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Comment Gautier résiste sur le marché chahuté du meuble
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Comment Gautier résiste sur le marché chahuté du meuble

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Conforama, Fly, Habitat… : les enseignes d’ameublement ayant annoncé des fermetures et des suppressions d’emplois se sont multipliées ces dernières années. Avant que la crise du coronavirus ne fragilise encore un peu plus le secteur. Sur un marché du meuble mondialisé et en profonde mutation, le vendéen Gautier arrive malgré tout à tirer son épingle du jeu.

— Photo : Gautier

Gautier est devenu en janvier l’un des porte-étendards officiels du made in France. Ce fabricant de tables et canapés des Herbiers était en effet l’une des 101 entreprises choisies pour exposer ses produits au palais de l’Élysée dans le cadre de l’exposition « Fabriqué en France ». Le Made in France constitue la marque de fabrique du constructeur de meubles, devenu l’ambassadeur du label French Fab en Vendée, qui fait la promotion de l’industrie française.

Mais dans l’univers du meuble, le fabriqué en France reste un sacré pari. Sur ce marché mondialisé, dominé par des mastodontes comme Ikea qui tirent les prix vers le bas, la production française recule. Selon l’Insee, « la Chine est le premier fournisseur de meubles en France. En 2018, les importations s’élevaient à 7,2 milliards d’euros, elles ont augmenté de plus de 20 % en dix ans et représentent une fois et demie la valeur de la production française. » De surcroît, le marché du meuble devient de plus en plus capricieux. « Il est en dents de scie, indique Cathy Dufour, déléguée générale de l’Ameublement français. En 2018, il a chuté de 2,5 % avant de progresser de 3,5 % l’année suivante. »

La famille Soulard, qui détient 85 % des parts de la société Gautier, avec, de gauche à droite, David Soulard, Ginette et Dominique Soulard (au premier plan), Hervé Soulard, Valérie Soulard-Brin et Arnaud Soulard. — Photo : Gautier

Sur ce marché compliqué, Gautier a perdu des plumes. En cinq ans, le vendéen qui emploie 850 salariés a vu s’évaporer 20 millions d’euros de chiffre d’affaires et s’est séparé d’une centaine de salariés. « Nous avons arrêté certains schémas de distribution, explique David Soulard, le directeur général de l’enseigne. Nous ne sommes pas à la recherche d’un chiffre d’affaires à outrance, l’idée pour nous est de pérenniser la société. Il serait utopique de penser qu’il faut être de plus en plus grand. Nous faisons travailler plus de 800 personnes, c’est déjà une bataille de tous les jours. » Gautier a réalisé 120 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019, un chiffre en croissance de 5 % sur un an. « 2018 était en demi-teinte. Nos effectifs ont un peu diminué car nous avons eu des départs en retraite que nous n’avons pas remplacé. Mais l’activité était meilleure en 2019. Entre autres parce que les magasins Gautier marchent bien », poursuit David Soulard, qui a recruté une vingtaine de personnes en fin d’année 2019. Seulement quelques mois avant la crise du coronavirus qui a, à nouveau, fragilisé l’enseigne.

Dès le 17 mars, le fabricant de meubles fermait ses ateliers. « Les magasins de meubles ont fermé les uns après les autres, le soir même du confinement, nous fermions donc les portes de l’entreprise », raconte David Soulard. Après presque deux mois de fermeture, l’entreprise vendéenne a redémarré son activité le 11 mai 2020. Aujourd’hui, la totalité de ses effectifs ont repris le travail et l’entreprise tourne à 100 %. « Nous enregistrons beaucoup de commandes de chambres, plus qu’avant le confinement », précise David Soulard qui reste, toutefois, prudent. « Le mois de mai a l’air bien parti, nous sentons un véritable intérêt pour le made in France mais nous ne savons pas comment cela va évoluer dans les mois à venir. » L’entreprise maintient toutefois ses investissements, notamment dans le digital, et a demandé un prêt garanti par l’État pour traverser la crise.

Gautier parvient donc à sauver les meubles. Car la crise que traversent certains de ses concurrents depuis plus d’un an est autrement plus profonde.

