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Jean-Jacques Depuydt (Fives Nordon) : « Les entreprises françaises ne sont pas assez solidaires »
Interview Nancy # Industrie

Jean-Jacques Depuydt président de Fives Nordon Jean-Jacques Depuydt (Fives Nordon) : « Les entreprises françaises ne sont pas assez solidaires »

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Arrivé à la tête de Fives Nordon (750 salariés) en mai dernier, Jean-Jacques Depuydt, le président de la société nancéienne spécialisée dans la tuyauterie industrielle, veut réduire la dépendance de son entreprise au nucléaire. L’avenir passera aussi par l’international, à condition que les Français apprennent à travailler ensemble.

« Les gros donneurs d’ordres allemands viennent avec leurs PME dans les bagages », assure Jean-Jacques Depuydt, président de Fives Nordon, qui voudrait que les entreprises françaises fassent de même pour gagner des marchés à l'international — Photo : © Fives Nordon

Le Journal des Entreprises : Après 115 ans d’existence, qu’est-ce qui reste de l’esprit de Fives Nordon, l’entreprise créée par Gustave Nordon ?

Jean-Jacques Depuydt : Nous sommes toujours sur un métier de construction, de tuyauteur, de chaudronnerie, de soudeur. Et la composante humaine, les hommes et les femmes qui font l’entreprise, demeure la plus importante pour nous. Nous avons beaucoup innové dans le passé, un peu moins ces dernières années, même si des méthodologies de robot de soudage ou de nouvelles méthodes d’assemblage commencent à arriver. Le procédé de soudage reste le même, le matériel a un peu changé, mais on a toujours besoin de l’homme. Le robot n’arrive pas à faire mieux que la main de nos soudeurs.

Quels sont vos principaux marchés ?

J.-J. D. : Dans l’histoire de Nordon, on a toujours été sur le haut de gamme de la tuyauterie. Nous avons un peu perdu cette position, mais il nous faut redevenir le tuyauteur de référence sur le haut de gamme en France.

Quand on dit "haut de gamme", dans nos métiers, on pense haute température et haute pression. Avec ces deux critères, on arrive forcément dans le domaine du nucléaire, puisqu’il faut des garanties de qualité, de sûreté, alliées à des tenues à la pression et aux températures. Chaque fois qu’il y a eu un programme nucléaire en France, on s’est fait happer par le programme. Quand je dis "happer", ça peut être pris dans les deux sens : c’est positif, parce que ça montre la qualité de nos réalisations, mais ça se fait aussi parfois au détriment de nos clients venant de l’industrie classique. Nous avons aujourd’hui un programme de transformation qui est principalement axé sur le fait de rester fort dans le nucléaire, mais d’améliorer nos parts de marché dans l’industrie classique. Actuellement, nous sommes à 80 % - 20 %. Nous dépendons beaucoup du nucléaire.

Parce que c’est là que se trouve la valeur ajoutée ?

J.-J. D. : Il y a en a aujourd’hui un peu moins. L’activité reste très sélective, sur les niveaux de qualité, de préparation. Nous allons par exemple former pendant plusieurs mois des soudeurs, dans nos ateliers, au bon geste, en position, par rapport à la configuration qu’ils vont connaître sur la soudure qu’ils auront à réaliser sur site. L’objectif, c’est que quand ils auront à réaliser cette soudure, elle soit parfaite. Cela n’existe pas dans d’autres industries.

Qu’est-ce qui vous incite à rééquilibrer votre activité ?

J.-J. D. : Il y a eu des restructurations dans l’industrie nucléaire et on a un client important, qui s’appelle EDF, là où on en avait plusieurs auparavant. Et quand on fait une grosse part de notre activité avec un seul client, cela peut être dangereux. Il faut que l’on se répartisse mieux notre activité, pour être moins sujet aux aléas des différents métiers.

Donc l’objectif, c’est d’aller vers du 50-50 ?

