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Dans les Vosges, l’utopie de la Green Valley devient réalité
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Dans les Vosges, l’utopie de la Green Valley devient réalité

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Un petit morceau du territoire vosgien, à proximité d’Épinal, concentre un total de plus de 600 millions d’euros d’investissements industriels. Rassemblés sous une bannière, celle de la Green Valley, l’ensemble des projets concrétisent ce qui ressemblait encore hier à une utopie : l’écologie industrielle.

Le chantier de Green Valley Énergie, la nouvelle chaudière biomasse de Norske Skog Golbey, ressemble à une ruche autour de laquelle s’activent sans relâche grues et engins de terrassement — Photo : Jean-François Michel

Imaginée il y a une quinzaine d’années, la Green Valley ressemblait jusqu’à présent à un empilement de concepts un peu fumeux : l’écologie industrielle et territoriale, au service du développement économique du territoire. Mais une simple visite dans les Vosges, entre le site du papetier Norske Skog, à Golbey, et les 73 hectares de l’Ecoparc de Chavelot, suffit à convaincre les plus sceptiques que les industriels et les élus vosgiens sont en passe de réussir leur coup. Partout, grues et engins de chantiers sont à la manœuvre pour faire sortir de terre des équipements industriels qui ont tous en commun de partager des ressources. "C’est assez rare, en ce moment, sur le territoire français, de voir des sites industriels sur lesquels on investit un total de 500 millions d’euros", rappelle Pierre Rellet, associé fondateur et directeur général de Pearl Infrastructure Capital, le fonds d’investissement qui vient de mobiliser 200 millions d’euros pour une nouvelle chaufferie biomasse destinée à alimenter l’usine vosgienne de Norske Skog Golbey. "Actuellement, il y a plus de 100 millions d’euros de projets industriels lancés sur cette zone", se félicite le président de la Communauté d’agglomération d’Épinal, Michel Heinrich. "Donc au total, ce sont 600 millions d’euros qui seront investis sur le territoire." Comment l’élu vosgien arrive à ce résultat ?

Tout commence par la volonté du groupe papetier Norske Skog, implanté à Golbey et positionné sur le marché en déclin du papier journal, de devenir le "dernier des Mohicans", comme aime à le rappeler Yves Bailly, le président de Norske Skog Golbey (CA 2021 : 220 M€ ; 355 salariés). Concrètement, l’industriel veut être le dernier producteur de papier journal en Europe, et pour rester économiquement viable jusqu’au bout, cherche à partager ses ressources, dont l’énergie. Dans les années 2010, c’est un producteur de panneaux isolants en bois, Pavatex, aujourd’hui propriété du groupe alsacien Soprema (CA 2021 : 3,74 Md€ ; 9 720 collaborateurs dans le monde), qui se laisse séduire et construit une usine sans chaudière sur un terrain appartenant à Norske Skog Golbey, soit un investissement initial de 60 millions d’euros. Concrètement, pour produire, Pavatex s’appuie sur la vapeur du papetier Norske Skog, dont l’usine est à proximité immédiate : une situation qui a permis de réduire l’investissement initial d’environ 25 %. Un premier pas dans la mutualisation des ressources qui a convaincu Soprema, puisqu’en 2020, le groupe décide d’investir 27 millions d’euros dans une deuxième ligne de production, parallèle à la première, pour une capacité totale de 75 000 tonnes.

Du foncier pour s’implanter

Entre-temps, les équipes de Norske Skog ont décidé de convertir une de leurs deux machines à papier en machine à produire du carton d’emballage. Baptisée "projet Box", cette conversion à 300 millions d’euros est désormais rentrée dans une phase opérationnelle. Et met au jour un problème de place : les futures bobines de papier carton seront produites à partir de fibres recyclées, un process qui impose notamment de disposer de beaucoup de place pour installer les équipements nécessaires. Entre les bâtiments dédiés à la production, les multiples chaudières et les équipements de traitement de l’eau, de tris et de recyclages, ainsi que le stockage du bois, les 70 hectares appartenant à Norske Skog Golbey sont remplis, rendant caduque la possibilité pour d’autres industriels de s’implanter à proximité de l’usine vosgienne du papetier norvégien.

"Pour développer la mutualisation et faire la Green Valley, il fallait d’abord trouver du foncier", résume Yann Henriette, le directeur du Pôle bois de la Communauté d’agglomération d’Épinal. C’est de l’autre côté de la D166, à quelques centaines de mètres du site de Norske Skog, qu’élus et industriels vont poursuivre le projet de Green Valley, sur les 73 hectares de l’Ecoparc de Chavelot. L’aménagement, confié à la SEBL Grand Est, a nécessité un investissement total de 18 millions d’euros. Pendant le chantier, des fourreaux ont été enterrés pour faire circuler la vapeur et l’électricité dans toute la zone, sur 1,6 kilomètre, dont quelques centaines de mètres sous la départementale. "Cette zone sera aménagée en trois phases", détaille Yann Henriette. "La logique, c’est celle de l’effet cascade. Le développement complet de la phase 1 ouvrira la phase 2, puis la phase 3."