Castorama, Conforama, Fly et Habitat à la peine

En juillet 2019, l’enseigne Conforama annonçait un plan de restructuration avec la fermeture de 32 magasins et 10 boutiques Maison Dépôt, qui appartiennent au groupe Steinhoff. Des fermetures qui entraîneraient la suppression de 1 900 postes. Un an plus tôt, le groupe d’ameublement Fly annonçait la cession de 23 magasins sur 38. Plus récemment, en octobre dernier, le groupe Cafom, notamment propriétaire de la marque Habitat, disait vouloir céder son enseigne, huit ans après l’avoir reprise. En cause : son manque de performance.

Dans ce contexte morose, Gautier mise sur un positionnement milieu, haut de gamme et sur son ancrage local. L’ETI est en effet l’une des rares à ne pas avoir délocalisé ses ateliers. Le nombre de salariés de la filière a diminué de moitié en France, en dix ans, selon l’Insee. « Nous avons toujours défendu le Made in France. Alors même qu’il était ringard il y a encore quelques années », se souvient David Soulard, le directeur général.

David Soulard, le directeur général des Meubles Gautier était à l'Elysée en janvier dans le cadre de l’exposition « Fabriqué en France », où il a rencontré Emmanuel Macron. — Photo : Gautier

La raison ? La production de Gautier, très automatisée, ne nécessitait pas forcément une baisse des coûts de main-d’œuvre. Mais le Made in France permettait aussi à Gautier de conserver une certaine flexibilité et son ancrage territorial. Car l’entreprise est l’exemple même de l’esprit entrepreneurial vendéen, attaché à son territoire. En 1999, plusieurs centaines de salariés de la société enchaînaient neuf jours de grève pour sauver leur patron, Dominique Soulard – père de David Soulard – après l’annonce de son licenciement par l’actionnaire majoritaire de l’époque, Séribo. Un tollé qui obligea la holding à céder Gautier au directeur général, soutenu par sa famille, des salariés et plusieurs partenaires industriels et financiers. Aujourd’hui encore, Gautier est détenu à 85 % par la famille Soulard, à 5 % par les salariés et à 10 % par un pool bancaire.

La flexibilité : l’un des principaux atouts de Gautier

Pour rester compétitive, l’entreprise a toujours investi dans son outil de production qui lui permet de gagner en réactivité, avec des petites séries et des produits de qualité, personnalisés. La flexibilité est l’un des principaux atouts de Gautier. « Notre avantage concurrentiel, c’est « le time to market ». Nous sommes dans un métier de mode. Nos usines sont organisées pour répondre rapidement aux mouvements de marché. Le Made in France doit être créatif, on doit être en avance sur les tendances. Si on fait la même chose que nos concurrents, en France, on fonce dans le mur », explique le directeur général qui a investi 10 millions d’euros dès 2015 dans une nouvelle ligne de fabrication et envisage un nouvel investissement en 2021.

La société n’hésite pas non plus à investir dans l’innovation. En 2016, elle faisait cogiter ses salariés et ses clients sur ses futurs meubles.

10 % de progression par an dans l’immobilier d’entreprise

Mais surtout, l’ETI s’est toujours diversifiée. Créée en 1960 par Patrice Gautier et son épouse Annick, la société s’est d’abord spécialisée dans les chambres pour enfants avant de lancer ses premières gammes de chambres pour adultes, puis de fabriquer bureaux et séjours. « Aujourd’hui nous sommes fabricant, designer, distributeur et maintenant architecte d’intérieur », lance David Soulard qui continue à se diversifier pour coller aux changements de consommation. Le directeur général vient de lancer un nouvel outil « pour proposer davantage de service à [ses] clients ». Grâce à un logiciel 3D, la société peut visualiser, à travers un écran, des meubles dans un espace et ainsi optimiser les surfaces. Et depuis peu, la société vendéenne s’intéresse au marché des professionnels. Elle a notamment équipé les nouveaux bureaux du constructeur de modulaires vendéen, Cougnaud, à Mouilleron-le-Captif ou encore ceux de La Boulangère, aux Essarts. Un levier de développement pour le fabricant. « Le marché du mobilier professionnel, contrairement à celui du particulier, se porte bien », assure Cathy Dufour, spécialiste de l’ameublement. C’est d’ailleurs le principal axe stratégique que souhaite développer Gautier, avec l’aménagement d’intérieur. « Cela représente 14 % de notre chiffre d’affaires et nous souhaitons accélérer. Notre objectif est de progresser d’environ 10 % par an sur ce marché. »

