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Center Parcs de Roybon : dans les coulisses d’une communication de crise
Enquête Isère # Hôtellerie

Center Parcs de Roybon : dans les coulisses d’une communication de crise

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Après l’annonce de l’abandon du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, une autre Zad maintient ses positions. En Isère, le bras de fer a débuté en 2014 autour du projet de Center Parcs à Roybon. Enjeux : des centaines de millions d’euros d’investissement et 700 emplois face à la préservation d’un site naturel. La décision du Conseil d’Etat devrait être annoncée cette année mais d’ici là, la guerre de communication fait rage. Décryptage.

— Photo : Pierre & Vacances

Il aurait dû voir le jour fin 2017. Lancé dix ans plus tôt, le Center Parcs de Roybon promettait de créer 700 emplois directs dans la forêt des Chambarans (Isère). Avec un budget global estimé à 390M€, le projet devait s’étendre sur 150 hectares de forêt, mêlant des cottages et une bulle aquatique chauffée à 29 °C. Mais après plusieurs années de recours, la société Pierre & Vacances attend toujours une décision du Conseil d’Etat, car son projet est soumis à l'application de la loi sur l'eau.

Des recours juridiques comme un symptôme de notre époque, pour Thierry Libaert, auteur spécialisé dans la communication de crise. Selon lui, on assiste à une remise en cause des projets d’envergure, « qui force les maîtres d’œuvres, comme Pierre & Vacances, à intégrer la co-construction, peu importe la nature des projets ».

Voies juridiques

L’émergence des zadistes complexifie aussi la donne. « Il est possible de discuter et négocier avec les opposants traditionnels, mais avec les zadistes, c’est un non définitif. » A tel point que des associations comme la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna) s’en désolidarisent. « Nous utilisons les voies juridiques, tandis que les zadistes prennent celles de l’occupation », résume Emmanuel Wormser, juriste bénévole pour la Frapna. Il concède toutefois un intérêt commun : « s’ils n’avaient pas été là, le Center Parcs serait déjà érigé. Leur présence a permis au juge d’avoir le temps de statuer. »

Michel Pierre, membre du bureau de l’association « Pour les Chambaran sans Center Parcs » (PCSCP), revendiquant 500 adhérents, admet quant à lui qu’il puisse y avoir, au sein de son association, « différentes sensibilités ».

Aucun zadiste n’a donné suite à nos demandes d’interview et la réunion hebdomadaire annoncé dans un squat grenoblois n’existerait finalement plus depuis plusieurs mois. S’ils profitent d’une communauté de sympathisants sur les réseaux sociaux, les zadistes se font surtout discrets et occupent le terrain, empêchant les bulldozers de faire leur œuvre.

Des arguments bien rodés

Du côté des acteurs officiels en revanche, la stratégie de communication est bien rodée. « A Roybon, comme à Notre-Dame-des-Landes, les politiques et les entreprises avancent la notion d’intérêt général avec les emplois créés. Les opposants défendent des arguments comme la protection de la planète et des espèces menacées », avance Vassili Joannides, professeur à Grenoble Ecole de Management (GEM).

Thierry Libaert remarque que « les opposants étudient les grands dossiers - type Larzac - pour comprendre comment ses prédécesseurs ont gagné certaines luttes ». Leur méthode ? Communiquer sur le plus de fronts possibles, et généraliser le combat. « On ne se bat pas uniquement contre un Center Parcs, mais pour un territoire qui devient un enjeu politique », illustre l’enseignant.

Sur ce point, Valérie Lauthier, directrice de la communication du groupe Pierre & Vacances, affirme que « la priorité pour le groupe a été de développer une stratégie de communication informative, car il y avait des divergences sur les caractéristiques du projet, comme la superficie ou les zones humides ». Pierre & Vacances s’est aussi prudemment rangé derrière les acteurs politiques, régionaux notamment, qui ont tous manifesté leur soutien, à l’exception d'Europe-Ecologie Les Verts. Une subvention de 4,7M€ avait même été votée dans le budget 2016 de la Région. « Le meilleur porteur de projet n’est jamais l’entreprise elle-même », traduit Thierry Libaert.

La bataille de la toile

Comme à Notre-Dame des Landes, le conflit s’exporte aussi sur la toile. « On observe à Roybon, Notre-Dame-des-Landes, ou au barrage de Sivens le même mode opératoire, avec des actions coup de poing, des téléphones portables qui filment et postent sur les réseaux, des listes de diffusions... », observe Vassili Joannides. Une stratégie qui permet à l’opposition de s’affranchir des canaux de diffusion traditionnels.

De son côté, le groupe Pierre & Vacances a lancé un blog d’information, Projet Roybon, où elle expose ses propres arguments. Mais entre chaque décision de justice, la société se fait discrète. « Depuis notre dernière communication, en décembre 2016, concernant le pourvoi en cassation, nous sommes en attente du jugement et n’avons pas d’éléments nouveaux à communiquer », indique Valérie Lauthier. « Les gens ne veulent pas avoir l’impression que le projet est déjà ficelé, sinon il est perçu comme un bulldozer en marche », décrypte Thierry Libaert.

Répercussions directes

Malgré ces relais, le dossier isérois peine à résonner sur la scène nationale. « Roybon est avant tout un problème d’expropriation sur un site protégé par une entreprise privée. Notre-Dame-des-Landes est la même chose, mais avec la complicité de l’Etat », résume Vassili Joannides. Il rappelle que la présence de Jean-Marc Ayrault, ex-maire de Nantes, avait largement œuvré en faveur du projet, lorsqu’il était Premier ministre.

« A l’inverse d’un aéroport, Roybon peut, au contraire, être vu par les citadins comme un espace de loisir sympathique, ce qui ne facilite pas la mobilisation », ajoute Thierry Libaert. Si Emmanuel Wormser, à la Frapna, estime que ce dossier est avant tout un enjeu régional, il admet qu’une annulation du dossier aurait « des répercussions directes » sur deux autres projets menés par Pierre & Vacances dans le Jura et la Saône-et-Loire, « qui présentent le même concept de bulle aquatique ».

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