J.-J. D. : En tout cas, c’est d’y tendre. Dans l’histoire de l’entreprise, nous avons déjà été dans cette situation. Quand j’ai été recruté en 1996, la part du nucléaire devait peser 25 % de l’activité. Dix ans avant, en plein programme de construction des centrales nucléaires, cette proportion se montait à 100 %… La problématique, c’est que sur des projets, vous gérez un contrat. Sur des clients récurrents de proximité, vous gérez une relation moyen-long terme. Si vous n’êtes plus présent parce que vous avez mis toutes vos forces sur le projet nucléaire, quand le client a besoin de vous et que vous n’êtes pas présent, c’est un autre qui prend la place. Et ces places-là sont difficiles à reprendre.

Quels sont les secteurs industriels qui pourront porter votre développement ?

J.-J. D. : Dernièrement, nous avons développé l’activité pour les clients opérant dans le gaz, avec des clients comme GRT ou Teréga. Dans ce domaine, il y a un peu moins de chaleur mais beaucoup de pression et des fluides dangereux. On nous demande donc une qualité de réalisation importante. Le gaz est un vecteur, mais il y a aussi la chimie et la pétrochimie. Nous sommes aussi présents en papeterie, notamment dans le Sud-Ouest.

Concrètement, on suit les tendances du marché. Il y a une époque où nous étions dans l’électronique : on faisait des salles blanches pour assembler des composants, mais cette activité a disparu vers l’Asie. À chaque fois, nous avons des relais de croissance : il y a besoin de tuyaux dans beaucoup d’industries.

Est-ce que l’international peut devenir un relais de croissance ?

J.-J. D. : Nous avons suivi l'un de nos clients principaux qui s’appelle Framatome, aujourd’hui devenu une filiale d’EDF à 75 %, sur des constructions préfabriquées, ainsi que pour des interventions sur site, notamment en Chine. Mais le manque de solidarité est un comportement typiquement français.

« A l'international, les donneurs d’ordres allemands viennent avec leurs PME dans les bagages. Les Japonais, les Coréens, les Américains aussi. Pas forcément les Français. »

Les Allemands chassent en meute. Les gros donneurs d’ordres allemands viennent avec leurs PME dans les bagages, ils les aident à se développer, à s’implanter. Les Japonais, les Coréens, les Américains, tout le monde fait comme ça, mais les Français ne sont pas très fidèles entre eux et il n’y a pas assez de support entre client, sous-traitant et fournisseur. Le groupe Fives (2 milliards d’euros de CA, 8 000 salariés) réalise 80 % de son activité à l’international, et le doit à ses clients. Mais je trouve qu’on manque de solidarité en France, même entre PME, pour s’aider à l’international.

Est-ce que la nouvelle organisation de la filière nucléaire peut vous porter ?

J.-J. D. : Avec la création du Gifen, le Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire, ce sont les grands donneurs d’ordres et notamment EDF qui vont organiser la filière pour aller à l’international. Il est encore trop tôt pour dire si cela va porter ses fruits, mais c’est bien l’objet. Il y a de vraies compétences en France, il faut qu’on apprenne à mieux travailler ensemble.

Comment va ressortir le niveau de l’activité pour 2018 ?

J.-J. D. : En 2017, nous avons réalisé 135 M€ de chiffre d’affaires, avec 750 salariés. Le chiffre d’affaires sur 2018 sera en décroissance, même si nous n’avons pas encore la clôture. Tout simplement parce que le gros projet de l’EPR - nous sommes sur Flamanville depuis presque 10 ans - absorbe une bonne partie de nos effectifs. Nous devons travailler sur la transition.

L’EPR de Flamanville est donc un chantier vraiment compliqué ?

J.-J. D. : Je n’ai pas vu de chantier aussi impressionnant, que ce soit en termes de réalisation ou de qualité de réalisation, depuis que j’ai commencé en 1996. On a une tendance naturelle en France à voir ce qui est noir, donc de la difficulté. Mais cette qualité de réalisation a nourri le développement de Nordon, parce qu’on a acquis des compétences. La difficulté, c’est qu’il n’y a qu’un seul EPR en chantier et pas de suite programmée.

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