20 % du chiffre d’affaires à l’export

Et l’entreprise vendéenne n’est pas seulement industrielle. Elle maîtrise sa chaîne de distribution avec 7 magasins en propres et 70 franchises. Alors que certains de ses confrères se replient, Gautier entend déployer sa marque pour davantage mailler le territoire. David Soulard espère ainsi passer la barre des 100 franchises dans les six ans. « Nous n’allons pas à contre-courant, nous sommes en phase de conquête et nous avons besoin de 30 magasins supplémentaires pour être proche de nos clients et ainsi pérenniser la société. Nous n’avons pas la même part de marché que Conforama par exemple. Lorsque l’on est leader, les variations du marché nous heurtent de plein fouet, nous nous sommes des challengeurs. » Selon le directeur général, la franchise est un moyen rapide de développer un réseau. « Nous misons beaucoup sur la proximité, qui est une grande tendance de consommation. Nos franchisés sont des personnes du pays. »

Et le terrain de jeu de la marque vendéenne ne se limite pas à l’Hexagone. « Nous avons commencé à exporter dès les années 1970, notre premier client était l’Iran. Nous avons toujours eu l’international dans le sang », précise David Soulard qui recense 50 magasins. L’enseigne réalise 20 % de son chiffre d’affaires à l’export. Elle est notamment présente dans les pays du Golfe et en Asie. « Nous voyons beaucoup la Chine comme un marché d’importation mais c’est aussi un grand consommateur de produits français, éclaire la spécialiste de l’Ameublement, Cathy Dufour. C’est d’ailleurs le premier importateur de meubles fabriqués en France, devant les États-Unis. » Car le made in France séduit aussi le marché asiatique. « En Asie, il inspire qualité et sécurité. Le meuble occidental est un signe de richesse. ».

Gautier fabrique des lits, des canapés, des tables... — Photo : Gautier

Pour autant, l’industriel vendéen ne délaisse pas l’Europe. « Notre regain d’activité s’explique notamment par une belle dynamique sur notre continent. Alors qu’il y a un affaiblissement de la demande mondiale, il y a des signaux de progression en Europe. Avec l’Asie, ce sont les deux continents qui nous tendent les bras. En Angleterre par exemple, l’activité est particulièrement bonne », assure David Soulard, pour qui le Royaume-Uni représente 20 % des exportations. Pour sécuriser ce marché devenu plus incertain avec le Brexit, le dirigeant a récemment structuré une filiale outre-Manche. « Nous avions déjà une entité logistique que nous avons transformée pour faire de l’importation. Il n’y a pas de fabricant sur place, l’Angleterre est obligée d’importer des meubles. Pour l’instant, le Brexit a donc peu d’impact sur nous. » Pour le dirigeant, qui reste prudent, l’objectif est donc de pérenniser son activité au Royaume-Uni. Car la stratégie de Gautier à l’export, « c’est l’Europe », assure David Soulard.


Le meuble est passé de 3,3 à 2,2 % dans le budget des ménages

En dix ans, la part du meuble dans le budget des ménages est passée de 3,3 % à 2,2 %. Pour s’en sortir, les enseignes doivent donc s’adapter aux changements de consommation. Et le Made in France semble répondre à une tendance de fond. Que ce soit à l’export ou au sein de l’Hexagone, la fabrication française représente de grandes opportunités pour les marques. « Nous ressentons un réel engouement pour le Made in France. Même si pour l’instant cela ne se traduit pas complètement dans les ventes. Cela fait partie des signaux de fonds. Aujourd’hui, environ 40 % des meubles achetés en France sont produits sur le territoire et nous pensons que cela va augmenter, » précise l'organisation professionnelle l’Ameublement français.

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