Meurthe-et-Moselle
Martin Pietri (Emaux de Longwy) : « Les émaux plaisent, mais la marque demeure peu connue »
Interview Meurthe-et-Moselle # Luxe # Artisanat

Martin Pietri président de la Manufacture des Emaux de Longwy 1798 Martin Pietri (Emaux de Longwy) : « Les émaux plaisent, mais la marque demeure peu connue »

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Malgré une année chahutée, le président de la Manufacture des émaux de Longwy 1798 croit plus que jamais en l’avenir de la célèbre maison lorraine. Désormais seul aux commandes, il part à la conquête du marché nord-américain en posant un pion à New York.

« Parmi les actionnaires du groupe, j’étais le seul à croire en l’avenir de la manufacture », explique Martin Piétri, le président de la Manufacture des Emaux de Longwy 1798 — Photo : © Philippe Bohlinger

Quel bilan tirez-vous cinq ans après la reprise de la Manufacture des émaux de Longwy 1798 ?

Martin Pietri : Mes sentiments restent partagés. Nous avons beaucoup œuvré en termes de créativité et de design depuis la reprise de la manufacture en décembre 2015, alors qu’elle était sous le coup d’une procédure de redressement judiciaire. Nous avons retravaillé la désirabilité de la marque, investi fortement dans le marketing, avec une plus grande présence sur les réseaux sociaux, etc.

L’année 2020 devait être celle de notre retour à la rentabilité. Jusqu’à la mi-mars, nous tenions nos objectifs… Le premier confinement nous a donné l’impression d’être abattus en plein vol, même si nous comprenons tout à fait la prééminence des enjeux sanitaires. Heureusement, l’État a joué son rôle à fond, tout comme les collectivités territoriales. Sans leurs actions nous n’aurions pas passé l’année. Nos clients nous ont également adressé de nombreux messages d’encouragement ; certains nous ont commandé d’imposantes pièces pour nous soutenir. Notre site de vente en ligne s’est imposé comme un relais de croissance dans un contexte où nos boutiques à Metz, Nancy et Longwy, ainsi que notre quarantaine de revendeurs ont été contraints de baisser temporairement leurs rideaux. Internet a représenté un quart des 1,2 million d’euros de chiffre d’affaires réalisés l’an dernier. Ce n’est pas suffisant, mais c’est encourageant.

Quelles sont vos perspectives pour cette nouvelle année ?

Martin Pietri : L’envie de se faire plaisir dans le contexte d’incertitude actuel est palpable. La décoration est une manière de voyager sans sortir de chez soi ! Cette tendance se double d’une volonté accrue des consommateurs de soutenir le savoir-faire local. La manufacture compte bien tirer parti de ce mouvement.

Nous espérons également récolter les fruits des nouveautés lancées en septembre dernier : le tabouret Bishop dessiné par India Mahdavi et le vase Chou imaginé par Pierre Gonalons. La réputation de ces deux designers nous apporte un supplément de visibilité. C’est précieux, car nous souffrons d’un déficit de notoriété en dehors de l’hexagone en comparaison avec les fleurons lorrains du luxe lorrain que sont Daum, Baccarat et Saint-Louis. L’enjeu consiste à muscler notre marque, afin de porter la part des ventes à l’export de 15 à 50 %.

À ces fins, nous finalisons un partenariat avec la plateforme américaine d’ameublement et de décoration haut de gamme Perigold. Le référencement auprès de ce détaillant en ligne demeure un processus lourd pour une petite maison de 30 salariés comme la nôtre. Mais il est essentiel. Parallèlement, nous négocions avec des réseaux de distribution chinois. Enfin, nous allons appliquer le principe commercial de chasser en meute. J’ai les forces des quatre maisons de mon groupe, Emblem, afin de monter une opération à New York. Nous y ouvrirons au printemps un espace au sein du showroom du spécialiste du luminaire, Alain Ellouz. Je crois beaucoup au marché nord-américain. C’est un marché mature où les clients disposent de la culture nécessaire à la compréhension de nos produits.

Parallèlement, côté atelier, nous avons entamé l’ascension de notre Himalaya. En l’occurrence, la fabrication d’une nouvelle version du plus imposant moule de la Manufacture des Emaux de Longwy 1798. Ses huit étages permettront la production de vases de 1,5 mètre de hauteur vendus autour de 40 000 € l’unité.

Quels sont les enjeux pour progresser à l’export ?

Martin Pietri : Notre principal défi consiste à faire découvrir nos produits et à les faire aimer. Or, c’est très compliqué quand les contacts se limitent à de la visioconférence, en raison de la crise sanitaire. Généralement, les émaux plaisent beaucoup, mais la marque demeure peu connue. Et si la porcelaine est réputée sur le plan mondial, ce n’est pas le cas de la technique des émaux, un décor sur céramique par émaillage cloisonné. Il faut décrire la délicatesse et la finesse nécessaires à l’élaboration des couleurs, au dépôt des contours des décors par l’intermédiaire de calques, à l’application de l’émail goutte à goutte avant cuisson, etc. Mais nous avons de nombreux atouts à faire valoir : le « made in France », l’histoire de notre maison fondée en 1798 et le prestige associé à Napoléon 1er qui a contribué à la réputation de la manufacture en commandant des services de table pour les Maisons impériales de la légion d’honneur.

D’où votre attachement à la manufacture longovicienne vient-il ?

Martin Pietri : La fabrication d’émaux demeure un métier d’émotion qui mobilise un savoir-faire extraordinaire. Je ne me laisserais pas entraîner par ce bouillonnement si je ne pensais pas que la rentabilité économique était possible.

Parmi les actionnaires du groupe Emblem (60 personnes, 4,8 millions d’euros de CA), j’étais le seul à croire en l’avenir de la manufacture et le seul à exercer des fonctions opérationnelles. C’est pourquoi j’ai racheté la totalité des parts de mes quatre associés à l’automne dernier. Ce holding détient 100 % de la manufacture, ainsi que trois maisons œuvrant dans le mobilier : le spécialiste de la dorure à la feuille d’or Vernaz et filles (Essonne), l’atelier de marqueterie Craman-Lagarde (Haute-Garonne) et le fabricant de meubles de haute facture Taillardat (Orléans). L’activité dans le mobilier se porte très bien et soutient la production des émaux.

Qu’est-ce qui vous a conduit dans cette aventure ?

Martin Pietri : En apparence, rien ne me prédestinait à ce parcours entrepreneurial. D’origine corse, j’ai obtenu mon agrégation d’économie-gestion en 1995. J’ai travaillé au sein des structures de formation continue de l’ENA et du ministère de l’Économie. J’ai ensuite quitté le confort de la fonction publique pour rejoindre l’éditeur de logiciels libres Linagora. Cette dernière expérience m’a donné le virus de l’entreprenariat, un virus plus sain que celui que nous connaissons actuellement, mais dont on ne guérit pas !

Mon arbre généalogique explique en partie ma passion pour les maisons d’artisanat d’art. En effet, je suis descendant direct d’une dynastie d’ébénistes qui rayonna aux XVIIIe et XIXe siècles, les Jacob et Jacob-Desmalter. Cette culture est toujours restée très ancrée dans ma famille.

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