Sur le papier, la mécanique est bien huilée, tout est lancé. Sauf qu’en parallèle de la conversion d’une de ses machines à papier, dans le cadre du "projet Box", Norske Skog a aussi avancé sur un autre projet : celui d’une chaudière biomasse à 200 millions d’euros, imaginée pour satisfaire les besoins en énergie de l’industriel, tout en réduisant sa dépendance aux énergies fossiles. Alimentée en bois de classe B, soit des bois issus de la déconstruction de bâtiments, cette nouvelle chaudière, portée par la société de projet Green Valley Énergie, devra produire chaque année 200 GWh d’électricité, soit l’équivalent de la consommation de plus de 13 000 foyers, ainsi que de 700 GWh de vapeur. En tournant le dos au gaz au profit de la biomasse, les émissions de CO2 liées à la fourniture d’énergie de Norske Skog vont diminuer de 210 000 tonnes par an.

Des industriels attirés par l’énergie disponible

Un projet très complexe, lauréat de l’appel d’offres CRE biomasse 5-3 en 2019, mais dont le financement vient seulement d’être bouclé par le fonds Pearl Infrastructure Capital, en juin 2022. "Cette chaudière s’inscrit dans une certaine logique, dans la continuité de notre politique en faveur des énergies renouvelables", estime Yves Bailly, le président de Norske Skog Golbey. Plus largement, cette gigantesque chaudière peut-elle être considérée comme la chaudière de la Green Valley ? Pas si simple, parce que la conversion au carton a fait augmenter les besoins en énergie de la machine à papier de Norske Skog Golbey. Concrètement, une fois lancées, les deux machines à papier de Norske Skog produiront un total de 886 000 tonnes de papier par an, dont seulement 330 000 tonnes par an de papier journal. Et de l’autre côté de la départementale, sur l’Ecoparc de Chavelot, les projets consommateurs d’énergie s’accumulent.

Définitivement convaincu par la Green Valley, Pavatex veut une troisième ligne de production de panneaux isolants, dont les travaux, sur une parcelle de 10 hectares, viennent de débuter. Cette troisième ligne doit permettre de produire jusqu’à 60 000 tonnes de panneaux par an, pour un investissement de 72 millions d’euros et la création de 50 emplois directs. Autre industriel, la société Forestière Docelloise porte un projet de transformation du hêtre pour fournir l’industrie et la menuiserie. Là aussi, la PME vosgienne, qui va créer 27 emplois, a réservé une parcelle de 10 hectares, et va injecter 13,6 millions d’euros dans le chantier de cette "scierie 4.0". La société prévoit de traiter 45 000 m³ de bois par an, et consommera l’énergie nécessaire pour faire tourner deux séchoirs d’une capacité de 160 m³ et une étuve de 50 m².

Tous ces industriels sont évidemment intéressés par l’énergie disponible, mais l’appétit insatiable de Norske Skog a nécessité de revoir le fonctionnement de la Green Valley. L’ampleur des besoins en énergie implique de construire une nouvelle chaufferie, installée sur l’Ecoparc de Chavelot, pour alimenter en vapeur les usines implantées. Porté par la Communauté d’agglomération d’Épinal, Pavatex et Engie Solutions, l’investissement viserait à faire sortir de terre un premier équipement fonctionnant au gaz, capable de répondre rapidement aux besoins des industriels, pour un montant de 7 millions d’euros, avant de lancer une autre tranche fonctionnant à la biomasse. Au final, cette chaufferie "bi-énergie" nécessiterait un investissement total de 19 millions d’euros.

Six sujets à mutualiser

Très attendu, cet outil devra notamment sécuriser l’investissement de la troisième ligne de Pavatex. Les équipes de l’industriel ont sorti la calculatrice pour constater que l’appétit insatiable de Norske Skog ne laissait plus grand-chose à croquer aux autres consommateurs de vapeur. Pour que tout le monde soit servi, les livraisons des équipements industriels devront être effectuées dans les temps. Du côté de la nouvelle chaudière portée par Green Valley Énergie, "les premiers kilos de vapeur seront livrés à Norske Skog début 2024, pour qu’en avril nous puissions commencer les essais, et en août, Veolia prendra les commandes de la centrale", détaille Alexandre De Cuniac, le directeur général de Green Valley Énergie. Du côté de Pavatex, la "nouvelle usine devrait être en capacité de produire, fin 2023, au plus tard début 2024", souligne Bruno Gertsch, le directeur de la business unit "isolants éco-sourcés" du groupe Soprema, qui compte sur le "backup" de la chaudière au gaz, qui devra être en capacité de fournir des kilos de vapeur dès août 2023.

"Les mutualisations imaginées sur la Green Valley vont bien au-delà de l’énergie", souligne Yann Henriette. Six thématiques ont été identifiées : le bois, la logistique, les effluents, le gaz, l’électricité et les eaux industrielles. Pour l’approvisionnement en bois, c’est un industriel vosgien, qui souhaite rester discret, qui va porter une pièce essentielle du dispositif Green Valley : une plateforme de massification et de transformation du bois. À proximité immédiate de l’Ecoparc, sur une parcelle de 9,5 hectares, le projet vise à faire sortir de terre un outil permettant de stocker des bois de classe B pour répondre aux besoins de Green Valley Énergie, mais aussi de Norske Skog et de Pavatex. À plus long terme, la Green Valley n’en finit plus de se projeter dans le temps et les projets : la phase 2 pourrait être consacrée à l’énergie, avec la production d’hydrogène, puis la phase 3 devrait voir des projets se concrétiser dans la chimie verte, en utilisant par exemple les écorces ou les fibres rejetées par les industriels.

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