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Guerre économique : comment les PME bretonnes peuvent se protéger
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Guerre économique : comment les PME bretonnes peuvent se protéger

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Haut lieu de la cyberdéfense, la Bretagne Sud ne doit pas oublier ses entreprises, de plus en plus exposées aux conséquences des formes modernes de guerre dite "économique". Terre de PME, elle est aussi en première ligne, les grands groupes ayant pris leurs précautions. Et la menace peut être plus insidieuse qu'il n'y paraît...

Alexandre Medvedowsky, président du Syndicat français de l’intelligence économique (Synfie) : « La guerre économique touche en particulier les sous-traitants de rang 1, 2 voire même 3. » — Photo : Xavier Eveillé - Le JDE

« La menace de guerre économique est à prendre au sérieux. Aujourd’hui, je ne rencontre pas un dirigeant qui dit ne jamais avoir été touché par une tentative de piratage ou de vol de données. » Président de la CCI du Morbihan, Pierre Montel dénonce l’angélisme vis-à-vis de ce phénomène, décrit par le rapport Martre en 1994 comme l’« ensemble des actions coordonnées de recherche de traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de l’information utile aux acteurs économiques ». « Il ne faut plus être naïfs », estime-t-il. L’émergence d’un écosystème local dans la cyberdéfense l'a ainsi convaincu de travailler sur ce sujet avec la délégation régionale du Syndicat français de l’intelligence économique (Synfie), dirigée par Olivier Cardini.

Lorient, au-delà du symbole

C’est peut-être pour souligner cet engagement local qu'a symboliquement été lancé à Lorient, en mai, l’Observatoire national de l’intelligence économique. Ce « Tracfin » de la veille sur l’espionnage industriel va être piloté depuis Paris par une quinzaine de spécialistes rattachés au Synfie. L'implication symbolique de Lorient vise surtout à sensibiliser le tissu économique local, exposé de plusieurs manières aux formes modernes de guerre économique, notamment via la chaîne de sous-traitance navale et aéronautique.

« S’emparer de cette problématique ne consiste pas seulement à savoir faire face à des cyberattaques étrangères, prévient Alexandre Medvedowski, le président du Synfie. C’est aussi comprendre pourquoi tel marché s’est soudainement fermé, pourquoi tel autre pourrait en faire de même... » Selon lui, « nous sommes passés d’une guerre des prix et technologique à une guerre économique totale : vol de données, déstabilisation sur les marchés financiers, fake news… Les entreprises n’imaginent même pas que cela puisse se produire mais il suffit de quelques millisecondes. » Avec le nouvel Observatoire national de l’intelligence économique, l’objectif est de « faire en sorte que les entreprises aient un lieu opérationnel où faire remonter le plus rapidement possible leurs menaces. Les entrepreneurs ne savent pas toujours vers qui se tourner et quand ils réalisent qu’ils sont ciblés, c’est souvent trop tard. »

Les sous-traitants de rangs 2 et 3 exposés

Face à ces attaques multiformes, la riposte s’organise trop souvent en ordre dispersé. « Les pouvoirs publics ont enfin pris la mesure du problème depuis la loi Sapin II, mais c’est un peu tard », renchérit Patrick Devaux, conseiller en intelligence économique et en stratégie opérationnelle chez Airbus, vice-président du Synfie. Si les Russes sont très actifs sur les réseaux sociaux et dans les sphères politiques, les deux principales menaces sont bien chinoise et américaine : « Les premiers ne s’attaquent plus autant à des groupes comme Airbus, très sécurisés, mais plutôt aux sous-traitants de rang 1, 2 ou même 3… Quant aux États-Unis, ils ont créé l’extraterritorialité de la loi américaine depuis les lois antiterroristes avec un souci majeur aujourd’hui : ils s’en servent aussi contre les intérêts économiques européens, qui sont plus faciles à atteindre ! Ils l’utilisent pour des faits, mais aussi pour des soupçons de corruption ou de détournement d’argent. » Les Américains ont ainsi dans le collimateur de grandes banques françaises, de grands industriels… Ils ont aussi semé le trouble en imposant leurs sanctions contre l’Iran à l’Union européenne. En Morbihan, l’entreprise Copex, qui fabrique des machines-outils pour l’industrie, le recyclage et l’agroalimentaire, avait dû se repositionner. Elle a délaissé l’Iran pour… le marché américain.

Une menace intérieure ?

Ces menaces ne sont pas seulement « frontales », témoigne Christophe Legras, directeur du développement chez Meunier Industries Mind Group, basé à Brest et présent à Lorient, Rennes et Paris. Elle peut être indirecte et passive, et provenir des équipes. « Il faut contractuellement se préserver. Les jeunes générations bougent beaucoup, changent d’employeurs, vont parfois chez la concurrence étrangère. » Une concurrence à l’affût, qui ne manque pas de poser des questions. « Ça aussi, c’est la guerre économique. »

S’agissant de la sécurisation des entreprises à proprement parler, l'équipementier sud-breton spécialiste de la course au large CDK Technologies s’y prépare aussi. « Mais nous sommes effarés par certains devis de prestataires », observe le directeur général adjoint, Yann Dollo (voir plus bas). Même constat chez le quimpérois ENAG, fabricant d'équipements industriels dans la conversion d’énergie : « On me demande 30 000 euros pour sécuriser mon site et je découvre que ce devis n’inclut pas des travaux que je dois réaliser en sus », s’indigne son président Henri Le Gallais. Un autre enjeu pointe à l'horizon : en temps de "guerre", il faut aussi se prémunir de ceux qui cherchent à en profiter.


« Les hommes, à la fois notre force et notre faiblesse »

Photo : @ CDK

Directeur général adjoint chez CDK Technologies (environ 70 salariés, chiffre d’affaires non communiqué), l’une des références dans la construction de bateaux et de pièces pour la course au large, Yann Dollo a conscience des risques que sous-tend la nouvelle « guerre » économique : « Nous devons sécuriser nos process, préserver notre confidentialité. » Si la concurrence n’est pour l’entreprise bretonne, basée à Port-La Forêt et Lorient, ni chinoise ni américaine mais plutôt britannique, italienne et néo-zélandaise (et du reste, principalement vannetaise !), CDK n’échappe pas à la guerre économique : « Nos risques sont doubles : nous vivons de la communication mais devons paradoxalement nous en préserver en limitant au maximum les photos de ce que nous faisons dans nos ateliers et en nous retranchant derrière la communication officielle du client. Nous sommes aussi exposés à ce que nous appelons dans le métier les 'bruits de ponton'. La Bretagne-Sud est l’épicentre de la course au large, un monde où les équipes du monde entier se côtoient. Or, les hommes restent notre principale force, mais aussi notre principale faiblesse. La moindre discussion anodine au bar du coin ou sur un ponton – on sait tous que c’est un milieu où tout le monde se retrouve, régate ensemble – peut laisser fuiter la toute dernière innovation maison ou la signature imminente d’un marché… »

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