une seconde concurrence avec des pays qui cherchent leur indépendance dans le domaine spatial. Des pays qui ont été nos clients comme l’Inde. Aujourd’hui, la clientèle se cherche face aux différents types de satellites et de moins gros satellites sont lancés en production. Et c’est là qu’est notre difficulté, car la concurrence est un jeu naturel qui peut faire progresser, mais lorsqu’un marché a du mal à se positionner, les choses deviennent plus compliquées. D’où l’intérêt de l’arrivée d’Ariane 6 afin de nous offrir plus de souplesse.

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